Ils sont hauts fonctionnaires, cultivent l’entre-soi et multiplient les allers-retours entre politique, administration et secteur privé. Constat dans un livre choc, ce jeudi, en librairie.
Encore un livre qui « dézingue » les hauts fonctionnaires, l’ENA, les grands corps, etc., diront certains. De fait, l’enquête du journaliste de l’Obs, Vincent Jauvert, sur « les Intouchables d’État » a beau sidérer par ses révélations — les salaires mirobolants des cadres de Bercy, les petits services entre amis au sein de cette élite administrative, les conflits d’intérêt multiples et croissants entre public et privé... —, elle n’est pas la première à lever le voile sur des pratiques choquantes, voire scandaleuses. Mais voilà, à l’heure où l’on annonce un Nouveau Monde qui a déjà emporté la vieille politique, on aurait pu attendre que cela change.
Dans son livre-programme Révolution, le candidat Emmanuel Macron fustigeait « les hauts fonctionnaires qui se sont constitués en caste ». Il promettait même d’en finir avec leurs « protections hors du temps ». Or rien de tel ne s’est passé, pour l’heure, sous sa présidence. Et pour cause, lui-même et son Premier ministre sont issus de ce moule (ENA, inspection des finances pour le premier, Conseil d’État pour le second) et promeuvent une certaine technocratie. Le livre de Jauvert est d’ailleurs sous-titré « Bienvenue en Macronie ».
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Ces (mauvaises) habitudes qui ont la vie dure...
La liste « REM 150 »
Après le code nucléaire, c’est le secret le mieux gardé de la République. Nom de code : « REM 150 ». Pour « rémunération 150 000 euros ». Une note de cinq pages que l’auteur des Intouchables d’État a réussi à se procurer. Rédigé après la décision de François Hollande, à son arrivée à l’Élysée, de baisser de 30% son salaire et celui du Premier ministre pour le fixer à 150 000 € annuels, le document vise à identifier ceux qui, dans la forteresse de Bercy, étaient mieux payés. Résultat : en 2015, 150 cadres du ministère de l’Économie et des Finances gagnaient plus que le chef de l’État ! « Évidemment Bercy voulait à tout prix éviter que cette note soit rendue publique », confie un destinataire de « REM 150 ». On comprend pourquoi…
Au jackpot de Bercy le grand gagnant est le Trésorier-payeur général (TPG) d’Ile-de-France : en 2015 ce « directeur régional des finances publiques » – à l’époque Philippe Parini, un sarkozyste nommé là par Hollande ! – a touché 255 579 € nets, soit 21 298 nets mensuels. Trois fois plus qu’un ministre. « Au total, 104 administrateurs généraux des Finances publiques, un corps de l’Ancien Régime fort prospère, figurent dans ce palmarès » du REM 150, précise l’ouvrage. « Qui d’autre sur la liste classifiée ? Tous les princes de Bercy », c’est-à-dire les grands directeurs « et même deux simples chefs de service » mieux payés que le président ! Mieux payés, aussi, que leurs homologues du privé.
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450 000 € pour le patron de la Banque de France
Si Bercy se taille la part du lion, d’autres ministères participent au festin. Au total, selon un autre document « secret » dressé cette fois à la demande de Hollande, quelque 600 hauts fonctionnaires gagnaient plus que lui ! Dans le haut du panier un personnage il est vrai exposé, l’ambassadeur de France en Afghanistan : 29 000 € nets par mois. Irak et Yémen venant juste après, suivis par les postes stratégiques de Pékin, Washington ou Moscou, à 20 ou 21 000 € nets. Mais le fonctionnaire le mieux payé de la République est le gouverneur de la Banque de France, l’énarque inspecteur des Finances François Villeroy de Galhau, avec 350 845 € bruts annuels. Et encore, selon la confidence à l’auteur du patron de la Cour des Comptes, Didier Migaud – peut-être jaloux avec ses « 177 000 nets par an » –, le banquier central, « de par sa fonction, a d’autres revenus ». Portant son gain total à 450 907 € par an.
- Monsieur & Madame Vaccins
Couples d’État
Le livre de Vincent Jauvert soulève plusieurs cas de « conflit d’intérêts conjugal » en Macronie. Exemple, la conseillère culturelle de Macron, l’énarque Claudia Ferrazzi. Son mari Fabrice Bakhouche, également énarque, dirigea notamment le cabinet de Fleur Pellerin (Culture) avant de rejoindre l’équipe d’En Marche pour la campagne. Puis en juin 2017, il est nommé directeur de la stratégie d’Hachette Livre, premier éditeur français. Devant le risque flagrant de conflit d’intérêts, son épouse conseillère présidentielle décide de se « déporter » – se récuser – sur les sujets concernant Hachette ou son actionnaire Lagardère. Fort bien. Mais est-ce tenable compte tenu du poids énorme de ce géant de la culture et des médias ?
Autre cactus, Agnès Buzyn. La ministre de la Santé exerce sa tutelle sur l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dirigé par… son mari, Yves Lévy. Le ministère annonce qu’elle se déportera dès que l’Inserm sera au menu. Un décret du 29 mai 2017 stipule même que ses attributions seront alors exercées par le Premier ministre, Édouard Philippe. En clair, écrit Jauvert, « la responsable de la politique sanitaire française ne doit rien savoir de l’activité de l’organisme qui s’occupe de la recherche médicale d’État (…) À l’évidence, difficilement tenable ».
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