Pour traquer les apprentis djihadistes sur le sol américain, la police fédérale américaine, le FBI, dispose d’une armée grandissante d’informateurs infiltrés.
Mais ceux-ci sont accusés de parfois pousser des personnes influençables à organiser des attentats. Agissant sous couverture et jouissant d’une immunité, un indicateur peut aller jusqu’à désigner une cible ou fournir des armes, afin de mieux confondre des suspects.
« Jouer le jeu »
« Il faut qu’ils soient convaincus que vous êtes de leur bord », justifie Mubin Shaikh, un ex-agent clandestin, auteur de l’ouvrage « Undercover Jihadi ». « Vous devez jouer le jeu, faire ce qu’ils vous disent, sinon toute l’opération est compromise ». Selon lui, suggérer fait partie du « jeu ».
Un jour, Mubin Shaikh reçoit pour mission d’aller sonder un extrémiste présumé. « Je lui ai dit : "Il se pourrait que nous organisions en décembre un camp (d’entraînement au djihad). Tu ne voudrais pas venir former quelques gars ?" Il m’a parfaitement compris, mais a répondu : "Non mon frère, je suis là pour étudier la religion". Très bien, j’en ai conclu qu’il n’était pas le genre de type que l’on recherchait, il n’a pas mordu à l’hameçon. Mais si je dis exactement la même chose à quelqu’un d’autre et qu’il répond : "Oh oui", je ne tends pas un piège déloyal. C’est lui qui se fait prendre », explique l’ancien infiltré dans les renseignements canadiens, qui ont des méthodes de travail similaires aux services américains.
15 000 informateurs
Le FBI dispose selon les chiffres généralement admis d’au moins 15 000 informateurs souterrains, souvent grassement rétribués, engagés dans une vaste gamme d’enquêtes, de la pédophilie aux stupéfiants. Mais l’identification des sympathisants de l’État islamique (EI), dont le nombre connaît un essor « spectaculaire », mobilise désormais les énergies.
« Cet été, nous avons pisté des dizaines et des dizaines de personnes, dans tous les États-Unis », a déclaré le 8 octobre le chef du FBI, James Comey. « Nous avons perturbé les plans de beaucoup ».
Problème : dans certaines opérations, des infiltrés font un véritable « forcing » pour inciter des suspects à réaliser des actes qu’ils n’auraient peut-être sinon jamais commis. Le 10 avril, le FBI annonçait l’arrestation d’un homme de 20 ans, John Booker, prêt à perpétrer un attentat-suicide à la voiture piégée contre une base militaire du Kansas. Or selon le compte-rendu d’enquête consulté par l’AFP, John Booker était depuis six mois manipulé par le FBI.
« Créer des terroristes »
Ce sont des agents infiltrés qui ont aidé l’apprenti djihadiste à réaliser sa vidéo de « martyr ». Ils lui ont fourni la liste des composants nécessaires pour sa bombe. Enfin, ils ont confectionné l’engin – en fait inactivé – et l’ont remis avec un véhicule au suspect.
Dans un rapport de juillet 2014, l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch avait accusé le FBI de « créer des terroristes » en ciblant des personnes vulnérables, dans des coups montés.
Murtaza Hussain a lui coréalisé une contre-enquête édifiante, publiée fin juin, sur « les Cinq de Fort Dix », des hommes d’origine albanaise impliqués dans un projet d’attentat contre une base militaire dans le New Jersey. Quatre ont été condamnés à la prison à vie, dont trois frères.
Avant leur arrestation en 2007, ils avaient été placés 18 mois sous surveillance, après avoir tourné une vidéo de vacances les montrant s’amusant à tirer sur des cibles en pleine nature – une activité courante aux États-Unis – en criant « Allah est le plus grand ». Ils n’avaient jusqu’alors manifesté aucun désir d’attentat.