La presse pousse des hauts cris, mais quoi de plus logique ? Suite au tremblement de terre du 7 mai 2017, où un candidat inconnu du monde extrabancaire a volé le titre promis au parti de l’alternance – après Hollande et le PS c’était au tour de LR et de Fillon –, la recomposition à la hussarde du paysage politique français continue. Entre-temps il y a eu la révolte des Gilets jaunes (nous en sommes au 30e Acte), que Macron a réprimée dans le sang. Un petit Louis-Philippe est en train de naître. Celui que tout le monde donnait politiquement mourant il y a six mois règne aujourd’hui sur un champ de ruines. On parle de l’opposition, pas de la France. Du moins pas encore.
C’est la sensation de ce dimanche 9 juin 2019 : 72 élus locaux de droite et du centre ont fait allégeance au nouveau monarque, après la branlée prise par Les Républicains au dernier scrutin européen (8,5% le 26 mai 2019). Comme l’analysent justement Patrick Buisson, cette fine lame du politique, et Éric Zemmour, qui rêve lui aussi d’un destin bonapartiste en 2022, deux larrons qui travaillent désormais de concert à la création d’un candidat national-sioniste, la bourgeoisie de droite rejoint logiquement sa petite sœur de gauche dans un bel ensemble libéral qui domine les forces éclatées du souverainisme : le RN ne peut gagner seul, et LFi est en train d’imploser (la cofondatrice du mouvement Charlotte Girard vient de claquer la porte).
Car la bourgeoisie trahit, c’est dans ses gènes : c’est le camp capable de s’allier avec l’étranger ou l’ennemi du peuple pour conserver ses prébendes. On a vu ça dans presque toutes les crises depuis 1830 (des centaines d’ouvriers mourront pour la nouvelle monarchie bourgeoise libérale) ou 1848 (la répression de la Banque contre le peuple de Paris sera impitoyable). Le sentiment national de la bourgeoisie française est sujet à flottements.
Les statistiques disent que le XVIe arrondissement parisien et Versailles ont voté massivement pour Macron (à 46% contre 24 pour Bellamy à Paris XVIe et à 29 contre 27 à Versailles), qui est pourtant, en termes de valeurs, aux antipodes de leur credo. Mais il y a le cœur, et le portefeuille. On comprend que le portefeuille l’emporte sur le cœur. On ne serait pas étonnés que Macron travaille avec des sociologues armés d’outils du big data, comme il l’a d’ailleurs fait avec profit lors du scrutin présidentiel. Son élection est due en partie à l’analyse fine des tendances sociologiques en cours. Ceci étant posé, passons au fait du jour.
Les observateurs lucides de la vie politique savent que les élections européennes ne servent à rien, que les élections législatives non plus, sauf à faire rentrer du fric dans les caisses des partis en dealant avec des puissances économiques influentes, c’est-à-dire les lobbies (agro-alimentaire, pharmaceutique, viticole, LGBT, bancaire ou sioniste...). En revanche, l’élection importante, celle qui ancre dans le territoire, celle qui offre des milliers de postes aux militants et aux amis, ce sont les municipales (2020 en ligne de mire). Il y a 35 500 maires en France qui sont entourés d’une équipe plus ou moins étoffée. Par exemple, et notre exemple n’est pas pris au hasard, les effectifs de la ville de Pantin (93, du maire PS Bertrand Kern) se montent à 1 800 personnes – ce que la Cour des comptes a dénoncé – pour 55 000 habitants seulement. On comprend avec cet exemple l’importance de l’implantation locale pour les partis, surtout quand on se réfère au tableau des rémunérations (des maires).
Ces maires ou élus de droite (et du centre, mais c’est pénible de toujours rajouter « et du centre ») ont donc compris qu’ils perdraient leur pouvoir local s’ils persistaient à se présenter sous la bannière d’une droite éclatée, d’une droite qui n’a plus de colonne vertébrale, minée par les divisions, les projets et les personnes depuis toujours, alors que le projet macronien est simple : on propose à une partie des électeurs (et aux élus) de conserver leurs intérêts, donc les différences de revenus, donc l’injustice sociale, et ceux qui ne sont pas contents (les Gilets jaunes ou la France périphérique, ou la France perdante de la mondialisation) seront réprimés par la police, un poing c’est tout. Cette France égoïste qui pourtant partage pas mal fiscalement existe (retraités, cadres, CSP+ en gros), elle constitue un socle électoral, et 20 à 25% des voix suffisent aujourd’hui à prendre et à garder le pouvoir pour un as des participations minoritaires croisées mais décisives comme Macron. N’oublions pas que c’était son boulot chez Rothschild.
