L’écrivain et dissident Édouard Limonov est mort aujourd’hui, à l’âge de 77 ans, a annoncé le romancier et député russe Serguei Chargounov sur le site d’opposition russe mediazona, une information confirmée par un bref communiqué du parti politique Drugaya Rossiya (L’Autre Russie), fondé le 10 juillet 2010 par Édouard Limonov, après l’interdiction du Parti national-bolchévique, en 2006. « Aujourd’hui, 17 mars, est mort à Moscou Édouard Limonov. Tous les détails seront transmis demain », a expliqué le parti, dans un message publié sur son site Internet.
Édouard Veniaminovitch Savenko, dit Édouard Limonov était né le 22 février 1943, à Dzerjinsk, en URSS. Journaliste, nous l’avions découvert, il y a une trentaine d’années, à travers ses prodigieux reportages punks dans feu L’Idiot international de Jean-Edern Hallier. Puis il était rentré en Russie. Faire un coup d’État, qu’il a raté. Des coups d’éclats, qu’il a réussi. Limonov a tout connu. La prison et les grands livres. Vieux compagnon de route d’Éléments, l’écrivain russe était venu saluer la rédaction lors de son dernier séjour parisien, en juin 2019, à l’occasion d’un reportage sur les Gilets jaunes. Limonov était venu à Paris pour les rencontrer, voir, s’informer directement auprès d’eux. « Il y a chez eux un mélange "gauche-droite" qui me plaît », nous avait-il confié dans sa dernière interview, publié en septembre 2019 dans la revue Éléments, que nous publions ci-après.
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Élément : Qu’est-ce que Poutine vous a fait pour le détester autant ? N’a-t-il pas accompli plus que ne pouvait espérer l’auteur du Manifeste du nationalisme russe ? Ne vous aurait-il pas volé votre rêve : la restauration de la puissance russe ?
Édouard Limonov : Pour son premier mandat en 1999, Vladimir Poutine était un politicien libéral somme toute classique, comme nous en avons eu beaucoup trop, qui s’entourait de playboys libéraux comme Berlusconi ou votre président Sarkozy. J’avais donc tout lieu d’être contre lui. Et non, il n’a pas volé mon rêve puisque encore aujourd’hui notre système social et économique demeure toujours profondément libéral. Poutine devra trancher cette contradiction. Aujourd’hui, la Russie est un pays plus inégalitaire que l’Inde ! 1 % de la population russe possède plus de 60 % de la richesse nationale. Aux États-Unis, une société qui n’est pas spécialement égalitaire, les 1 % les plus riches possèdent seulement 35 % de la richesse nationale. Alors c’est vrai, le parti national-bolchevik défendait l’idée d’une société moins inégalitaire. Cela dit, Poutine a changé. Il a vieilli. Il est devenu plus sage, plus sérieux. Il y a eu manifestement un tournant après le passage de Dimitri Medvedev à la présidence. Je ne déteste pas Poutine. Mon regard sur lui a évolué. Comme chef d’État, il est mieux que Boris Eltsine. Mais il reste le chef d’un État bourgeois où les oligarques ont tous les droits et les citoyens très peu. Il faut néanmoins reconnaître que, dans l’actuelle guerre froide contre l’Occident, il a tenu des positions patriotiques.
On a l’impression que votre regard sur l’Union soviétique a changé. Avant la chute du régime, vous ne lui ménagiez pas vos critiques, mais il en a été différemment lorsqu’il s’est effondré : vous avez commencé à en regretter certains aspects et à faire montre d’une certaine nostalgie. Est-ce votre opinion qui a évolué ou faut-il y voir plutôt une manière de rester fidèle à votre statut d’opposant à tous les régimes ?
Je suis beaucoup moins nostalgique que n’importe quel autre leader politique russe ! Je ne me suis jamais attardé sur des figures comme Staline, pour m’en tenir à lui. Je n’ai jamais pensé le modèle soviétique en termes de modèle. Non vraiment, je ne suis pas nostalgique, j’ai l’âme trop pratique. Je pense à l’avenir plutôt.
Êtes-vous un chef de parti ou un chef d’école littéraire ?
Je me considère hélas comme un politicien raté ! J’ai rappelé à mon pays quelques idées importantes, comme le patriotisme, à une époque où le pouvoir était complètement sous la coupe des libéraux.
Auriez-vous préféré réussir un coup d’État plutôt que vos livres ?
Réussir un coup d’état, certainement. J’ai été forcé de me cacher derrière mes livres.
Physiquement, on vous a souvent comparé à Trotski. Quel regard portez-vous sur ce personnage qui a, lui, réussi son coup d’État ?
Trotski est un personnage important de la Révolution russe, peut-être plus important que Lénine, tacticien génial, fondateur de l’Armée rouge. Malaparte avait raison de dire qu’il avait le génie du coup d’État. Mais ces comparaisons avec les personnages du passé sont très approximatives et ne révèlent finalement rien de moi. C’est une mode depuis le roman d’Emmanuel Carrère : un jour je suis un Jack London russe, puis le lendemain une sorte de « Barry Lindon soviétique ». Finalement, cela ne veut rien dire.
