Par une mécanique bien huilée le gauchisme imbibe doucement le mouvement des Gilets jaunes, s’infiltrant dans un soulèvement qu’il n’a pas initié et auquel il est même parfaitement étranger. Cela s’appelle l’entrisme, et c’est vieux comme Trotski.
Mais pour que l’entrisme fonctionne à plein tube, il faut des complices. Apparaissant insidieusement au hasard d’une interview, s’introduisant dans un débat radio-télévisé, appelés à la rescousse comme experts, ce sont toujours des débatteurs penchant à gauche qui sont choisis pour défendre les Gilets jaunes. Que ce soit des personnalités connues (François Ruffin, Juan Branco, Michel Onfray, Emmanuel Todd, Francis Lalanne, etc.) ou qu’ils le soient devenus, comme François Boulo ou les nombreux intervenants syndicalistes, animateurs sociaux, représentants de collectifs de banlieue, etc.
Et c’est ici que la grande arnaque s’opère. Les médias trient ceux qu’ils relayent. Par connivence ou proximité du côté des journalistes qui ne s’imaginent même pas inviter une personnalité qui pourrait être plus ou moins vaguement de « droite », patriote, ou bien, crime des crimes, suspecte d’antisémitisme. Mais aussi par stratégie en haut lieu, car les médias ont des propriétaires – tous milliardaires. C’est ainsi que les intervenants Gilets jaunes-compatibles qui pourtant s’indignent que 10 nababs multimillionnaires contrôlent l’opinion, se retrouvent présents sur leurs plateaux sans pour autant s’en étonner. Ha, pour paraphraser Marx, misère du gauchisme !
De qui les Gilets jaunes sont le nom ?
Parce qu’historiquement, c’est bien la France périphérique théorisée par Christophe Guilluy qui s’est levée. Cette France qui vote Rassemblement national ou dans une bien moindre mesure La France insoumise, mais surtout cette France qui ne vote plus. Celle qui travaille, ou qui aimerait travailler. Celle qui raque, qui en chie, celle qui roule souvent au diesel, celle qui fume des gauloises – quelque part, Benjamin Griveaux n’avait pas totalement tort.
Dans les premiers rassemblements, les manifestants étaient plutôt homogènes, sociologiquement, culturellement et même ethniquement. Les drapeaux bleu-blanc-rouge fleurissaient les cortèges et, hormis quelques drapeaux régionaux, étaient bien les seuls. Non pas une révolte patriote, droitarde ou fascisante, mais une insurrection du bon sens populaire (ce qui parfois peut être synonyme, il est vrai).
Même les historiques 42 premières propositions des Gilets jaunes qui apparurent dès la fin du mois de novembre incluaient des propositions variées dont certaines ne sont pas instinctivement associée à la Gauche (ou alors par des circonlocutions bien tordues, ces fameuses incohérences gauchistes, celles qui interdisent le protectionnisme mais valorisent le local, celles qui favorisent l’immigration mais condamnent le dumping social, celles qui se disent progressistes mais se veulent décroissantes, etc. ; la liste est longue). Florilège de propositions :
4. Favoriser les petits commences des villages et centres-villes.
13. Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations.
18. Que les causes des migrations forcées soient traitées.
20. Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.
21. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d’Histoire de la France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours).
Et l’instinct des Gilets jaunes (le bon sens populaire, donc) n’avait pas oublié que derrière tout ce mauvais théâtre, il y avait la Banque :
17. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes.
De la vampirisation : du Sang jaune aux Gilets rouges
Mais, au fur et à mesure que les Gilets jaunes furent représentés par des gens associés au camp dit progressiste, que les mots citoyen ou participatif s’invitèrent aux débats, qu’on en appela de la convergence des luttes ou que les collectifs banlieue ou climat s’agglomérèrent, on vit l’adhésion des Français baisser et la motivation sur le terrain s’effilocher.
Bien sûr, il y eut les violences, sur-médiatisées. Bien sûr il y eut le froid, la fatigue, la lassitude. Mais on sous-estime la capacité de la récupération gauchiste à affaiblir le mouvement ! Car, que diable, les sondages nous le montrent, et à coup sûr les élections nous le démontreront, quels partis ne sortent pas abîmés de la crise Gilets jaunes ? Le Rassemblement national, Nicolas Dupont-Aignan ou encore l’UPR (et par un effet parti de l’ordre, LREM). En revanche qui tend à s’effondrer sans bénéficier d’un effet du mouvement social ? La France insoumise dont la courbe glisse doucement mais sûrement (voyant une partie de ses électeurs probablement aspirés par des Verts plutôt frileux sur les Gilets jaunes et bénéficiant du ramdam climatique).
