« Tous en toge, tous en toge ! Tous ! Tous ! Tous ! » ; « Najat Belkacem ! Si Vis Pacem ! » On n’a pas souvent l’occasion de manifester aux côtés de Zeus et des Immortels, de croiser Cicéron tenant une pancarte ou d’entendre des slogans en latin couvrir la sono d’un cortège syndical. Grâce à la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem, c’est chose faite.
« C’est sans doute le plus grand rassemblement d’enseignants et de passionnés des langues anciennes dans l’histoire de l’Éducation Nationale ! » souligne Robert Delord, écrivain et président de l’association « Arrête ton char ! », qui a organisé pour la manifestation du 10 octobre une « Antic Pride » réunissant légionnaires casqués et enseignants en toges et coiffés de lauriers, tenant des bannières « Reformatio Najatae Delenda Est » (il faut détruire la réforme de Najat) et des pancartes sur lesquelles la petite chouette d’Athènes verse une larme, soupirant : « je ne suis pas discriminante ! »
8 000 selon la police, 15 à 20 000 selon les organisateurs, on tranchera plutôt, au vu d’un boulevard Raspail envahi par les cohortes de manifestants, en faveur des dix-mille.
Cependant, si les mesures qui seront initiées à la rentrée 2016 ont fait descendre dans la rue les représentants de l’enseignement des humanités classiques, cette réforme adoptée au forceps risque aussi de les voir disparaître dans nombre de collèges. L’un des objectifs annoncés de la réforme du collège est de voir les établissements gagner en autonomie avec notamment la mise en place des fameux EPI, les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires qui offriront, comme le formule le site Eduscol dans un savoureux style académique, « des moments privilégiés pour mettre en œuvre de nouvelles façons d’apprendre et de travailler les contenus des programmes. »
Le paradis pédagogique à venir en somme ?
Un discours lénifiant et mensonger pour la plupart des enseignants présents à la manifestation. Les EPI représentent huit thématiques de travail aux intitulés plutôt vagues – « Monde économique et professionnel, Culture et création artistique, Information- Communication et Citoyenneté, Corps-Santé-bien-être et sécurité, Sciences-Technologies et Sociétés, Transition écologique et développement durable, Langues et Cultures étrangères/régionales, Langues et Cultures de l’Antiquité » – qui forment autant de blocs thématiques que les chefs d’établissement pourront moduler à leur guise et surtout en fonction de leurs moyens.
L’enseignement des langues anciennes, tout comme les défuntes classes bilangues auraient, d’après le ministère, vocation à se fondre dans cet ensemble pour devenir des enseignements complémentaires, en marge du tronc commun conservé dans le cadre du collège unique, et profiter ainsi à davantage d’élèves. Faux, protestent les enseignants. « Chaque établissement choisit ses EPI et le latin n’a plus d’horaires disciplinaires garantis », explique une grande Athéna casquée, prof de latin-grec. « Le ministre de l’Éducation Nationale a eu beau prétendre devant la commission sénatoriale que les langues anciennes allaient conserver les mêmes horaires, c’est un mensonge : le décret du 19 mai dernier a déjà supprimé le caractère obligatoire des Langues et Cultures Anciennes. On prétend que l’enseignement du latin est toujours prévu par la réforme, alors qu’en pratique il est déjà rendu impossible. »
À côté de nous passent, superbes, deux Immortels en toges blanches baladés dans un grand container. « Sortez-nous de là ! », s’époumonent-ils, « sortez-nous de la poubelle ! »