À ne lire que les titres dans certains journaux, on aurait pu être amenés à penser que la banquise du pôle Nord n’avait jamais été aussi peu étendue que le mois dernier : « Arctique : la superficie de la banquise n’a jamais été aussi réduite », titraient Le Parisien et 20 Minutes, le 20 mars, oubliant au passage de préciser que ce minimum historique concernait le maximum d’extension, qui survient en moyenne le 12 mars. Le lendemain, le Journal économique n’était guère plus précis, mais plus évocateur : « La banquise de l’Arctique atteint son record d’étroitesse. » Un timbre poste représentant tout de même plus de vingt-six fois la superficie de la France métropolitaine.
Nul n’est censé ignorer que la banquise arctique a considérablement diminué de superficie ces dernières années. Elle est un marqueur moins efficace, car moins visuel, que les glaciers alpins, qui ont beaucoup reculé depuis la fin du XIXe siècle, mais comme ces derniers, elle illustre à merveille le propos de tous les sonneurs d’alerte en matière climatique : le passé fond comme peau de chagrin. Passons sur le fait que, dans les deux cas, l’évolution n’est pas due aux seules températures. Un réchauffement a bel et bien eu lieu et une illustration imprécise mais populaire en est la fonte des glaces.
- Extension de la banquise arctique (en millions de km²)
Si l’on observe attentivement cette première figure, on constate bien sûr la diminution de la superficie de la banquise, lors de son minimum estival, surtout, mais aussi lors de son maximum, au mois de mars. Cependant, à y regarder de plus près, l’extension la plus faible a eu lieu en 2011 et non en 2015, comme proclamé partout. C’est qu’il faut savoir que deux jeux de données sont utilisés pour quantifier cette variable à partir des données satellitaires : sea ice extent et sea ice area [1]. C’est cette dernière qui illustre l’évolution de la banquise ci-dessus, mais la première qui a été utilisée pour faire cette annonce, par le même organisme de recherche :
- Évolution du maximum d’extension de la banquise arctique (extent), selon le National Snow & Ice Data Center (NSIDC)
Cela se joue à peu de choses, mais l’extent montre bien un minimum historique depuis 35 ans. Pour que le NSIDC puisse faire cette affirmation, il lui a donc fallu choisir la bonne base de données. Seule l’extent permet d’affirmer que le maximum de cette année est inférieur de 1,13 million de kilomètres carrés à la moyenne calculée sur la période 1981-2010. Tous les médias ont repris cette information et donc cette source scientifique, sans chercher plus loin. Météo-France a fait de même, illustrant son propos avec la figure suivante, issue du NSIDC :
Reprenant les données d’un organisme de recherche, il n’est pas anormal que Météo-France utilise l’une des figures les illustrant. D’autant que la courbe de 2015 (en bleu) y est très explicite, clairement sous celle représentant la moyenne (en gris). Par ailleurs, ceux qui suivent ce type d’actualité se souviendront sans doute que l’année 2012 (tiretés verts) est celle ayant enregistré la superficie estivale minimale depuis les débuts de l’ère des satellites et trembleront en voyant à quel point nous sommes déjà bien en dessous.
Pour les rassurer, la figure suivante est opportune : elle montre la même chose, mais émanant du centre norvégien Nansen. L’avantage, c’est que cette fois-ci, tous les mois de l’année s’offrent au regard, pour les sept années passées et celle en cours :
L’extension de la banquise était montée bien haut en 2012 (courbe bleue) à la fin de l’hiver, mais cela n’avait pas empêché la dégringolade estivale. Inversement, des années de faible extension relative en hiver conduisent parfois à des niveaux pas trop bas dans le contexte de baisse que l’on connaît. Mais c’est bien ailleurs que se situe l’intérêt de ces courbes norvégiennes. Il est ici patent que le record clamé haut et fort ne concerne pas les données recueillies par le Nansen Center de l’université de Bergen, puisque c’est l’année 2007 qui présente ici les plus faibles valeurs, et non 2015. L’université de Brême (Allemagne) ne fait pas non plus de cette année le record, le réservant à 2011.
Cette unanimité médiatique cache donc une nouvelle fois une réalité plurielle. Ce record ne vaut qu’en choisissant d’une part le bon organisme parmi tous ceux qui fournissent de telles données, d’autre part la bonne variable, puisque, des deux existant, une seule confirme ce record. Que les journaux procèdent ainsi ne surprend pas. On serait néanmoins en droit d’attendre un autre comportement de Météo-France, qui n’est pas là pour faire de l’audience. Pourtant, ces dernières années, en matière de climat, cet organisme public n’a jamais été à la traîne en matière d’alarmisme climatique. Il nous le démontre une fois de plus, et de manière éclatante. Le site climatosceptique français skyfall.fr [2] a mis en lumière le fait qu’en choisissant les données du centre norvégien, Météo-France ne faisait rien d’autre que de s’asseoir sur son propre travail. Membre du consortium scientifique européen OSI SAF, elle a en effet volontairement choisi de ne surtout pas faire mention du travail que celui-ci produit avec sa collaboration.
- Évolution du maximum d’extension de la banquise arctique (extent), selon l’OSI SAF, auquel Météo-France collabore
Pour notre ex-Météorologie nationale, mars 2015 devrait être au-dessus de mars 2011 et mars 2006. Il est assez consternant que cet établissement public balaie sous le tapis le travail qu’il produit, pour mettre en avant celui des autres, plus favorable en la circonstance à la préparation de la COP21 [Conférence annuelle des parties, NDLR] à Paris en fin d’année, réunion cruciale pour la politique du climat, dont Laurent Fabius, en tant que chef de la diplomatie française, est le porte-étendard. Une mission qu’il assume avec la foi du nouveau converti, n’ayant pas voulu, dans un premier temps, de la COP en France, totalement étranger qu’il est aux questions environnementales. Mais ça, c’était avant ! Les présentateurs météo ont déjà eu droit, il y a plusieurs mois, à un petit sermon quant à leur devoir d’information sur le réchauffement climatique en direction du public, lors d’un déjeuner de « travail » au Quai d’Orsay. Et Météo-France ne fait que suivre la ligne tracée en haut lieu, comme d’autres probablement dans un proche avenir.
Nous avons encore devant nous de nombreux mois durant lesquels on pourra nous dire que le réchauffement climatique se manifeste, au moindre coup de chaud ou de vent, dès que de fortes averses auront lieu, puisqu’en la matière, l’habituel ou au moins le non-inhabituel d’autrefois relève de l’extraordinaire et de l’inconvénient aujourd’hui. On nous avait bien expliqué que les bourrasques de neige dans lesquelles s’était terminé le flop de la COP15 en 2009 à Copenhague étaient elles aussi dues au réchauffement climatique... Notre époque manque peut-être de panache, mais certainement pas de toupet !