Comment transformer Limonov en progressiste
Pour qui a lu un peu Limonov, cette bande-annonce annonce une catastrophe culturelle hollywoodiste, la récupération-Système d’une figure assez spectaculaire de la littérature soviétique. Les résignés diront que ça permettra aux jeunes générations de découvrir le poète russo-ukrainien, entre deux jeux vidéos et deux pornos sur jerktube.
Le capitalisme est très fort, il recycle même les crachats qu’il reçoit et les transforme en dollars. On applaudit le tour de force, d’arriver à tuer ou contrôler n’importe quelle rébellion. Le biopic, ce meurtre commercial, est fait pour tuer l’imagination. On peut parler d’un petit remplacement mental : on finit par s’imaginer que Piaf était aussi jolie que Marion Cotillard, cette écolo en carton. Tout se brouille, les détails, les frontières, et, finalement, le vrai et le faux. Le biopic est une fabrique de faux autorisée, faux en écriture et en image. C’est pas original ? Non, et alors ?
D’aussi loin qu’on se souvient, ou souvienne, car Limonov est une lecture de jeunesse, quand on est punk, Ed est ce type un peu fou qui voyoute à Kharkov puis à Moscou dans les années 60-70, jouant à l’écrivain maudit ; il l’est peut-être un peu. Son fil rouge, c’est sa relation avec sa brunette, genre L’Amour braque de Zulawski, qui avait pris la Marceau à 15 ou 16 ans, ou 14. Edward (ça fait américain) n’a pas un kopek, écrit des poèmes (le meilleur moyen de rester pauvre mais avec un gros capital culturel), l’équivalent du chanteur de rock dans la Russie soviétique, se débat dans la misère et les bagarres et puis un jour émigre à New York, où il devient le majordome d’un millionnaire, on ne sait pas trop comment. Il fréquente le lumpen-prolétariat local, histoire de ne pas changer d’air, découvre les relations homosexuelles, ensuite nos souvenirs deviennent flous. À vrai dire, au milieu de ce bordel, quelques bribes surnagent. On le retrouve au milieu des années 90 devant Sarajevo, à faire la guerre pour les Serbes, tirant à la mitrailleuse pendant le siège de la ville, qui dura quatre ans.
Politiquement, Limonov c’est assez flou aussi parce que variable, ça flirte avec un national-communisme mâtiné d’admiration de l’Amérique. Il y a sûrement mieux que nous pour faire un portrait politique posthume ou démolir une transfiguration hollywoodiste. Le truc qui nous a marqués, c’est son hiver à Moscou avec sa poule, sans chauffage, du moins vingt tous les jours, pas un flèche et un simple tonneau de chou fermenté pour seule nourriture. Le mec perdra quinze kilos en une saison, alors qu’il est déjà maigre, limite zek. Avis aux obèses qui nous lisent. Savoir que la choucroute est un excellent aliment.
Elle désinfecte le système digestif et régénère la flore intestinale. Elle donne de l’énergie, désintoxique le corps, agit contre la constipation et les hémorroïdes. Sa richesse en vitamine C permet de mieux résister aux infections, d’améliorer les défenses immunitaires et de lutter contre les coups de fatigue. (Internet)
Les détenteurs de la carte illimitée UGC (attention : ils vous piquent vingt euros de frais à chaque prélèvement refusé, même invérifiable) ne doivent donc pas s’attendre à du national-communisme, encore moins antisémite.
Car le réalisateur est un progressiste russe (de père juif et de mère ukrainienne) pro-Pussy Riot à qui on doit le film adolescent Leto sur la vie d’un groupe de rock à Léningrad au début des années 80. Figurez-vous que son prochain film s’intitule La Disparition de Joseph Mengele, adapté du livre d’Olivier Guez… Un shoah-movie qui dénonce le vilain Mengele 80 ans plus tard, on sent qu’on va rire.
Avec un peu de couilles, le Kirill (Serebrennikov) aurait pu faire le biopic bien punk du PDG de Pfizer, le Mengele contemporain. L’autre, l’amateur, est mort bouffé par les caïmans quelque part en Amérique latine, mais ça a valu un prix littéraire à la mère Guez. C’est tiré par les poils de papillotes ? C’est en tout cas raccord avec ce qui suit.