Les black blocs tombés le 1er mai aux mains de la police ne sont pas des « clients » faciles : ils appliquent en effet les leçons tirées de l’expérience des plus aguerris d’entre eux. Pour sortir au plus vite de la nasse judiciaire, tous ont appris par cœur un document de deux feuillets intitulé « Que faire en cas d’arrestation ? », qui récapitule la marche à suivre.
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« S’en sortir individuellement et collectivement »
Mais les deux feuillets destinés aux militants du black bloc n’ont rien d’une défense de l’État de droit : il s’agit de protéger... le black bloc :
« Si la police t’arrête en manif ou en action [...], il y a quelques règles à connaître pour t’en sortir individuellement et collectivement. »
« En garde à vue, tu peux demander [...] à voir un avocat (choisis bien ce que tu lui dis, il ou elle n’est pas forcément ton complice). Dans les interrogatoires, la meilleure déclaration est “Je n’ai rien à déclarer”. Tu dois éviter le off avec les policiers. Ils peuvent mentir sur les faits. Ne déclare rien sur toi ou sur les autres. Sache que tu peux très vite sans le savoir contredire les versions des autres, voire donner des éléments à charge contre toi ou contre eux. [...] Il est vivement conseillé de ne pas donner ton ADN, ce qui pourrait permettre de t’identifier à l’avenir dans d’autres affaires. »
Voilà pour le cas où le militant est lui-même placé en garde à vue. Les consignes s’adressent également au camarade témoin d’une interpellation : en cas de contact avec un avocat – les noms et portables de ces derniers sont indiqués sur le document que la police a retrouvé sur des personnes interpellées –, « le but est de donner le moins d’infos possible par téléphone. Ne donne aucun nom par téléphone, et aucune info sur les infractions commises, par exemple, ne pas dire "mon ami était en train de taguer". »
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Les black blocs comptent également sur un réseau de journalistes amis et communicants des réseaux sociaux. Un tweet ou un post, une indignation sur le traitement singulier que leur réserveraient les forces de l’ordre, sont considérés comme une arme très efficace.
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Confession d’un black bloc (bien écouter à 22’45) :
Les Black Blocs par eux-mêmes
Véritable petit manuel de combat publié une première fois en décembre 2000, ce Communiqué au sujet des tactiques et de l’organisation est au Black Bloc – en plus modeste bien sûr – ce que sont à une armée d’État les ouvrages L’Art de la guerre de Sun Tzu et De la guerre de Carl von Clausewitz. Les auteurs du communiqué n’hésitent pas à voir grand, puisque leurs conseils organisationnels et tactiques sont pensés en fonction de Blacks Blocs de plusieurs centaines, voire de mille ou même deux milles participants.
Le Communiqué discute des opérations de reconnaissance du terrain où se déroulera l’action, des communications, de la mise sur pied et de l’utilisation de forces de réserve, des rapports avec les média, de l’entraînement physique entre les actions, de l’importance d’une sorte d’unité de commandement – « le noyau de facilitation tactique » – dont les membres sont élus et révocables en tout temps, pour préserver l’esprit anarchiste de l’organisation. Cette idée sera ouvertement critiquée par des membres du groupe anarchiste Black Star North, qui voient là une tentative « de reproduire des structures hiérarchiques et militaristes au sein des Black Blocs ».
Les auteurs du Communiqué admettent adopter un « ton militariste », mais ils précisent qu’il ne faut pas voir là une invitation à introduire des structures hiérarchiques d’autorité au sein d’un Black Bloc. En juillet 2001, ils proposent d’ailleurs une nouvelle version légèrement modifiée – reproduite ici – suite à des discussions entre des membres du mouvement Anti-Racist Action (ARA) et d’autres du Green Mountain Anarchist Collective qui signaient la première version. Dans cette seconde mouture, ils tentent de préciser leurs propositions tactiques.
Très combatif, le texte fait la promotion de manœuvres sophistiquées adaptées au combat de rue contre les forces de l’État et justifie les frappes contre les symboles de l’État et du capitalisme. Toutefois, les expériences passées d’infiltration policière et certaines confusions quant à l’arrimage des Black Blocs du Québec et ceux de la Cote Est des États-Unis dans le cadre des manifestations contre le Sommet des Amériques laissent penser que cette réflexion tactique restera sans doute lettre morte : il est peu probable que des Black Blocs de plusieurs milliers de participants, s’il s’en forme, parviennent à mettre en pratique de telles tactiques.
Mais ce texte demeure tout de même exemplaire d’un esprit anarchiste cherchant à s’incarner dans des pratiques politiques et de modes d’action qui, à défaut d’avoir l’ampleur voulue, reste néanmoins adoptés lors des manifestations contre la mondialisation du capitalisme des récentes années. La conclusion du communiqué, le style même, devient presque apocalyptique et messianique : face à un processus inéluctable de répression étatique toujours plus implacable, les militants devront passer à la clandestinité d’où ils lanceront une attaque contre l’État. Cette offensive ne pourra aboutir, selon les auteurs, qu’à une véritable « révolution sociale ».
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