Le réalisateur américain aux nombreux succès commerciaux et à la Palme d’or 1994 a donné une grande interview à Dov Alfon, le rédacteur en chef israélien du journal sans lecteurs Libération.
On en apprend plus sur cet ex-agent du Mossad que sur Tarantino, qui n’est pas très intéressant : normal, sa culture, c’est la culture US pour Européens branchés. Certes, il assume l’esprit pulp, mais à l’arrivée, en fin de carrière, sa série de dix films fait penser à une douce maladie neurovégétative : c’est de pire en pire.
On ne reviendra pas sur son neuvième long, l’éprouvant et interminable Hollywood, qui a déjà été refroidi chez nous. En fait, il n’y avait pas grand-chose à démolir, tant le scénario est maigre, le traitement à côté de la plaque. Les paysages californiens, les bagnoles des années 60, les deux belles gueules de Pitt et Caprio ne suffisent pas à sauver l’entreprise du naufrage, emportant ce que Tarantino a pu faire de bien avant.
Brad : Et toi, c’est quoi ton personnage ? Le mien il est pas clair.
Leo : Écoute, on n’est pas chez Scorsese, là, on est chez Tarantino, y a pas de scénar, alors on improvise. Perso, je cherche pas à savoir.
Brad : Je vais la jouer mec cool, OK ?
Leo : Ça me va, moi je reste sur le mec cool mais un peu naze.
On pense à Reservoir Dogs, Pulp Fiction, voire Django, où la faiblesse narrative était déjà en germe. Des acteurs top niveau – de ce côté-là, rien à dire –, des dialogues amusants mais pas transcendants, des situations qui s’empilent sans former une trame puissante ; à l’arrivée, il ne reste que de bons morceaux, de bons moments, mais pas un film entier, pas de masterpiece, de pièce maîtresse, pardon.
Quentin dit à Dov (c’est notre côté familier) qu’il ne veut pas faire le film de trop – trop tard ! – et qu’il veut désormais uniquement écrire. Il aurait pu y penser avant, et faire bosser de vrais scénaristes ! On dirait que Quentin est atteint du syndrome français...
Nous sommes le 9 juin, Dov et Quentin se rencontrent à Antibes. Dov ne manque pas de rappeler que le cinéaste est maqué avec « Daniella Pick, la fille du Polnareff hébreu » : toujours ça de pris pour Israël ! Mais la prise de guerre est maigre : le réal est en fin de carrière, on sent comme une montée dépressive.
La première scène insolite, c’est la remise, le même soir, du prix Fitzgerald qui récompense une œuvre « reflétant l’élégance, le goût du style et l’art de vivre », un prix inspiré par le couple Fitzgerald-Zelda qui vécut quelques mois dans le palace antibois. Pardon ? Tarantino rimerait avec élégance, goût du style et art de vivre ? Le summum de l’art de vivre dans l’œuvre tarantulesque, c’est Samuel L. Jackson qui goûte le Kahuna Burger avant de flinguer les jeunes braqueurs.
La scène culte du goûter, qui devrait finir en pub pour fast-food un jour, commence à 1’30.
Tarantino a raté sa vocation : il aurait dû être réalisateur publicitaire, et on ne plaisante qu’à moitié. Il donne vraiment envie de goûter ce Big Kahuna Burger, et d’ailleurs, après la scène, un paquet d’internautes se sont précipités sur le Net pour chercher où en commander. C’est dire la puissance de persuasion du cinéma. L’art de vivre tartinesque, il repassera. Même chose dans Pulp Fiction quand Travolta emmène la brunette surcokée danser : ils iront bouffer dans un « restaurant » à la déco hollywoodienne de mauvais goût. Quel style !
Il y a mieux, question style et art de vivre, et chez nous :
On l’aura compris, Tarantino, aussi bon réal soit-il, n’est qu’un vecteur de la culture américaine calibrée pour l’Europe – et surtout la France –, une partie intégrante du soft power de l’Empire. On ne le met pas à l’égal de Lockheed ou Raytheon, mais il prend sa part, en vendant du vide superbement torché, du vide cool, fun et branché. Depuis la sortie de son bouquin sur le cinéma, qui est un succès, il se sent écrivain : peut-être une subite envie de contenu...
« Je sens que j’ai des choses à dire avec une certaine autorité. Autant en tant que cinéaste expert du cinéma. Et, en prime, après 30 ans à écrire des scénarios, je pense que je suis plutôt doué à la plume. »
Le personnage principal de son prochain et dernier film sera un critique de cinéma qui scribouille dans un magazine porno, ça ne s’invente pas. Il y a un moment de lucidité dans l’entretien, quand Dov aborde la question de la culture populaire... On précise ici que culture populaire ne rime pas du tout avec sous-culture, c’est même blessant pour le populo. Comme si les pauvres étaient condamnés à n’ingurgiter que de la pauvreté culturelle !
Il y a un autre échange intéressant, qui parle de l’air du temps.
La touche finale est narcissique, mais ça se comprend : on a quand même affaire à un maître artisan.
« J’ai adoré chaque moment, mais j’ai tout donné. J’ai travaillé au plus haut niveau de mon art et je veux laisser derrière moi un corpus majeur. Je veux me retirer invaincu. »