Dès lors les manifestants de la première heure furent en droit de se sentir dépossédés du mouvement alors même que ceux-ci étaient prêts à accueillir toutes les opinions sans exclusive. Mais les mouvements de gauche sont arrivés et, légitimés par leur évidente appartenance au camp du Bien, ils n’ont même pas jugé décent de s’inviter sans bannières ni slogans mais les ont imposés sans vergogne.
C’est donc cette double mécanique entriste qui est à l’œuvre ici : l’entrisme délibéré de personnalités de gauche qui veulent profiter du sursaut franchouillard pour y agréger leurs revendications parfois bien étrangères aux Gilets jaunes canal historique, mais aussi l’entrisme dans les faits d’un système médiatique centrifuge qui exfiltre toute pensée réellement dangereuse de son système de résonance.
La force jaune se retrouve dès lors neutralisée en étant circonscrite à des revendications corsetées qui ont fait grand ménage des revendications cohérentes, légitimes et partagées. Par exemple, l’immigration, l’identité, la dette de la France ont été évacuées alors que des doléances communautaires, LGBT, écologistes sont venues souiller la pureté du cri originel.
La Nuitdeboutisation, ou le baiser du diable
Et c’est ainsi qu’on en est arrivés le jeudi 14 mars au paroxysme de ce que l’on pouvait redouter : un gloubi-boulga gauchiste emmené par le caricatural et mortifère Frédéric Lordon de Nuit Debout (dont l’intelligence et le verbe acéré devraient se limiter à servir ses parfois très bons articles économiques du Monde Diplo) !
Mais que sont venus faire Priscillia Ludosky et Jérôme Rodrigues dans cette galère ? Bien sûr leurs propos furent davantage œcuméniques, a-partisans et proches des Gilets jaunes, car eux ont la légitimité du pavé battu 18 semaines durant. Mais c’est dans un jeu terriblement dangereux qu’on les a embarqués, probablement à leur insu car leur culture politique est toute fraîche et leur naïveté – qui les honore – les aveugle.
Il est urgent qu’ils comprennent que ces raouts parisiens n’intéressent que ceux qui les organisent et s’y présentent ! Nuit debout dura à peine deux mois et ne réussit jamais à sortir des murs de certaines grandes villes où quelques étudiants et travailleurs du tertiaire vibrèrent une paire de semaines d’un frisson révolutionnaire avant que de rentrer sagement chez papa-maman.
Pire, Nuit debout sut parfaitement exclure toute pensée déviante. Quelques militants d’Égalité & Réconciliation venus pleins de bonnes intentions ont été congédiés rapidement et des Veilleurs (manifestants pacifistes de la Manif pour Tous) furent éjectés manu militari dans la plus grande violence. Le seul point commun entre Nuit debout et les Gilets jaunes restera le traitement réservé à Alain Finkielkraut ! C’est un peu court.
Théorie du chaos
Alors que faire ? D’aucuns pensent que cette fameuse convergence permet le nombre. Et que le nombre c’est ce qui compte pour renverser un pouvoir. Qu’on se rappelle en effet toute l’efficacité d’un million de manifestants en sweat-shirts roses et bleus, traînant poussettes et grands-parents ! Le nombre est donc probablement nécessaire pour la légitimité mais ne suffit pas.
D’autres vont jusqu’à considérer que les casseurs, black blocs ou autres antifas ont leur utilité. Par l’effet de sidération opéré chez le spectateur de BFM TV, la casse et la désolation qu’ils entraînent donnent l’image d’un pouvoir qui faillit à sa mission de protection des biens et des personnes. En ce sens ces « idiots utiles » deviennent par un providentiel renversement « d’utiles idiots utiles » – alors même qu’ils avaient été laissés libres d’agir par un pouvoir qui deviendrait alors arroseur-arrosé !
En vérité, tel un jeu de billard à plusieurs bandes, bien malin qui peut deviner dans la confusion d’un acte comme l’Acte 18 ce qui sert les uns ou dessert les autres. Probablement un peu des deux, à coups d’interdictions d’un côté, de motivation ou de victimisation de l’autre. Mais les Palestiniens nous montrent depuis 70 ans combien une répression criminelle fabrique une résistance digne et héroïque.
Les raisons réelles de la diabolisation d’Étienne Chouard
Mais surtout est-il bien sûr que la Gauche officielle et institutionnelle qui a investi le combat des Gilets jaunes lutte pour les mêmes objectifs ? Parce qu’une fois que les Gilets jaunes comprirent qu’il fallait ramasser les 42 propositions en 2 ou 3 essentielles, il glissèrent dans ces doléances essentielles une divine surprise : le Référendum d’Initiative Populaire. Et l’appelèrent RIC pour le distinguer du RIP d’initiative partagée mais aussi probablement, par un glissement gramsciste subtil, lui donner un air gauchisant et davantage respectable que le trop populiste Populaire. Mais admettons, l’heure n’est pas au pinaillage.
