Annoncée comme une véritable révolution disruptive, la nouvelle norme de télécommunications 5G s’invite dans le débat sous trois plans : technique, civilisationnel et sanitaire. Toutefois, la peur d’être exclus de la course technologique ne va-t-elle pas précipiter les États réticents à franchir le pas ?
Sous forme de lapalissade, la 5G est la continuité de la 4G, qui succède elle-même à la 3G. Il faut pourtant se dédire d’une facilité qui comparerait ces différentes technologies uniquement sur un plan d’amélioration de puissance. Chaque palier a surtout été une progression vers des applications nouvelles. La 2G a apporté la capacité d’émission-réception de messages textuels (SMS), la 3G a permis l’Internet mobile et l’acheminement des données, tandis que la 4G a rendu pleinement opérationnelles la téléphonie par Internet (VoIP), les visioconférences et l’infonuagique (cloud computing).
Et la 5G ? Le déploiement en cours de ce nouveau réseau de télécommunications est censé apporter des bienfaits théoriques sur trois plans principaux : un plus haut débit (10 Gb/s contre 30 Mb/s pour la 4G), un maillage renforcé des points de connexion par une technique de transmission par microcellules (dite MIMO), de même qu’une latence extrêmement réduite (1 milliseconde contre 10 millisecondes pour la 4G). Ce sont les avantages techniques que mettent en avant ses promoteurs (sans être toujours très diserts sur ses inconvénients).
Une interconnexion permanente de millions d’objets
Pour autant, la 5G, ce n’est pas seulement une connexion Internet plus rapide sur son smartphone. Cette technologie va investir nombre d’activités où elle est attendue avec impatience : l’industrie 4.0 (la robotisation intelligente), les médias interactifs, la santé 3.0 (la télémédecine comme le suivi médical personnalisé à distance), les transports intelligents (les véhicules autonomes), les grilles d’énergie évolutives (Smart Grid) ou encore l’Internet des objets (les montres connectées). De la domotique à l’industrie, tous les objets disposant d’une source d’énergie et d’un flux de données seront capables d’interagir, non seulement avec les êtres vivants à leur contact, mais aussi entre eux, ce qui ouvre des perspectives de services et de création nouvelles. Une interconnexion permanente de millions d’objets, rendue possible par la 5G.
Seulement, l’interconnexion des réseaux aboutira à une interconnexion des failles de sécurité, qui pourront impacter non plus un individu ou une entité – privée ou publique –, mais tout un ensemble géographique ou sectoriel. La différence est de taille, à la mesure des dangers. Le cas d’un dérèglement du système de gestion des flux de circulation peut légitimement effrayer par la gravité et la densité des accidents potentiels. Les solutions existent – des plus évoluées aux plus rudimentaires –, mais elles imposent un surcoût au déploiement que les acteurs privés et publics n’ont pas toujours intégré initialement dans leur cahier des charges.
Ajoutons qu’il ne suffit pas de prévoir l’acheminement des données par le standard 5G pour qu’un miracle se produise : il convient de disposer d’infrastructures d’une part, et d’un écosystème d’autre part, afin d’en percevoir les fruits. Ce fut par ailleurs le discours tenu par Vladimir Poutine lors de son allocution du 30 mai 2019 sur l’intelligence artificielle. De la même manière que l’eau irrigue les champs, la 5G doit s’installer dans un environnement propice et prophylactique.
Vers une domination technologique asiatique
La 5G, c’est aussi, bien que moins perceptible, un changement civilisationnel puisque nous entrerons définitivement, dès son adoption massive, dans une société connectée en permanence et non ponctuellement, comme actuellement.
Ce sera l’acceptation d’une société où le chiffre sera omniscient, omniprésent et omnipotent, surtout s’il a recours à la capacité démultipliée du calcul quantique. Or, des civilisations fondées sur le chiffre diffèrent dans leur approche humaine de celles fondées sur la lettre.
Sur un autre plan, c’est aussi le basculement vers une domination technologique asiatique et non plus occidentale. Si l’on peut citer quelques acteurs européens et américains en ce domaine (Qualcomm ou Ericsson pour les plus solides), ils subissent sèchement les années d’investissement massives par le sud-coréen Samsung, le japonais NTT Docomo et les chinois ZTE et Huawei. Le président Donald Trump ne s’y est pas trompé en visant régulièrement cette dernière firme depuis son accession au pouvoir, une stratégie s’inscrivant dans un front plus élargi de guerre commerciale.
La mainmise de la technologie 5G par des puissances asiatiques consacre la réalité d’un glissement de compétences, évoluant de l’imitation vers l’innovation.
L’électrosmog : une grille de champs électromagnétiques
Sur le plan sanitaire, les inquiétudes grandissent en raison de l’absence de recul sur l’innocuité des ondes électromagnétiques. Car, pour simplifier, la 5G vise une puissance d’ondes plus élevée, mais obligeant à un maillage plus dense d’antennes, d’où la crainte formulée par plusieurs experts et médecins de la présence d’un électrosmog. Cette grille de champs électromagnétiques à haute fréquence d’origine humaine pourrait avoir des effets nuisibles sur la santé humaine allant du trouble du sommeil aux maux de tête en passant par l’endommagement de l’ADN jusqu’à la perturbation de certains appareils comme les stimulateurs cardiaques.
En Belgique, se fondant sur un avis du Conseil de la santé de mai 2019, de nombreux médecins ont réclamé un moratoire sur le déploiement de la 5G sur le territoire. En France, plusieurs personnalités politiques se sont emparées de la problématique en mai 2020 afin de demander des études impartiales plus approfondies. Au niveau mondial, le mouvement 5G Space Appeal entend peser dans les décisions gouvernementales en expliquant que le risque sanitaire n’est pas uniquement terrestre, mais aussi spatial avec le déploiement prévu ces prochaines années de milliers de satellites à basse et moyenne orbite.
Si, sur le papier, les promesses de la 5G sont alléchantes, elles sont aussi porteuses de réelles interrogations qui, en raison du flou les entourant, alimentent les rumeurs les plus folles comme celle établissant un lien entre l’épidémie de Covid-19 et l’installation d’antennes 5G.
Il y a là un réel dilemme. Soit les pays se passent de cette technologie affublée de la qualification de disruptive, ce qui les obligerait à opter pour des solutions alternatives plus coûteuses, plus longues à développer et plus contraignantes à installer. Soit ils adoptent cette nouvelle génération de télécommunications en acceptant tous les risques inhérents connus et inconnus à l’heure actuelle. Entre ces deux réponses radicales, il existe toute une nuance de solutions comme un mix entre la fibre optique et la 5G selon les secteurs d’activité et les territoires, ou encore un déploiement d’antennes assorti d’une période de probation sanitaire par exemple.
Alors que le monde sort à peine de la vague épidémique du SARS-CoV2, il est raisonnable de penser que les gouvernements ayant subi frontalement la crise sanitaire, les États européens en première ligne, vont chercher à temporiser sur son déploiement pour ne pas davantage s’attirer les foudres de leur population, laissant Chine, Japon et Corée du Sud prendre une avance considérable et impulser l’avènement d’un autre modèle civilisationnel…
En définitive, en matière de développement et de déploiement de la 5G, chaque pays doit prendre une décision stratégique après avoir soupesé toutes les conséquences résultant de l’adoption ou de l’abandon d’une technologie prometteuse avec sa part d’inconnue(s) : c’est un réel choix politique.