Avril 2015 : Thomas Huchon et ses amis ont constitué une équipe de « conspi hunter », c’est-à-dire de chasseurs de conspirationnistes pour dévoiler au monde entier la légèreté journalistique des sites dits complotistes. Pour cela, ils ont créé un documentaire fictif, qu’ils ont promu sur la Toile et qui devait servir d’appât pour les sites qui ne vérifient pas leurs infos.
Malheureusement, quasiment aucune de leurs cibles favorites ne tombe dans le piège grossier : le sujet n’intéresse pas (Cuba invente un vaccin contre le sida), et ceux que Le Monde appelle avec mépris la complosphère ignorent le documentaire. En vrac étaient visés les personnalités et sites suivants : Boniface, Boulevard Voltaire, Soral, Asselineau, Collon, Sapir, Meyssan, Dieudonné, Faits & Documents, Fdesouche et même Le Canard enchaîné. L’expérience tourne court, les vilains requins ne mordent pas à l’hameçon, le documentaire est retiré en catastrophe.
Décembre 2015 : Les Inrocks ouvrent leurs colonnes à Thomas Huchon, et transforment l’échec en victoire. Où l’on voit que dans la presse soumise à l’idéologie dominante, même un imposteur (le terme qui va lui coller à la peau toute sa vie professionnelle) peut être magnifié, pourvu qu’il dénonce les diabolisés du Système.
« Il y a plusieurs morales. La première, c’est que les sites conspirationnistes ne sont pas ce qu’ils prétendent : des parangons de la vérité ou des gens qui seraient de grands enquêteurs, vu qu’on peut leur faire répéter n’importe quoi, du moment où ça va dans le sens de ce qu’ils racontent.
Peut-être que ces gens ne sont pas aussi vertueux qu’ils le prétendent, et peut-être que le public doit être plus attentif là-dessus. Nous, journalistes, on a intérêt à se servir de tout ça pour le faire connaître : ce sont des gens qui nous crachent au visage toute la journée. Pour une fois qu’on peut leur dire : “vous n’êtes pas des journalistes“… »
Les journalistes mainstream en ont marre d’être vilipendés. On les comprend. Leur crédibilité se réduit de jour en jour, par un effet double : d’un côté les versions officielles des grands événements qui secouent la France ou la planète tombent toutes seules en poussières, de l’autre les explications cohérentes se construisent jour après jour sur Internet, et se solidifient en un schéma global bien plus explicatif. Les journalistes de l’information officielle deviennent malgré eux des défenseurs – de plus en plus agressifs, on le voit – du Système, afin de conserver leur crédibilité, sans même parler de salaires. Défenseurs du Système, et agresseurs des journalistes devenus indépendants, principalement sur l’Internet.
Cette évolution explique pourquoi les journalistes des Inrocks ouvrent leurs colonnes à des « piégeurs de complotistes », qui cherchent à faire trébucher pêle-mêle les journalistes honnêtes et ce que la Toile peut produire de plus bizarre. Il s’agit d’amalgamer les uns aux autres, les amateurs parfois dingos aux dissidents de l’information. Pour cela, Spicee (ils n’aiment pas le français), un site Internet pas très confraternel s’est livré à une petite expérience vicieuse, qui consiste à produire un documentaire « complotiste » basé sur une information fausse. En l’occurrence, que le virus du sida a été inventé par les États-Unis, contre lequel Cuba a développé un vaccin, ceci entraînant la fin du blocus de l’île communiste par les Américains.
Déjà, le documentaire était payant (5€90), et le sujet était suffisamment inintéressant (le sida n’est plus à la mode complot) pour que seules deux ou trois mouches se fassent attraper. Conclusion globale : les « complotistes » ou les amateurs de complots ne sont pas des journalistes, puisqu’ils ne vérifient pas leurs sources. Si Thomas Huchon et ses amis subventionnés de Spicee savaient combien nous « scannons » de vidéos dans ce genre, chaque semaine, sur E&R, et combien nous éliminons de candidats à la diffusion, les organisateurs de ce piège à cons auraient pu s’économiser le coût d’une production.
Pour vraiment piéger ces chiens de complotistes, il faut construire une certaine crédibilité. Mais alors, une fois que la thèse est rendue crédible, et qu’elle est éventuellement reprise, quelle preuve apporte-t-on de l’amateurisme des sites dits complotistes ? Les exemples fourmillent de grands médias qui ont repris des informations fausses, ou faussées. C’est le jeu et le risque de l’info, surtout en quotidienne.
Inversons le jeu : quand Le Monde, avec ses moyens faramineux (par rapport à nous) sort un papier fracassant sur les « preuves » de l’implication des services de Bachar al-Assad dans le massacre chimique de la Ghouta (été 2013 à Damas), et que deux ans plus tard on apprend officiellement qu’il s’agissait d’une provocation des opposants à l’armée loyaliste, on a entendu un immense silence médiatique. Personne pour reprendre de volée le prestigieux journal du soir. Pourtant, il s’agit bien de complotisme : d’une vérité tordue par des intérêts cachés pour la faire entrer dans un moule qui ne lui convient pas. Intérêts médiatiques, politiques ou géopolitiques, le débat n’est pas là. Même si on peut le deviner.
