Nous laisserons à ce général la responsabilité de ses propos sur l’impérialisme russe, car il oublie un peu l’impérialisme américain, nettement plus nocif sur les deux derniers siècles.
Mais son analyse sur la combinaison des différentes composantes de confrontation peut être intéressante.
Les 27 et 28 septembre prochains se déroulent à Toulon les rencontres stratégiques de la Méditerranée. Le général Vincent Breton, ex-officier général prospective et stratégie militaire, aujourd’hui en charge de la doctrine au sein de l’État-major des armées, y participe pour une table ronde autour de « l’après Ukraine ». Pour 20 Minutes, il explique comment l’armée française interprète la guerre en Ukraine et se prépare aux futurs conflits.
Après des décennies de conflits asymétriques (Irak, Syrie, Afghanistan, Sahel…) la guerre en Ukraine marque-t-elle le retour de la guerre conventionnelle ?
C’est le retour de la guerre aux portes de l’Europe même si dans les années 1990, il y avait eu l’ex-Yougoslavie, mais qui était un conflit intra-étatique. Là, on est dans une guerre de haute intensité, en comparaison aux guerres que vous avez évoquées qui étaient davantage des guerres de gestion de crise.
L’Ukraine est une guerre de haute intensité de par l’intensité et l’étendue des combats. Et surtout au niveau des enjeux, qui sont vitaux pour l’Ukraine mais aussi dans une certaine mesure pour l’Europe. Car la chute de l’Ukraine – ce qui est peu probable du reste – ouvrirait la boîte de pandore pour l’Europe et ferait sauter un verrou qui serait fort inquiétant. On ne peut se permettre que l’Ukraine perde.
Cette guerre s’inscrit dans un contexte stratégique qui se dégrade depuis une vingtaine d‘années avec la désinhibition de certaines puissances à portée mondiale ou régionale qui se réarment massivement et n’hésitent pas à recourir à la force pour satisfaire des objectifs qui nous apparaissent être d’un autre temps. Des objectifs impérialistes, disons-le.
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Justement, quelles leçons l’armée française peut-elle tirer de cette guerre ?
Le contexte nous a amenés à revoir notre grille de lecture du monde et des relations internationales. L’armée française considère que le temps où l’on pouvait caractériser le monde selon trois états bien distincts que sont la paix, la crise, la guerre – trois états qui se succèdent de façon phasée – est révolu.
Ce continuum laisse la place à un monde plus brouillé, marqué par une confrontation systémique permanente qui se structure autour de trois états imbriqués : compétition, contestation, affrontement. Ils sont intriqués parce que deux acteurs internationaux peuvent être tout à la fois dans ces trois situations, avec, notamment dans le domaine cyber un affrontement qui est permanent. La rivalité sino-américaine se situe dans ce contexte. Cela se traduit par des stratégies hybrides ou des compétiteurs vont mixer les modes d’actions en cherchant à rester sous le seuil des conflits armés.
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À un niveau très opérationnel, cette guerre marque-t-elle un tournant dans l’efficacité des différentes composantes d’une confrontation (aviation, artillerie, cyber, communication, économie…) ?
C’est toute la complexité des guerres modernes. Il n’y a pas une composante plus importante qu’une autre. On assiste à une extension permanente des champs de conflictualité. Au début les hommes s’affrontaient sur terre. Puis sur terre et sur mer, ensuite le volet économique a pris une place de plus en plus importante. Au début du XXe siècle est arrivée la troisième dimension avec le milieu aérien. Et là, on a le milieu cyber, le champ exo-atmosphérique, et aussi le champ communicationnel qui a toujours existé mais prend dans nos sociétés modernes de plus en plus d’importance.
Et c’est toute la difficulté pour se protéger. On ne peut pas se permettre d’avoir une faille dans un de ces champs au risque de perdre la guerre. Ce qui important aujourd’hui c’est la capacité à coordonner ces actions dans tous ces milieux.
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Une des leçons de cette guerre est aussi l’importance la dissuasion nucléaire. Les Ukrainiens doivent amèrement regretter d’avoir rendu en 1994 les armes nucléaires aux Russes. A contrario, si la Russie n’avait pas été une puissance nucléaire les Occidentaux seraient-il intervenu en Ukraine ? Ma conviction est peut-être que oui.
Réussir à soutenir un belligérant sans entrer dans le conflit, est-il une des clefs de la guerre du futur ?
Ça a toujours été plus ou moins le cas, surtout depuis la période de la guerre froide ou les deux blocs s’affrontaient via des proxys, des pays tiers qui bénéficiaient du soutien massif d’un des deux blocs. Quelque part l’Ukraine c’est un peu ça, l’Occident est en guerre contre la Russie via un proxy qui est l’Ukraine – enfin être en guerre, c’est un peu fort, nous ne sommes pas belligérants.
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