Les grandes épreuves sportives doivent se réinventer pour rester attrayantes sans public ni ambiance. Les nouvelles technologies, encore cantonnées sur le banc des remplaçants, vont entrer en jeu.
C’est un boxeur assis dans son coin. Il vient d’être compté « huit » et ce qui lui reste de lucidité sait qu’il doit d’urgence adapter sa stratégie pour ne pas finir K.-O. Ce boxeur, c’est le sport professionnel, le sport spectacle, celui qui brasse les matchs par dizaines chaque jour de la semaine, les transferts par centaines, les joueurs par milliers, les fans par millions et les droits télévisuels par milliards.
Ce sport-là tente de sauver ce qui peut l’être après deux mois d’un arrêt abrupt et total. Le 14 mai, il n’a accordé aucun intérêt à la lettre signée par 370 groupes de supporters ultras opposés à la reprise des matchs à huis clos. Le 16 mai, toute son attention était tournée vers l’Allemagne, où la Bundesliga rechaussait les crampons dans des stades vides. Les yeux experts et les oreilles affûtées ont remarqué un travail sur le son d’ambiance et un cadrage resserré des caméras de Sportcast, la filiale de la Ligue allemande de football (DFL) qui réalise les productions médias.
« Qui a besoin d’ambiance : l’athlète ou le spectateur ? »
Tout cela n’est qu’un début. « La crise va faire progresser l’innovation numérique, comme les guerres font avancer la chirurgie », formule Emmanuel Bayle, professeur de gestion à l’Université de Lausanne, assez surpris de voir que « beaucoup attendent que ça passe, alors qu’il faudra très longtemps avant de retrouver un niveau de sponsoring et de rémunération équivalents. L’avenir à moyen terme, c’est moins d’argent pour le sport et l’obligation de se réinventer pour parvenir à monétiser une expérience à distance. »
Si les situations sont variables selon les sports et les pays, la vente des droits télévisuels est souvent la première manne du sport spectacle. Passé la curiosité et l’effet de manque, il lui faudra s’efforcer de rester attrayant et désirable sans public ni ambiance. « Mais qui a besoin d’une ambiance : l’athlète ou le téléspectateur ?, se demande le Canadien Ray Lalonde, consultant en management du sport après avoir travaillé pour la NBA ou les Canadiens de Montréal, entre autres. L’athlète va s’habituer à ces conditions, qui ressemblent finalement à son quotidien à l’entraînement. Au besoin, il est facile d’introduire du son dans les stades. Donc l’ambiance, c’est plutôt pour la télévision. Joe Buck, le commentateur de Fox Sports, a récemment déclaré que sa chaîne ajouterait des bruits de fans et probablement des images virtuelles de public pour les plans larges. »
Depuis des années, les ligues et les plus gros clubs travaillent à diversifier les contenus, multiplier les supports, flexibiliser l’offre. « La pandémie va accélérer deux processus déjà en cours, explique Robin Fasel, de l’agence iX.co, une filiale d’Infront spécialisée dans la création d’expériences numériques. L’un a pour but de permettre aux entités sportives de s’autonomiser du match. Pour reprendre une expression dans l’air du temps, il faut “aplatir la courbe”, susciter un intérêt toute la semaine et pas seulement le jour du match. L’autre processus vise à “gamifier” le sport pour qu’il reste attractif auprès des jeunes générations passionnées de jeux vidéo. »