Concrètement, comment s’est opéré ce recentrage bourgeois qui s’assoit sur les valeurs ? Le Monde du jour décrit le processus de trahison politico-sociale :
« L’initiative est partie de Christophe Béchu, maire divers droite d’Angers et ancien porte-parole d’Alain Juppé pendant la primaire de la droite en 2016, et elle a séduit les maires de villes moyennes comme Orléans, Tourcoing, Deauville, Niort, Amiens, Valenciennes, Vannes, Nancy, Sète ou Albi. Parmi eux, des élus de droite et du centre, issus de l’UDI, du parti Les Républicains (LR), des Radicaux, du Nouveau Centre ou d’Agir. »
On voit que de la droite gaulliste ou droite sociale il ne reste plus grand-chose. Angers, Orléans et Vannes sont des fiefs catholiques : Orléans est la ville d’où est partie la fameuse rumeur (antisémite) en 1969 et Vannes est une ville pieuse. Quant à Angers, cette cité à l’héritage catholique (chouans obligent) désormais pacifiée qui a inspiré la douceur angevine, c’est l’écrivain Danièle Sallenave qui en parle le mieux dans L’Églantine et le muguet (2018) :
On comprend à travers elle le basculement du catholique à la République, un travail souterrain sur deux siècles élaboré par les loges maçonniques. Pas étonnant que ce soit Christophe Béchu qui soit à l’origine de l’initiative. Où l’on retombe sur les catholiques zombies d’Emmanuel Todd. Mais les arguments des félons demeurent douteux :
« Nous sommes de ceux qui souhaitent la réussite impérative de la France, c’est pourquoi nous voulons la réussite du président de la République et du gouvernement car rien ne se construira sur leur échec », écrivent-ils, en rappelant en préambule que « le grand débat voulu par le Président de la République a révélé les aspirations légitimes de Français qui se sentent délaissés, éloignés, relégués. Il a également souligné le rôle pivot des maires et des élus locaux dans notre République. »
Les électeurs de ces dizaines de maires passés à la Macronie vont avoir des surprises, le libéralisme ne faisant pas de détails. Heureusement, Béchu a une solution : la Journée citoyenne !
« C’est l’idée de Fabian Jordan, qui est maintenant le président de l’agglomération de Mulhouse et qui l’a lancée comme maire de Berrwiller (Haut-Rhin). Ça n’a jamais fait l’objet d’une loi, d’un amendement, d’un règlement et pourtant aujourd’hui 2 000 communes en organisent une en France – avec 4 000 personnes à Angers cette année. C’est un élan de générosité qui répond à la crise du vivre ensemble. Cette association, c’est la volonté de faire entre nous un club d’échanges de bonnes pratiques, dans lequel on va valoriser des initiatives qui ont été prises par des maires pour qu’elles se propagent. »
On a donc été jeter un œil sur le principe de la Journée citoyenne à Mulhouse, et on est tombé là-dessus :
« La Journée Citoyenne est une journée ayant pour but de mobiliser les habitants de Mulhouse autour d’une cause : améliorer concrètement leur cadre de vie, durant une journée conviviale qui favorise la création de lien social.
Chaque année depuis 2012, la Journée citoyenne réunit les habitants bénévoles durant une journée ou une demi-journée, afin d’effectuer divers travaux : gravillonnage, peinture, jardinage, rangement… Les chantiers ne manquent pas, et ont été proposés exclusivement à l’initiative des habitants au courant du mois de Mars. Tous les Mulhousiens volontaires sont bienvenus pour participer à ces chantiers, quels que soient leurs âges et leurs compétences.
Ces chantiers sont également un moyen de faire se rencontrer les habitants de Mulhouse, en favorisant les échanges, les rencontres et la communication entre les habitants, toutes générations confondues. De plus, associations, élus, entreprises et services municipaux sont également invités à participer à ces chantiers. Un temps convivial clôture les chantiers, durant lequel un repas sera servi à tous les participants,sous forme de déjeuner commun au Gymnase de la Doller, rue de Toulon. »
Soit un mélange entre le samedi communiste (bosser gratos un jour sur sept pour « l’édification du socialisme ») et la Fête des voisins en France (recréer du lien social en milieu urbain en partageant un buffet avec ses voisins)... Béchu pense que la Journée citoyenne va permettre de faire baisser la tension sociale, c’est-à-dire la révolte des Gilets jaunes. Pas sûr que le marketing « citoyen » ait raison de l’injustice sociale qui profite aux bourgeoisies et des mouvements puissants de la lutte de classes...
Béchu, le Macron angevin (en 2014), a participé au groupe Bilderberg en 2012 :