Assez sidérant de voir à quel point le public français est habitué à la flagornerie, au point de trouver @edwyplenel et @JJBourdin_RMC trop agressifs. Enfin une itw du chef de l'État avec des vraies questions dedans.
— Hervé Gardette (@hervegardette) 15 avril 2018
La Ve République est émaillée de ces rendez-vous qui confinaient au léchage de cul présidentiel. Ce n’était pas le léchage de cul qui était indécent mais la soumission du médiatique au politique. Peu de grands (par le salaire, pas forcément par le professionnalisme) journalistes en poste – et souvent proches du pouvoir – avaient le courage de mettre leur confortable fauteuil en danger pour une question dérangeante. Quand on gagnait 70 000 euros comme PPDA par mois sur TF1, avec le PDG de la chaîne copain de Sarkozy, on ne pouvait pas se permettre plus d’une vanne sur le président. C’était le maximum autorisé. D’ailleurs Sarkozy ne lui pardonnera jamais de l’avoir traité de « petit garçon ».
#Bourdin pose LA question de la soirée "Emmanuel #Macron, est-ce que vous n'êtes pas dans une illusion puérile de toute-puissance ?" ⚡ #MacronBFMTV pic.twitter.com/6Ri94XU8b8
— Nils Wilcke (@paul_denton) 15 avril 2018
Plenel & Bourdin ne sont pas des présentateurs télé, ce sont des journalistes. L’un en radio, l’autre en presse écrite puis en ligne. Ils ont chacun leur franc-parler, leurs convictions, ils n’avancent pas masqués. On peut dire que Plenel est un pur gauchiste, auteur de gros coups journalistiques quand il tenait fermement la barre de la rédaction du Monde. Bourdin, lui, serait plutôt à ranger chez les populistes, il incarne parfaitement la nouvelle ligne de RMC, la radio qui n’arrête pas de monter et qui a bouffé Europe 1. Ces deux personnalités ont donc été choisies par Macron – qui l’avait promis il y a un an à Plenel sur Mediapart – pour l’interroger et le malmener. Et il a été malmené, si l’on prend comme point de repère l’obséquiosité française habituelle en la matière.
Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel expliquent pourquoi ils n’ont pas appelé Emmanuel Macron "Monsieur le Président" pic.twitter.com/KicZPl9Dj4
— BFMTV (@BFMTV) 16 avril 2018
Mais il s’est bien repris, rendant coup pour coup, parfois en balançant de bonnes contre-vérités mais ça, c’est le lot des dirigeants.
"Vous-même vous aviez décidé de vous affranchir des règles fiscales", lance Macron à Plenel #MacronBFMTV pic.twitter.com/8PxOPNMgAc
— BFMTV (@BFMTV) 15 avril 2018
Aux journalistes de sauter sur les mensonges et d’évacuer le brouillard communicationnel qui entoure l’homme en charge de l’exécutif.
Pour ceux qui n’ont pas soutenu les presque trois heures d’échanges, en voici la synthèse. On peut comprendre qu’un exercice de pur « com » flatteur pour le pouvoir et « ses » journalistes n’intéresse pas les Français avides de concret.
« Etre président en France c'est passer à la télé et puis réduire les petits privilèges des petites gens et ne pas toucher aux privilèges des gens qui ont des gros privilèges donc je n'écoute plus Macron. » #Todd https://t.co/XBHK7G39hY
— cyclozu (@cyclozu) 15 avril 2018
Eh bien justement, du concret, malgré les frappes échangées, il n’y en a pas eu beaucoup. Bourdin et Plenel sont plus perfides que Pernaut ou Ferrari, mais un Macron ne lâche pas des vérités aussi facilement. Pourtant, le corbeau a lâché quelques camemberts de bonne facture. Il a fallu le pousser dans ses retranchements sur la question sociale, les grèves en cours et leur raison, et sur l’international, c’est-à-dire la Syrie et la place de la France dans la paire anglo-américaine.
