La Libye compte deux gouvernements : l’un, installé à Tripoli, est soutenu par la puissante milice islamiste Fajr Libya, l’autre, replié à Tobrouk et reconnu par la communauté internationale, est dirigé par Abdallah al-Thani. Et les deux s’affrontent depuis l’été, ce qui laisse le champ libre aux groupes jihadistes, dont ceux qui ont fait allégeance à l’État islamique (EI).
Pour le moment, la priorité des Nations unies est de favoriser un règlement politique à la crise libyenne. Seulement, au vu de la forte opposition entre les deux camps, autant vouloir marier une carpe à un lapin… Et visiblement, aucun des deux n’entend faire de concessions.
Ainsi, le chef du gouvernement légal a déploré, cette semaine, le refus de la communauté internationale de livrer des armes à l’armée régulière libyenne afin que ces dernières puissent combattre les milices islamistes. Embargo oblige…
« L’Aube libyenne [ndlr, Fajr Libya] fait partie de ces groupes islamistes qui reçoivent des armes, des munitions et du matériel du monde entier », a ainsi avancé M. al-Thani. « Mais l’Amérique et la Grande-Bretagne ont d’autres idées, qui ne servent pas les intérêts du peuple de Libye », a-t-il ajouté, lors d’un entretien diffusé par la chaîne de télévision Al Arabiya.
Quelques jours plus tard, le Premier ministre libyen a été plus précis au sujet de ces armes livrées à la milice islamiste, qui a pris le contrôle de Tripoli en août dernier après en avoir chassé les brigades de Zenten, proches des milieux libéraux.
« La Turquie est un Etat qui ne se comporte pas honnêtement avec nous. Elle exporte des armes afin que les Libyens s’entretuent », a accusé Abdallah al-Thani dans un entretien accordé le 27 février à la chaîne égyptienne CBC. Et il a également reproché au Qatar de soutenir le gouvernement installé à Tripoli.
Ces accusations ne sont pas nouvelles. En juin 2014, l’ex-général général Khalifa Haftar, qui a levé des troupes pour combattre les jihadistes présents en Cyrénaïque, avait affirmé que le Qatar et la Turquie encourageaient « le terrorisme » en Libye.
La diplomatie turque n’a pas tardé à réagir aux propos de M. al-Thani. « Au lieu de toujours répéter les mêmes allégations sans fondement, nous ne pouvons qu’inciter le gouvernement libyen à soutenir les efforts des Nations unies en vue d’un accord politique », a affirmé Tanju Bilgic, son porte-parole. « Notre politique envers la Libye est très claire : nous sommes contre toute ingérence extérieure et nous appuyons sans réserve le dialogue politique en cours mené sous l’égide des médiateurs de l’ONU », a-t-il ajouté.
Reste que la Turquie est l’un des rares pays à avoir reçu publiquement des représentants de la milice Fajr Libya. En outre, comme le Qatar, elle soutient les Frères Musulmans. Or, la confrérie est considérée comme étant un mouvement terroriste par l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. D’ailleurs, le soutien qui lui apporte Doha a été à l’origine d’une brouille au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Par ailleurs, le Premier ministre libyen a averti que les positions tenues par l’EI dans son pays pourraient à nouveau être bombardées. « À chaque fois qu’il y aura un danger et une menace, il y aura des frappes aériennes, en coordination totale entre l’Egypte et la Libye », a-t-il dit.
Pour rappel, l’Égypte a bombardé la ville libyenne de Derna, fief de l’EI, au lendemain de la diffusion de la décapitation de 21 de ses ressortissants de confession chrétienne, enlevés à Syrte par les jihadistes en décembre dernier.
En outre, Abdallah al-Thani a une nouvelle fois exprimé son inquiétude au sujet de l’expansion de l’EI dans son pays. L’organisation jihadiste est « très bien implantée dans la région de Syrte (nord) et ne cache pas sa présence à Tripoli et si on ne fournit pas aux militaires les armes dont ils ont besoin, le groupe va se déployer dans toute la Libye », a-t-il affirmé. Et de prévenir que si les jihadistes ne sont pas combattus, ils seraient un danger non seulement pour le nord de l’Afrique « mais aussi pour l’Europe ».