Après treize ans d’un règne sans partage, le revers électoral subi le 7 juin 2015 par le parti du président turc Recep Tayyip Erdogan (AKP) a peu à peu replongé la Turquie dans une spirale sombre que beaucoup espéraient révolue. Plus inquiétant, la stratégie de la tension mise en place par le leader islamo-conservateur pour reconquérir la majorité absolue s’avère désastreuse. Et la multiplication des attentats qui ensanglantent la Turquie ces dernières semaines font craindre le pire.
Tout débute donc en juin. Au lendemain d’élections législatives tendues. Déjà privé de la majorité absolue, le Parti de la justice et du développement (AKP) doit également accepter l’entrée au parlement d’un parti pro-kurde, le HDP (parti démocratique des peuples). Des mesures avaient pourtant été mises en œuvre par Erdogan pour empêcher qu’un tel scénario se produise. Avec un seuil électoral volontairement fixé à 10%, nul ne pensait voir débarquer ces mandataires prokurdes au parlement turc.
13 % des voix plus tard, le HDP entre pourtant à la Grande Assemblée nationale de Turquie. C’est pour les Kurdes un vrai triomphe. Un succès qui doit beaucoup à la politique d’ouverture du mouvement vers la Gauche kurde, les libéraux, les écologistes, les Turcs laïcs et autres minorités réticentes au système présidentiel fort qu’Erdogan avait promis d’instaurer en cas de victoire absolue. La manoeuvre du HDP est habile. Car depuis qu’Erdogan avait officiellement rendu la question kurde "négociable", une partie des Kurdes turcs, modérés, avait pris l’habitude de voter pour l’AKP. Jusqu’en juin 2015.
Et cette entrée au parlement est une première de taille. En effet, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la chute de l’Empire ottoman et la naissance de la République turque, cette importante minorité (environ 20% de la population) n’a jamais été représentée au Parlement. Un camouflet qui passe très mal auprès de celui que ses adversaires surnomment " le nouveau sultan ". Habitué à régner sans partage, ce farouche ennemi de l’autodétermination à laquelle aspirent les Kurdes n’entend pourtant pas en rester là.
Arrive le 20 juillet. Un attentat à la bombe, attribué à l’organisation terroriste Etat islamique, frappe de plein fouet la communauté Kurde de Suruç. Le bilan est lourd. 32 personnes périssent dans cette attaque.
Très vite, le gouvernement turc annonce son intention de réagir militairement à cette agression perpétrée sur son territoire. La communauté internationale donne son blanc-seing presque soulagée de voir, enfin, la Turquie s’en prendre à l’Etat islamique.
Mais pour le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le mouvement armé fondé par Öcalan en 1978, l’annonce est hypocrite. Les Kurdes radicaux considèrent en effet que la Turquie soutient l’Etat islamique dans sa lutte contre les Kurdes d’Irak et de Syrie. Forcément, elle a donc du sang sur les mains. Et dès le lendemain, en représailles, des membres de la guérilla assassinent deux policiers turcs d’une balle dans la tête près de la frontière syrienne.
L’occasion est trop belle. Recep Erdogan profite de l’épisode pour faire voler en éclat le trop fragile cessez-le-feu en cours depuis quelques années. Et dans l’espoir de fédérer à nouveau derrière lui l’électorat nationaliste, le président turc décide alors de rallumer le conflit avec ceux qui menacent l’"unité du pays ", Kurdes en tête. Guerriers du PKK, miliciens de l’Etat islamique et terroristes du Front révolutionnaire de libération du peuple (Dhkp-c), la menace a "de nouveau un visage". Les bombardements aériens et autres mesures de rétorsion reprennent, comme dans les années les plus noires de la lutte entre le PKK et l’Etat turc, les années nonante.