En une réplique, Bourdin a énervé Macron :
#Bourdin : "Et votre ami, Bernard Arnault" #Macron, énervé : "Je n'ai pas d'amis" #MacronBFMTV pic.twitter.com/dd0ptPwpcU
— Nils Wilcke (@paul_denton) 15 avril 2018
Être le président des riches quand tout va mal pour de nombreuses catégories de Français, ça fait mauvais genre, ça fait mauvais roi. Si le roi n’est pas aimé des pauvres, s’il ne distribue pas quelques piécettes, le règne peut mal finir. On a tous – et Macron le premier – en tête la fin lamentable du président Hollande, symbole de ce mélange écœurant entre socialisme de trahison et République communautarisée. Macron aura un mot malheureux sur son objectif principal :
Entendre @EmmanuelMacron dire qu'il veut remettre le pays au travail... comme s'il ne travaillait pas. Comme s'il ne voulait pas travailler. Lui qui fait un cadeau de 5mds de baisse d'ISF à des personnes qui s'enrichissent par la rente et la spéculation. #MacronBFMTV
— Benoît Hamon (@benoithamon) 15 avril 2018
Les deux dossiers sur lesquels Macron a dû se justifier, et c’est son boulot, c’est la crise sociale et la crise internationale. L’agression contre le service public et le statut de fonctionnaire, puis la justification du bombardement de la Syrie, qui place la France objectivement dans le camp des djihadistes. Sur le sujet intérieur, et plus précisément sur la lourde ponction des retraités (qui ont bêtement voté pour lui), Macron en a sorti une cinglante :
Quand on fait payer les retraités, c’est de la « générosité intergenerationnelle ». Quand on ne fait pas payer les riches, c’est pour qu’ils ne fuient pas leur patrie. Moralité : la générosité sociale est interdite. #MacronBFM
— Dion Jack (@DionJack2) 15 avril 2018
Que signifie la « solidarité intergénérationnelle » ? Que les retraités prétendument nantis doivent payer un peu plus pour ceux qui ont moins. C’est faire porter aux Français pas encore trop pauvres le poids des Français appauvris par le libéralisme, pardon, la crise !
Débrouillez-vous entre vous, c’est le mot d’ordre bien libéral du président. Les riches augmentent leur richesse, les pauvres doivent être solidaires entre eux. Quant à la fronde sociale, celle des luttes qui « coagulent », elle n’existe pas, c’est-à-dire que le ras-le-bol n’est pas général :
M. Plenel, je conteste l’orientation de vos questions qui viserait à vouloir créer une coagulation dans ces mécontentements : il n’y en a pas tant que cela.
Le mécontentement des cheminots a peu à voir avec le mal-être des personnels hospitaliers. #MacronBFMTV pic.twitter.com/PrdVe61jHM
— En Marche (@enmarchefr) 15 avril 2018
Certes, il y a un monde entre les divagations des étudiants de Tolbiac et la défense de leur statut par les cheminots. Les uns sont des apprentis révolutionnaires qui rêvent d’un nouveau Mai 68 qui leur mettrait le pain et la brioche gratuitement dans la bouche sans se fatiguer, les autres sont le symbole d’une France qui ne doit pas céder aux injonctions du mondialisme. C’est un combat qu’il ne faut pas perdre, sur lequel il ne faut pas céder un pouce de terrain. Il n’y a donc pas coagulation entre la colère des employés du service public et les petites manips de Besancenot et consorts dans les facs BQ (de basse qualité), mais il y a un empilement des mécontentements manifeste !
« Le mécontentement des cheminots ou des étudiants n’est pas celui des hôpitaux, celui-là est lié à une situation installée depuis des années. »
Du côté extérieur, l’alignement de la France sur les intérêts anglo-américains, et donc israéliens, est une catastrophe morale, diplomatique et, à terme, économique. Qu’on se souvienne seulement des conséquences des sanctions antirusses décidées par les Américains et imposées aux pays européens, un coup indirect porté contre nos agriculteurs, dont certains ne se sont pas remis. Alors que les Russes, eux, courageusement, ont réorienté leur économie et leurs achats.
Interrogé sur sa panoplie de « gendarme du monde », ou plutôt de gendarmette, Macron a cru bon de se justifier en reprenant la substance du tweet délirant de Jakubowicz :
« De là où je suis, on ne peut pas se contenter de faire des leçons de morale en regardant un peuple se faire gazer. »
Sébastien Chenu, aux arguments des macronistes qui affirment que les frappes étaient nécessaires à cause des vétos russes, a demandé s'il fallait faire la même chose en Palestine à cause des vétos US. Pas de réponse...
— Jonathan Moadab (@Moadab_RTfr) 15 avril 2018
L’exercice entier aura duré 2h38. Le jeune Macron, 40 berges au compteur, aura mieux résisté en seconde mi-temps à ses deux juges soixantenaires. On ne peut pas imaginer un instant qu’il n’ait pas compté sur une victoire à l’usure.