Je m’adresse à mes frères catholiques français ; notre silence face au sort des Gazaouis – et des Palestiniens de Cisjordanie dans la terrible guerre qui se déroule au Proche-Orient – devient de plus en plus difficile à défendre. Il était d’ailleurs dès le mois d’octobre indéfendable ! Il serait temps que nous élevions la voix !
26 900 morts et 66 000 blessés parmi les civils Gazaouis depuis qu’Israël a lancé une guerre non pas « contre le Hamas » mais contre la population de Gaza, faute d’arriver à vaincre la résistance palestinienne ! Ce que nous donnons, ce sont les chiffres du ministère de la Santé du territoire de Gaza.
Même si l’assaillant fait en sorte que le moins possible d’informations filtrent – plus de 100 journalistes ont été délibérément tués par Tsahal – le terrible bilan de l’actuelle guerre commence à être établi. La Cour internationale de justice, dans le jugement en urgence qu’elle a rendu suite à la requête sud-africaine, a pris au sérieux le terrible bilan dressé par la République sud-africaine.
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Cet accablant silence des catholiques français
Je m’adresse à mes frères catholiques, dont je comprends de moins en moins le silence. Je pense bien entendu, pour commencer à nos évêques. En actionnant le moteur de recherche du site de la Conférence des évêques de France, je vois bien une lettre de soutien du président de la CEF, Monseigneur de Moulins-Beaufort, adressée au patriarche de Jérusalem, après l’assassinat de deux chrétiennes par l’armée israélienne dans l’enceinte de la paroisse catholique de Gaza. C’est important mais un peu court.
Ici, au Courrier [des stratèges, NDLR], nous avons, dès les premiers jours de la guerre, attiré l’attention sur les souffrances des chrétiens de Gaza. Mais nous n’éprouvons pas moins de compassion pour les souffrances des autres habitants de Terre Sainte depuis le 7 octobre. Avant de parler de juifs ou de musulmans, ce sont des êtres humains que nous voyons.
Chez les autorités catholiques françaises, il y a eu un peu d’émotion à la nouvelle des victimes juives de la guerre déclenchée par la résistance palestinienne le 7 octobre. Mais je n’ai rien entendu de significatif concernant le sort de nos autres frères dans la foi d’Abraham, les musulmans de Palestine. Je peux avoir manqué tel texte ou telle prise de position. Mais avouons que cela veut dire qu’il n’y a rien eu de très audible.
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Les mauvaises raisons possibles de ce silence
Comment expliquer ce silence ? À vrai dire, je ne vois que de mauvaises.
L’attaque du 7 octobre ? Je laisse de côté les rectifications documentées dans la presse israélienne elle-même, des événements du 7 octobre. En admettant même qu’il se soit agi d’une attaque terroriste pour massacrer des civils (il s’agissait en fait d’une attaque d’abord militaire pour déstabiliser Tsahal et prendre des otages afin de négocier la libération de prisonniers palestiniens), où a-t-on vu qu’un massacre puisse en légitimer un autre ? A fortiori quand les pertes deviennent asymétriques au point que nous connaissons aujourd’hui !
Le risque pour le dialogue avec nos « frères aînés dans la foi », pour reprendre la belle formule de saint Jean-Paul II ? Mais où a-t-on vu que la vérité doive être sacrifiée sur l’autel du dialogue entre frères ? D’abord, le soutien au gouvernement Netanyahu est loin d’être unanime parmi les juifs du monde. Ensuite, il serait étonnant que des catholiques férus de dialogue avec ceux sont nous partageons une grande partie des Écritures saintes oublient l’essence même du prophétisme hébreu, la défense des faibles, des pauvres et des opprimés. Dans le Premier Testament, ils sont les protégés de Dieu. Pour nous chrétiens, ils sont même l’image par excellence du Christ !
La peur de l’Islam ? Mais qui est le fort et qui est le faible dans le (pseudo-)choc des civilisations depuis vingt ans ? Qui n’a cessé de bombarder des populations musulmanes depuis des décennies, sinon les États-Unis et leurs alliés – dont Israël ? À vrai dire, quand je pense aux souffrances qu’ont subies nos frères musulmans, fils d’Abraham d’une autre manière que nous, mais incontestable (on lira sur ce point le grand Louis Massignon) en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye, je suis surpris que la réaction de l’Islam n’ait pas été plus violente. La violence des islamistes, indéniable, est pourtant très asymétrique avec celle de cette machine à tuer des civils qu’est devenue l’armée américaine – Israël copiant de plus en plus son protecteur.
Il n’y a pas d’argument qui tienne pour excuser notre silence, comme catholiques français, face aux souffrances des Gazaouis. Il est temps d’élever la voix.