Ce RIC, donc, est défendu valeureusement par Étienne Chouard depuis plus de 10 ans – même si sa modestie légendaire le pousse à nous rappeler que le concept avait déjà été pensé par de grands hommes comme Rousseau ou Condorcet, et soutenu depuis 40 ans par un de nos contemporains, Yvan Bachaud.
Or, qu’entraînerait mécaniquement tout RIC mis en pratique ? On vous le donne en mille : quelque chose qui ressemblerait probablement davantage à une programmatique E&R qu’à un cahier de revendications du NPA !
En effet, sans être grand clerc on peut imaginer assez aisément les réponses des Français aux questions suivantes, surtout si l’on imagine que chaque question est précédée de nombreux débats véritablement objectifs et impartiaux.
Êtes-vous favorable à :
un arrêt immédiat de l’immigration ?
la mise en place d’une assimilation sur le mode de la main tendue, mais ferme ?
l’interdiction des lois mémorielles ?
la sortie de l’Union européenne actuelle ?
la sortie de l’Euro ?
la PMA ? La GPA ?
la propagande LGBT ?
un énième plan banlieue ?
un énième mémorial pour la Shoah ?
un plug anal place Vendôme ?
Etc.
Il semble clair que le RIC n’est pas la voie souhaitée par les caciques de la Gauche, même si elle est sûrement désirée par beaucoup de militants honnêtes et un peu idéalistes. Mais leurs têtes pensantes savent très bien que le RIC c’est l’assurance, en particulier dans le domaine sociétal, que de nombreux sujets passent au vote, et cela, ils ne l’accepteront jamais. De la même façon d’ailleurs que le système oligarchique et financier au pouvoir n’acceptera jamais les sujets économiques que le peuple mettra sur la table (renationalisations, taxation des ultra-riches, etc.). La Gauche institutionnelle (qui n’est pas pour nous, à E&R, la vraie Gauche) et le Système ultra-libéral sont donc ici des alliés objectifs contre un RIC bien compris. Droite du Travail et Gauche des Valeurs...
Parmi l’intelligentsia de gauche, peu (en existe-t-il ?) ont l’honnêteté d’un Étienne Chouard qui répond, à l’éternelle question de la peine de mort ou de l’avortement, qu’un vrai démocrate doit s’attendre à ce que la majorité pense parfois différemment de soi ! C’est tellement évident, mais le gauchisme est une maladie mentale qui enferme le patient dans un camp du Bien au point qu’il ne peut imaginer d’autres horizons que le sien. C’est d’ailleurs ce qui les distingue de cette pureté chouardienne, lui qui est un anarchiste bien compris. Et l’anarchisme bien compris n’est pas le désordre mais l’ordre, moins le pouvoir. Nuance !
C’est pourquoi le RIC ne verra jamais le jour, ou alors sous une forme frelatée et parfaitement stérilisée. Ou, en tout cas, il s’arrachera de longue lutte, et certainement pas suite au Grand débat macronien, ni même avec un Fouquet’s en feu (avec l’aide des forces de l’ordre, d’ailleurs).
C’est ici que le site E&R joue un rôle important puisqu’il participe de l’éveil des esprits lui aussi depuis plus de 10 ans et qu’il n’y est pas pour rien dans la révolte actuelle des Gilets jaunes (ce pourquoi l’on cherche ardemment à l’interdire). C’est ce travail de fond qui fait que demain nous pourrions être un million sur les Champs-Élysées, et que le pouvoir se pourrait prendre sans même un coup de poing. Le nombre fera la force qu’un gouvernement de 50 hommes ne pourra plus contenir. Elle est ici la fameuse passerelle entre Étienne Chouard et l’extrême droite que dénonce François Ruffin et les autres insupportables vigilants !
Ce n’est donc pas du tout Étienne Chouard qui favorise une passerelle fantasmée, mais ce qui se joue ici, c’est une Totalité historique, dans un sens hégélien, c’est-à-dire un mouvement pluriel qui avance irrésistiblement, presque téléologiquement, vers une Unité logique et cohérente.
Mais les gauchistes comme le pouvoir n’ont pas compris ni Hegel ni Marx (les ont-ils même lus ?). Or, comme le rappelle souvent Alain Soral, paraphrasant Lénine, c’est l’éternel retour du concret qui va bientôt leur revenir dans la gueule.