Il y a 40 ans, les Stups américains new-yorkais faisaient des prises monstrueuses dans les milieux du deal d’héroïne, avec une méthode imparable : ils avaient un crédit illimité pour acheter de la blanche, et infiltrer les réseaux mafieux. Les petits et moyens bonnets des familles italo-américaines tombaient les uns après les autres. Puis on s’est rendu compte que ces Princes de New York, comme les appelait Robert Daley (journaliste et auteur du livre Le Prince de New York), s’habillaient avec des fringues de luxe, roulaient dans de belles bagnoles – pour des flics – et surtout, fourraient de l’héro dans les poches de ceux qu’ils voulaient faire tomber, alors qu’ils n’avaient pas toujours de preuve. Une enquête de l’IGS locale permit de déterminer qu’une bonne partie de ces héros était achetable à souhait, corruptrice et corrompue. Le procureur de la ville siffla la fin de la récré, et les prises recommencèrent à diminuer. Mais le principe du piège fut interdit, les avocats de la partie adverse se faisant un plaisir de démolir les défenses des superpoliciers. Ils avaient fini par créer de la délinquance pour la dénoncer.
Dans un autre ordre d’idées, mais sur le même principe, les néonazis allemands du NSU (Nationalsozialistischer Untergrund) furent dans les années 1990 à la fois les auteurs de 10 assassinats, tout en étant infiltrés par le BfV (les services secrets intérieurs), et ce jusqu’au sommet ! Ce que révélera le procès de cette entité politique en mai 2013. Certains parmi les 25 agents infiltrés étant même présents sur une scène de crime en 2006...
- Sur ce cliché, Cyril Hanouna et le père de Thomas Huchon complotent (pour le Système)
Revenons à nos moutons, beaucoup moins sanglants, mais néanmoins très charlatans. Leur méthode de guerre informationnelle est non seulement déloyale, mais inefficace : un appât, aussi alléchant soit-il, ne prouve pas que le piégé est un escroc, puisque le piège en soi est déjà une escroquerie. Il y a des moyens supérieurs de prouver sa qualité journalistique : en attirant des lecteurs, et en les respectant. Cette méthode, inédite dans la presse mainstream, qui a souvent méprisé ses lecteurs (des cochons de payants gavés d’interprétations douteuses), fonctionne pourtant sur le Net. Pas partout, c’est évident, mais des sites de réinformation ou tout simplement d’information très sérieux se détachent. À côté, les petits avocats du système que sont devenus les « journalistes » promus par les Inrocks font pâle figure. Les travailleurs de l’information, qui gagnent très mal leur vie, ou pas du tout, ont avancé à une vitesse que les tenants du système médiatique ignorent. Sinon ils ne seraient pas en train d’essayer de piéger quelques traînards et boiteux. L’armée des Ombres, elle, est très nettement devant.
Le pire, c’est que des « amateurs », des quidam, des passionnés de l’info, deviennent plus journalistes que les journalistes encartés, qui eux, sont pris dans les rets des intérêts hiérarchiques et politiques ! Nous reviendrons dans un autre papier sur cette tendance logique, la Nature ayant horreur du vide (et du bide).
« Ça doit faire deux ans que je travaille, à titre personnel, sur ces questions-là. Cela fait un petit moment que j’essaie de mesurer l’impact politico-culturel des idées complotistes sur la société. J’avais déjà l’idée de faire un reportage, “Spicee” était en train de se créer et je connaissais le fondateur car il avait été producteur d’un de mes documentaires précédents. On s’est rencontré, on a discuté, puis l’actualité nous a rattrapés, avec les attentats de “Charlie Hebdo”. A ce moment-là, on a vu une explosion colossale du phénomène de propagation d’idées conspirationnistes. On a alors décidé de penser contre nous-mêmes, de trouver un moyen non pas de parler des complotistes en disant “ce sont des méchants, des salauds, des fachos” mais d’essayer de mesurer la qualité de ce qu’ils produisent. On s’est demandé si ce que publient ces gens-là, à longueur de journée, est fiable. On avait plutôt l’impression que ça ne l’était pas, mais sans pouvoir le vérifier. Et c’est là que nous est venue l’idée un peu “dingo” de créer une fausse théorie du complot et voir si ça allait prendre. On alors inventé cette histoire sur Cuba et le virus du Sida. »
Hélas, le documentaire en question ne fera que 5 000 vues en deux semaines, d’après ASI (Arretsurimages.net), et 9 300 en trois semaines. Ce qui est un bide, en matière de viralité youtubeuse. Deux ans de réflexion et huit mois de travail pour produire un bide, et piéger Réseau international, qui reprend automatiquement tout ce qui passe, ce n’est pas ce qu’on peut appeler une victoire du Système.
« On n’est pas parti en se disant “on va se faire Soral et Dieudonné“. Notre objectif, ce n’était pas les têtes de gondole. Même s’ils ont un rôle dans la propagation de ces contenus, ce ne sont pas ceux qui font toute l’audience. On a décidé d’être le moins proactif possible. J’aurais pu écrire à Alain Soral et Dieudonné pour leur envoyer, ou aux tas de gens qui ont écrit des sites spécifiques sur les complots autour du sida, mais on a décidé de ne pas le faire, car ça biaisait le résultat. On voulait mesurer dans quel espace de temps tout cela allait se faire tout seul. »
Pour piéger E&R, il faudra se lever plus tôt, et produire, pourquoi pas, une vidéo de qualité avec une information non formatée... et de vrais morceaux de vérité dedans ! Alors là, on la reprendra avec plaisir, et les 9 300 vues se transformeront en 93 300 en un clin d’œil ! Et si c’était ça, le meilleur des pièges ?
Dans le genre, Canal+ et France 2 sont beaucoup plus forts. Ils produisent des documentaires à charge contre la complosphère en général, mais visent surtout E&R. Thomas Huchon a peut-être une chance de sauver sa carrière de « réalisateur » en entrant – par piston bien sûr – chez eux.
Mais après ce qui vient de se passer, qui va oser faire travailler, même au noir, le petit Huchon ?
Thomas Huchon parle ici d’Alain Soral :
Voici la bande-annonce de son « documentaire » anticonspi :