Madame Pieiller,
Vous avez signé un article dans Le Monde diplomatique consacré au cas d’Alain Soral, que vous identifiez comme une figure de proue de l’entreprise de dépossession des valeurs de « la gauche » par « l’extrême droite ».
Sous le vernis d’impartialité analytique de votre article perce l’impérieuse nécessité d’une réappropriation de ces idéaux dont « la gauche », jadis usufruitière, se voit « détroussée ».
Vous attribuez d’ailleurs la responsabilité de cette rapine à la victime, laquelle se serait laissée dépouiller de ses bijoux de famille idéologiques, acculée ainsi à la prévarication par manque d’ambition ou d’impuissance.
C’est justice, car si le trousseau était chatoyant, c’est le peuple qui paye la dot aujourd’hui.
Moscovici acclamé par le Medef, De Benoist plaidant pour nationaliser les banques, les deux Fronts ennemis s’accordant sur la souveraineté populaire... Vous vous alarmez de ce « brouillage des repères dans l’air politique du temps » : où est la droite, où est la gauche ? Comble de l’horreur inversive, un élue communiste candidate à Marseille sous étiquette Front national... Vous prévenez : « Il est peut-être paresseux de considérer que ce sont là des démarches saisissantes, mais anecdotiques (...). C’est bien plutôt le signe d’une sérieuse confusion. »
Où allez vous débusquer les raisons de cette confusion angoissante ? « Les vidéos mensuelles de Soral sur son site (...) permettent d’éclairer ce qui se joue. » Là, celui que vous décrivez élégamment comme la « symbiose d’un adolescent prolongé (...) et d’un individu presque moyen », instillerait à la jeunesse le poison de l’idée de nation comme rempart à l’invasion idéologique libérale.
Si vous lui reconnaissez le mérite de vouloir en finir avec « l’oligarchie de la rente sur le travail humain », vous lui reprochez de privilégier la morale et la nation au détriment de la politique et de la révolution.
« C’est que sa véritable obsession est bien moins la justice sociale que le sauvetage de la France », déplorez-vous. Ce découplage conceptuel de notions que Soral parvient justement à articuler ne sert pas votre démonstration. Car si vous ne vous étiez pas contentée d’écouter mais aviez cherché aussi à comprendre, vous sauriez que la justice sociale est une condition du sauvetage de la France et que face à l’idéologie de la révolution permanente, seule une éthique enracinée peut prévaloir.
Vous tentez vainement de vider la pensée soralienne de sa dimension politique en la réduisant à une morale individuelle imprégnée de mystique nationale. À quelle fin ?
L’explication ne tarde pas :
« Évidemment, il lui est facile de préférer parler d’antisionisme ou d’opposition à la politique d’Israël. Mais c’est tout bonnement de l’antisémitisme. »
Et vous ajoutez :
« Pourtant, ce déchaînement maniaque ne suffit pas à le discréditer auprès de ses fidèles. C’est que les théories du complot (...) renvoient à ce grand sentiment d’impuissance (...) que n’atténuent guère les attaques (...) fréquentes contre les élites et l’oligarchie. »
Où l’on peut grâce à vous distinguer clairement deux types de remèdes à ce « grand sentiment d’impuissance » : combattre l’oligarchie en l’attaquant ou la servir en dénigrant ceux qui ont le courage de le faire.
Ainsi, vos concessions frileuses (« C’est sans doute aussi que, parfois, existent des arrangements effectivement tenus secrets ») dissimulent avec peine combien les catégories dont vous usez appartiennent à ceux que vous prétendez combattre.
Vous qualifiez la partition bicéphale de la représentation politique de « repère idéologique ». Cette expression laudative masque la nature réelle de ces piliers spectaculaires du temple « démocratique » : ce ne sont que les slogans publicitaires d’une entreprise à visée unique consistant à faire plier les peuples face aux ambitions de l’oligarchie financière mondiale. Tout semble démontrer dans vos propos que ce sont surtout les repères idéologiques de la gauche radicale qui volent en éclat face à la réalité.
Quand l’Histoire fait tomber les masques, les rapports de forces réels apparaissent. Qu’un homme se lève et livre au peuple une synthèse des enjeux structurels que ces rapports de force impliquent et voilà la gauche radicale qui se gratte la tête en se demandant pourquoi le réel ne rentre plus dans le moule idéologique de l’internationalisme prolétaire.
Afin de vous éviter une céphalée, je vais vous livrer un remède : acceptez l’idée que l’Internationale communiste est un instrument historique et idéologique du Capital mondial.
Déposez votre hochet « rouge-brun » au pied de ses concepteurs et cessez de convoquer l’Histoire pour faire trembler dans les chaumières. Il n’y a pas d’un côté « la gauche déterminée à créer les conditions d’une véritable justice sociale » et de l’autre « la droite extrême » dont elle devrait urgemment se distinguer en pérorant son dégoût.
Alain Soral prône un nationalisme social, c’est-à-dire une organisation économique et politique fondée sur la justice sociale et l’unité nationale afin de lutter contre l’injustice sociale et la guerre civile voulues par les oligarchies transnationales.
Il est évidemment diablement tentant pour ses adversaires d’agiter la menace nazie afin de le discréditer. Malheureusement pour eux, de plus en plus de Français se libèrent du carcan idéologique de la « gauche » et constatent que le nationalisme social français n’a rien à voir avec un projet de suprématie raciale germanique.
Vous aurez eu au moins le mérite de vous y essayer avec un peu moins de balourdise que certains de vos confrères.
Max Lévy