Qu’est devenu le parti national-bolchevik ? Pourquoi la rupture avec Alexandre Douguine ? Est-ce parce que vous ne partagiez pas son grand rêve eurasien ? À vrai dire, pour nous, lecteurs des auteurs de la galaxie national-bolchevik, c’est assez mystérieux. On vous imagine cent fois plus proches de Zakhar Prilepine et d’Alexandre Douguine ; or, c’est Garry Kasparov, un libéral, que vous avez suivi, certes qu’un temps. Pourquoi ?
Primo, Kasparov est un con et un lâche. Deuxio, les raisons de ma rupture avec Alexandre Douguine n’ont aucune importance à mon avis. C’est un penseur estimable, mais pas un animateur de parti politique. Pour le reste, je ne m’intéresse pas aux mythologies d’origine. C’est certainement intéressant dans le monde des idées, mais, politiquement parlant, l’idée eurasienne n’est pas plus défendable que le panslavisme par exemple. L’eurasisme était un rêve de quelques politiciens et savants exaltés, qui avaient échoué à Prague.
Quels souvenirs gardez-vous de votre séjour parisien dans les années 1990 ?
Principalement, les réunions de rédaction de L’Idiot international place des Vosges, dans le grand appartement de Jean-Edern Hallier. Pour la première fois en France, des écrivains de gauche côtoyaient des écrivains de droite. J’y ai rencontré pour la première fois Alain de Benoist d’ailleurs… Je me souviens d’un jour, alors que l’on attendait Jean-Marie Le Pen, le patron du FN, et Henri Krasucki, celui de la CGT, Philippe Sollers s’était mis au piano pour jouer L’Internationale. Curieux, non ? La France de cette époque-là n’avait pas l’habitude d’avoir une telle salade « rouge-brun » dans la même assiette.
Depuis la mort de Jean-Edern Hallier, y a-t-il encore quelque chose à faire en France ?
Ah Jean-Edern, il me manque ! Il n’était pas courageux, un peu faible, toujours la tête ailleurs, mais il me manque. Bien sûr, il y a toujours quelque chose à attendre du peuple français, les Gilets jaunes par exemple. Ils représentent un espoir, un exemple aussi pour nous, Russes. Je suis venu à Paris pour les rencontrer, voir, m’informer directement sur place. Il y a chez eux un mélange « droite-gauche » qui me plaît, un peu comme dans le parti national-bolchevik que nous avions créé en 1992, avec Alexandre Douguine. Nous étions en avance. Aujourd’hui, la France nous rattrape.
Comment voyez-vous « le grand hospice occidental » ? Plus que jamais comme une maison de retraite, un club de vacances et de vacanciers, un tombeau ?
Curieusement, j’étais plus pessimiste à l’époque pour l’Europe de l’Ouest qu’aujourd’hui. Je pensais l’Europe perdue. J’ai traversé tout Paris avec la foule énorme des Gilets jaunes, cela m’a rappelé les grandes manifestations de Moscou dans les années 1980. J’ai été impressionné par la foule. J’ai suivi chaque acte des Gilets jaunes et j’en rendais compte le dimanche dans les journaux et sur les sites russes.
Vous étiez à l’époque aussi proche de l’écrivain Patrick Besson…
Beaucoup de talent, mais toujours un peu timide politiquement. Il est devenu une sorte d’écrivain bourgeois, non ? Grand et gros avec des pensées bourgeoises qui vont avec. Il a toujours pensé en termes de réussite bourgeoise, trop sarcastique et ironique pour avoir la tête politique. Un jour, il est venu à Moscou pour un article. Il n’était préoccupé que par des détails inutiles de la vie et les yeux de sa traductrice. Typiquement bourgeois. Comme ses réactions. Il pensait que la politique était pour moi une occupation « à côté », « pas sérieuse ». Attends Besson, nous avons eu dix-sept morts ! J’ai été condamné à quatre ans de prison. Et tu me dis que ce n’est pas sérieux, la politique ! Chaque année, je vais au cimetière pour mes camarades.
Où vous situez-vous politiquement ? Le rouge et le brun restent-ils vos couleurs fétiches ?
Je reste toujours un radical. Je dis toujours à mes amis qu’il faut être plus radical maintenant qu’il y a vingt ans. Je les préviens même : « Vos enfants seront pires que vous ! » D’ailleurs, c’est un calvaire pour les arracher de leur ordinateur !
L’action violente reste-t-elle toujours à l’ordre du jour ? Continuez-vous de lire des chapitres de L’Agression du biologiste prix Nobel Konrad Lorenz, en célébrant la force brute, l’élan vital et l’énergie ? Les barbares ? La Horde d’or ?
La violence est plus que jamais nécessaire. L’agression est politique.
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Dans la discothèque parisienne Le Palace, Thierry Ardisson s’entretient avec l’écrivain Édouard Limonov à propos de son livre La Grande Époque. Ils détaillent sa tenue vestimentaire, parlent de son père soldat dans l’armée rouge, de l’époque du Stalinisme, de l’intervention de l’armée rouge en Afghanistan, du capitalisme, du communisme, de la Russie...