Sollers, c’était la créature du VIe, le Paris des maisons d’édition. C’est de là que la radioactivité culturelle française a contaminé le monde dans les années 50 et 60. Ensuite, ça s’est calmé : les grands auteurs étudiés partout ont laissé place à une nouvelle couche, moins universelle, moins communiste aussi, et moins nationaliste. Et très communautaire.
En fait, la fin du national-communisme à la française, cette alliance entre la gauche sociale et la droite catholique, a aussi marqué la fin de notre influence culturelle, et les Américains n’y sont pas pour rien : ils ont arrosé et les revues de droite, normal, et les penseurs ou hommes politiques de gauche pour leur faire abandonner cette manie française.
Deux décennies plus tard, soit les années mitterrandiennes, l’anti-France a gagné : les auteurs en vue sont tous devenus ou des socialistes, ou des libéraux, dans tous les cas américano-compatibles. Chez nous, chez E&R, on dira des écrivains gauche sociétale et des écrivains droite du capital. C’est le PS, mis à part Chevènement, et le RPR, mis à part Seguin. On aura donc eu 30 glorieuses culturelles, de 1950 à 1980.
La couche suivante, c’est la bande des soixante-huitards – BHL, Finky, Sollers, Glucksmann, Bruckner – qui prend le relais, soit les nouveaux philosophes et les gauchistes (tendance trotskyste), souvent des ex-maos. Ils s’imposent partout, ils sont la négation du nationalisme et du communisme. Ils peuvent un peu chier sur la droite et sur la gauche, mais ils incarnent le ventre mou, déminé, dévitalisé, de la France qui pense. C’est pro-américain, pro-israélien, pro-capital, anti-peuple, car le peuple, c’est alors Le Pen. On écoute Sollers, fin janvier 1999 :
« Elle était là, elle est toujours là, on la sent, peu à peu, remonter en surface : la France moisie est de retour. Elle vient de loin, elle n’a rien compris ni rien appris, son obstination résiste à toutes les leçons de l’Histoire, elle est assise une fois pour toutes dans ses préjugés viscéraux. Elle a son corps, ses mots de passe, ses habitudes, ses réflexes (…)
Il y a une bêtise française sans équivalent, laquelle, on le sait, fascinait Flaubert. L’intelligence, en France, est d’autant plus forte qu’elle est exceptionnelle. La France moisie a toujours détesté, pêle-mêle, les Allemands, les Anglais, les Juifs, les Arabes, les étrangers en général, l’art moderne, les intellectuels coupeurs de cheveux en quatre, les femmes trop indépendantes ou qui pensent, les ouvriers non encadrés, et, finalement, la liberté sous toutes ses formes. »
Ce sera l’épitaphe du mec qui se pétait la ruche dans les cafés d’un quartier latin qui aura perdu son aura.
Toute cette bande aura finalement réussi une chose, au détriment de notre culture, le braquage du prestige français dans le monde en matière de plume. Ils ont pris la place, tels des coucous, afin de se faire passer pour des grands. À quelques exceptions près, malgré le carpet bombing médiatique en leur faveur (ils étaient les plus gros squatteurs de l’émission Apostrophes de Bernard Pivot), ils n’auront pas vendu beaucoup, mais ils auront empêché l’émergence d’auteurs majeurs.
On a mis cet article en rubrique People parce que ce n’est pas de la pensée sérieuse : c’est de l’amusement, d’autres diraient de la branlette germanopratine. Il restera de Sollers une œuvre féconde chez Gallimard et des mains au cul des serveuses à la Closerie des Lilas ou au Flore. Pour ceux qui ont échappé à ce presque Bordelais, cette petite critique du site pileface.com, avec extrait de la prose philippique.
Passager clandestin et visiteur incognito, Philippe Sollers continue d’explorer Venise, de livre en livre, de femme en femme, depuis son premier voyage dans la Cité des Doges, en 1963, à l’âge de 27 ans. Si l’archipel vénitien provoque chez l’écrivain une véritable conversion physique, il participe aussi à la construction narrative de ses romans, renouvelle autant l’intensité de la perception que l’acte d’écrire. De Femmes (1983) à La Fête à Venise (1991), du Lys d’or (1989) au Dictionnaire amoureux de Venise (2004), les lagunes de la Sérénissime maintiennent les sens en éveil.
Et c’est dans ce lieu du secret et du goût démultiplié que se déroule Médium, qui s’ouvre par ses mots : « La magie continue. » L’écrivain vient d’arriver à La Riviera, petit restaurant avec terrasse où il a ses habitudes, sur les quais de Venise, du côté de la gare maritime : « Quand j’arrive ici, dans le retrait, la lenteur, l’obscur, tout va très vite. Je n’ai pas à m’occuper de ce qui va surgir, ma plume glisse, elle trace les mots. » Sollers prend la plume, prend le bateau embarque le lecteur avec lui. Le respectueux professore plonge dans l’aventure romanesque où se mêlent désirs, pensées, rêveries, rencontres, échappées libres. La Piémontaise Ada, brune aux yeux bleus, experte en massage, ou Loretta, la petite-fille du patron de La Riviera, qui fait penser à Lotte Zimmer, qui accompagne Hölderlin dans sa dernière nuit d’agonie, le juin 1843. Vaudou ou déesse, Ada ou Loretta, la femme est le médium. Étoile filante en plein jour. Le plaisir circule : peinture, sculpture, musique. Médium est un roman enrobé de temps invisible et envoûtant.
On dirait un roman de gare pour cougar rêveuse, alors on va passer à du plus viril, moins cucul-la-germano-praline : Cizia Zykë, tiens, un autre Bordelais.
Ne soyons pas de mauvaise foi, Sollers n’a pas été qu’un auteur pour dames. Il a courageusement défendu Céline, dont il loue le style, évidemment, l’économie de moyens, et l’humour. C’est la différence avec BHL. Tout n’est pas blanc ou noir. Parfois, pour survivre, on cache ses pensées profondes.
Je voudrais d’ailleurs insister sur ce thème diabolique, parfois présent chez lui de façon extrêmement étrange. Ainsi, cette formule curieuse qu’il emploie à plusieurs reprises : « Vous savez, moi et le Prince des Ténèbres, on s’évite. » Il y revient souvent : « Le monde à l’envers ! Le mensonge roi ! L’univers du diable ! » On n’attendrait pas Céline sur cette question. Puisque Dieu n’existe pas chez lui, il ne devrait pas y avoir de diable non plus ; or il est là, toujours. De cela au moins il est sûr et il tient à le dire : « Il n’y a que Satan qui puisse être aussi têtu, enragé dans la malfaisance, la cruauté et la crapulerie. »