"Qui sème la discorde entre chiites et sunnites fait le jeu du colonialisme", affirmait l’Imam Khomeini. L’histoire passée et récente semblerait lui donner raison.
De nombreux analystes ont dénoncé, ces jours-ci, les intérêts économiques et géo-politiques qui se trouvent derrière l’agression saoudienne contre le Yemen, mais bien peu ont pris en compte la nature sociale de la révolte des Houthi - dont le mouvement a pour nom officiel : Ansarullah - négligeant ainsi son aspect démocratique et anticolonialiste.
L’Iran comme nouveau Karl Marx
L’expression en question, "l’Iran comme nouveau Karl Marx", ne se veut pas une boutade ; elle fut prononcée rien moins que par Condoleeza Rice, et nous pouvons la lire sur le Washington Post du 23 novembre 2012. Définition emblématique que Bahar Kimyongür [militant issu d’une famille alaouite turco-syrienne] a récemment ainsi commentée : "Si l’Iran doit être comparé à Marx, comme l’affirme le faucon de l’impérialisme US, le régime des Saoud incarne, quant à lui, depuis sa création en 1744, la contre-révolution et la tyrannie d’Adolphe Thiers, le fossoyeur de la Commune de Paris."
Que signifie tout cela ? La lecture n’en est pas aussi difficile qu’il semble : la République Islamique d’Iran incarne, aux yeux de nombreux musulmans, les principes et les idéaux de justice sociale constamment foulés aux pieds par les régimes monarchiques et autoritaires au service de l’Occident. Tout cela se reflète aussi en Europe, où les masses nord-africaines - pensons à des pays comme la France, l’Angleterre ou même l’Italie - tendent en partie à "migrer" du sunnisme au chiisme. Derrière ce choix, on trouve la volonté de donner une dimension politique à la foi religieuse, fondée sur des principes d’égalité et de justice sociale.
De 2012 à 2015, quelque chose a-t-il changé ? La ligne d’Israel et de son tout récemment confirmé Premier Ministre est toujours la même : l’élimination du bastion chiite, c’est-à-dire l’Iran (et, naturellement, totale fermeture à toute hypothèse d’Etat palestinien).
Différente est la position d’Obama et de la coalition démocrate américaine (avec des défections internes), qui tendrait, dans cette phase, à ne pas exaspérer le conflit avec l’Iran et même à rouvrir le dialogue avec Assad. Le conflit interne aux USA entre droite républicaine (liée à la droite israelienne) et progressistes est du reste désormais palpable. Qui l’emportera ? A en juger d’après les derniers développements et en particulier l’intervention de Netanyahu au Congrès américain, saluée par une véritable ovation, il semblerait que l’étoile d’Obama soit à son déclin.
Intervention au Yemen : pour le compte de qui ?
La coalition "sunnite" (avec beaucoup de guillemets) qui intervient au Yemen a une claire orientation pro-occidentale. Les États-Unis sont en train de promouvoir la formation d’une sorte d’"OTAN arabe", et la discussion ne porte que sur le pays qui doit la coordonner : l’Égypte ou l’Arabie Saoudite ? Là est le dilemme pour Washington.
Arrêtons-nous un moment sur l’Égypte : nous avons souvent souligné, en citant des faits et des documents, à quel point al-Sissi sert les projets impérialistes états-uniens et israeliens (nous avons vu que le débouché de l’industrie guerrière israelienne est justement le marché égyptien). A ce propos, on a appris, il y a quelques heures à peine, qu’après 20 mois d’impasse, les fonds américains pour l’Egypte ont été débloqués : il s’agit d’1,3 milliards de dollars - comme le rapporte Federico Pieraccini, expert en questions militaires -. Outre l’argent, seront livrés les armements promis depuis longtemps : 12 F-16, 20 missiles Harpoon, 125 équipements pour chars Abrams m1a2.
Ce n’est vraiment pas mal. Si, en 1962, le leader anti-colonialiste Nasser, qui appuyait la révolution au Yemen, soutenait que "la libération de Jérusalem passe par la libération de Riyad", aujourd’hui, al-Sissi montre bien ce qu’il est, un digne gardien des intérêts non seulement de Washington et Tel Aviv, mais aussi de la Maison Saoud. Nous estimons que tout cela n’est pas fortuit.
Question : Nasser 1962, al-Sissi 2015, le cycle historique du panarabisme laïque est-il vraiment terminé ? La révolte des Houthi, elle, semblerait redonner vigueur à l’Islam Politique. Le leader de la révolte Al-Houthi a accusé l’Arabie Saoudite d’être "un instrument économique sale" au service des États-Unis et d’Israel.
Encore plus intéressante cette autre déclaration d’Al-Houthi :
"Quand les groupes armés, parmi lesquels Al-Qaida, qui représentent l’Arabie Saoudite, ont été battus par les combattants d’Ansarullah, Riyad et ses alliés ont décidé d’intervenir dans les affaires intérieures du Yemen."
Une dépêche états-unienne - non publiée en italien - de 2010 (document n° 242073 de la Secrétaire d’État de l’époque, Hillary Clinton) dit textuellement : "les donateurs de l’Arabie Saoudite constituent la source de financement la plus significative des groupes terroristes sunnites dans le monde entier... bien que l’Arabie Saoudite prenne très au sérieux la menace du terrorisme intérieur... le pays continue à être une base d’appui essentielle pour Al-Qaida, les talibans, Lashkar e Taiba et d’autres groupes terroristes, qui recueillent probablement chaque année des millions de dollars de sources saoudiennes, souvent pendant le pèlerinage et le ramadan".
Que faut-il en déduire ? Certainement, les USA connaissaient la présence d’Al-Qaida au Yemen (les mêmes groupes que ceux de l’attentat contre Charlie ? Coïncidence ?) et ils savaient aussi qu’Al-Qaida était appuyé par la Maison Saoud, mais ils ne se sont pas bornés à tolérer cette organisation : ils la couvraient et la soutenaient largement aussi bien en la finançant qu’en lui fournissant des armes.
La question s’impose : au service de qui sont l’ISIS et Al-Qaida ? Sont-ils ou non une aubaine pour Washington et Tel Aviv ?
La révolte des Houthi : une révolte populaire et anti-impérialiste
La révolte des Houthi est une révolte populaire conduite par les chiites - inspirés par la pensée de l’imam Khomeini - qui a eu le soutien de larges couches de la population, et donc aussi de secteurs sunnites : il faut comprendre que l’élément unificateur est aussi le facteur socio-économique (c’est-à-dire de classe), et pas seulement le facteur religieux. Comment le régime dictatorial de Hadi – qui voulait, entre autres, diviser la région en 6 micro-États - aurait-il pu être renversé, sans un soutien populaire et social ?
En 2006, une très large majorité des sunnites a soutenu le Hezbollah contre l’agression israelienne ; aujourd’hui, sans l’unité arabo-musulmane, au Yemen, cette révolte n’aurait pas été possible.
Pour répondre à une autre question : l’Iran continue à soutenir le Hamas sunnite malgré les multiples faux-pas de la composante politique du mouvement de résistance islamique palestinien. La solidarité anti-colonialiste, du reste, doit se faire par-delà les débats doctrinaux. Il serait bon que les analystes eurocentriques commencent eux aussi à le comprendre.
Dans ce cas aussi, la gauche islamique a répondu positivement à l’appel : le Hezbollah et le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) se sont rangés aux côtés du peuple yéménite de même que d’autres formations socialistes et islamiques qui ont condamné l’agression de la Maison Saoud sponsorisée par l’Occident.
Encore une fois, dans tout cela, il y a une grande absente : la gauche occidentale.