Les notes de lectures de Michel Drac, c’est typiquement le genre de chose qui ne passera jamais, même avec un flingue sur la tempe, sur NRJ. Un flow au ralenti, un rythme de sénateur, des soupirs interminables, ce qui est meurtrier en radio, des constructions et déconstructions intellectuelles absconses pour les auditeurs du 6-9 de Manu Lévy, et surtout, zéro gramme de musique (américaine).
De plus, Michel est capable d’évoquer les insectes qui tournent autour de son crâne – « pas mal de bestioles, c’est le soir » – tout en décrivant la fabrication du modèle schizophrène essentialiste racialiste d’Houria Bouteldja.
Vous l’aurez compris, Drac, avec ses tics et son tact (il sait effleurer les sujets ultra sensibles), c’est l’anti-NRJ. Mais il dispose d’une autre énergie, celle que confère la lecture massive qui enrichit l’esprit en s’imprégnant de l’esprit des autres. Parfois, le vent coupe la parole à Michel qui parle dans le vide. Pas de montage, pas de post-prod. Du brut, avec une lenteur à la Kundera.
En un peu moins d’une heure, Drac décortique la pensée Bouteldja, qui est déjà bien décortiquée dans le sens de déstructurée. Les contradictions ne font pas peur à la porte-parole des Indigènes de la République. Dont on rappelle le combat, très simple : contre le Blanc, bourgeois, patriarcal, dominant, raciste, colonialiste et sioniste. Normalement on n’a rien oublié. C’est quasiment la ligne que Delphine Ernotte, à la tête de France Télévisions, impose à l’organisme de propagande public financé par les Français à hauteur de 3 milliards (d’euros) pour faire vivre très confortablement ses 10 000 employés.
Dans ce petit livre, qui ressemble à un carnet scolaire, Bouteldja essentialise à mort. Pour elle, le Blanc est mauvais, sauf s’il prend fait et cause pour l’Autre, l’opprimé, l’immigré, l’Arabe ou le Noir. C’est à ce prix qu’il peut racheter ses péchés. Drac le résume à sa façon :
« Un Blanc qui devient solidaire des opprimés du Sud cesse d’une certaine façon d’être blanc sur le plan social et politique »
Ce peuple opprimé du Sud serait une sorte de peuple élu, élu par sa souffrance. Bouteldja reproche à Sartre, qui était pourtant pro-FLN pendant la guerre d’Algérie, de ne pas avoir « assez tué le Blanc », sous-entendu en lui. Car Sartre était favorable à l’immigration des juifs en Palestine, preuve d’un tropisme colonialiste, le colon juif opprimant l’Arabe, le Palestinien. La sacralisation de la figure du juif par le Blanc aurait empêché ce dernier de voir que le juif pouvait être un colon et un oppresseur. Bouteldja se sent donc plus proche de Jean Genet, qui lui serait un vrai « traître à sa race blanche ».
Drac a le mérite de reformuler ce que Bouteldja a du mal à formuler : quand elle dit « Blanc », c’est en fait une construction politique et sociale, même si ça sonne comme une qualification biologique dans sa bouche. C’est le point de départ assez ambigu d’une dérive possible vers un racisme antiblanc, car Bouteldja ne tranche pas entre les deux blancheurs, si l’on ose dire.
Si le Blanc est (toujours) l’oppresseur, Bouteldja ne prend pas position sur les généraux algériens qui oppriment leur propre peuple, relève avec justesse Drac. La pensée Bouteldja s’arrête là où elle pourrait être mise en danger. Voilà pourquoi on peut parler d’idéologie limitée, voire simplette.
« Je ne suis pas tout à fait blanche mais je suis blanchie, je suis là parce que j’ai été vomie par l’histoire, je suis là parce que les Blancs étaient chez moi et qu’ils y sont toujours »
« Depuis que j’ai vu sur moi s’abattre la férocité blanche, je sais que plus jamais je ne me retrouverai, mon intégrité est perdue pour moi-même et pour l’humanité à jamais. Je suis dans la strate la plus basse des profiteurs… »
Avec malice, Drac propose à Bouteldja un pays avec moins de Blancs, l’Algérie, l’Algérie rêvée de Bouteldja. La confusion des catégories sociales et raciales ne permet pas à la pensée de s’élever. C’est peut-être parce que, sous l’influence de son père pour qui « les Arabes c’est la dernière race après les cafards », Houria a intériorisé le système d’infériorisation mis en place par la colonisation. En vivant dans une France qui nie cette infériorisation, passée ou présente, Bouteldja développe une certaine schizophrénie sociale et intime.
Au tour des juifs
C’est à 24’31 que Drac passe à la seconde partie : après les Blancs, les Juifs. C’est l’occasion pour lui d’ironiser sur la théorie bouteldjienne qui veut que les juifs soient « un groupe dominé » en France aujourd’hui ! Silence sceptique, main sur le crâne à la Brando dans Apocalypse Now, Drac envoie un « franchement, ça saute pas aux yeux » des plus comiques.
Bouteldja veut proposer aux juifs, qui feraient donc partie de la communauté des opprimés par les Blancs, un combat commun contre ces derniers, en faisant la distinction entre les juifs orientaux et les juifs européens. Les juifs seraient alors condamnés à la « blanchité » – soit le sionisme et le colonialisme – ou à la « décolonalité », c’est-à-dire l’antisionisme.
Mais Bouteldja ruine sa propre construction politico-sociale soutenue par trois notions de marxisme en tombant dans un essentialisme racialiste avec la phrase choc que tous les observateurs ont relevée :
« J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam »
Ce à quoi Drac, en bon oppresseur blanc et en guise de conclusion, répond :
« Ici en France l’indigène c’est moi, c’est pas elle... Venir chez les gens sur leur terre pour leur dire en gros tu n’as pas le droit d’affirmer ton identité car elle est contraire au système biologique dans lequel j’évolue… au nom de la culpabilité… c’est une forme d’idéologie coloniale »