Les deux pays visent les stocks de l’adversaire pour limiter ses capacités offensives et perturber sa logistique. La Russie possède davantage de réserves, mais l’artillerie occidentale récemment livrée à l’Ukraine rééquilibre le rapport de force.
Ces attaques sont presque devenues quotidiennes. Ces dernières semaines, de violentes explosions illuminent régulièrement le ciel nocturne des territoires ukrainiens occupés par les forces russes, notamment dans les régions de Louhansk, à l’Est, et de Kherson, au Sud. L’une des dernières en date s’est produite dans la nuit du 10 au 11 juillet à Nova Kakhovka, où Kiev affirme avoir détruit un entrepôt de munitions russe.
Ukraine : Un incendie, accompagné de fortes déflagrations, aurait été signalé ce soir dans la ville occupée de Nova Kakhovka (Khesron). La nature du sinistre reste à préciser, un dépôt de munitions pourrait avoir été ciblé. pic.twitter.com/DsmLsPEi69
— Rebecca Rambar (@RebeccaRambar) July 11, 2022
Ukraine : Plusieurs vidéos publiées, des 2 côtés, confirment des explosions répétées alors qu'un incendie est actuellement signalé à Nova Kakhovka (Kherson), sous occupation de l'armée de Russie. pic.twitter.com/ESWG0vy0b4
— Rebecca Rambar (@RebeccaRambar) July 11, 2022
Les stocks de munitions de l’ennemi sont devenus l’objet d’un jeu du chat et de la souris constant entre Kiev et Moscou. Pourquoi ces dépôts de munitions sont-ils devenus des cibles privilégiées ?
Parce que les stocks de munitions sont limités des deux côtés
Après une première phase très mobile dans les premières semaines du conflit, c’est aujourd’hui sur l’artillerie que comptent surtout les deux camps pour progresser et défendre leurs positions. « C’est une guerre d’artillerie maintenant », affirmait en juin le responsable du renseignement militaire ukrainien, Vadym Skibitsky, dans le quotidien britannique The Guardian. « Dans tout conflit classique, l’artillerie finit toujours plus ou moins par prendre une place importante. Le contrôle de l’approvisionnement devient alors crucial », rappelle à franceinfo Christine Dugoin-Clément, chercheuse associée à la chaire « risques » du laboratoire de recherche IAE de Paris-Sorbonne Business School.
D’autant que « les deux camps utilisent énormément de munitions », affirme Dara Massicot, chercheuse spécialiste de l’armée russe au sein du think tank américain Rand Corporation. Vadym Skibitsky déclarait en juin que Kiev utilisait entre 5 000 et 6 000 obus par jour, tandis que la Russie en aurait envoyé près de 45 000 en une journée rien que dans le Nord et l’Est, d’après un général ukrainien cité par le Kyiv Independent.
Le risque est alors d’épuiser ses stocks. L’Ukraine utilisait principalement du matériel hérité de l’URSS au début de la guerre, mais « elle a complètement épuisé ce type de munitions » selon Christine Dugoin-Clément. Elle dépend aujourd’hui principalement du matériel livré par ses soutiens occidentaux. En juin, les États-Unis assuraient avoir déjà livré plus de 260 000 obus compatibles avec les pièces d’artillerie de l’Otan. Mais ce soutien n’est pas nécessairement suffisant.
« On manque d’informations sur l’état des stocks ukrainiens, mais le manque de munitions est tel qu’il force parfois Kiev à faire des choix entre les opérations qu’elle veut mener. »
Dara Massicot, spécialiste de l’armée russe
« Kiev craint aussi que l’aide occidentale s’essouffle », explique Christine Dugoin-Clément. Elle évoque « le risque de lassitude des Occidentaux, le coût que la guerre représente pour eux, et même la difficulté de produire rapidement : les filières de l’industrie militaire fonctionnent souvent déjà en flux quasi tendu ».
La Russie possède beaucoup plus de munitions, selon Dara Massicot, mais elle en utilise aussi beaucoup plus, et doit donc en fabriquer assez pour tenir ce rythme sur la durée. La chercheuse américaine estime que « l’industrie russe aura de quoi renflouer son stock de munitions les plus basiques. Mais pourra-t-elle le faire assez rapidement ? » Elle ajoute que l’industrie militaire russe « n’a pas eu à tenir ce rythme depuis des décennies ».
D’autant qu’elle pourrait aussi manquer de certains éléments. Les missiles à guidage de précision qu’elle fabrique utilisent de nombreux composants occidentaux aujourd’hui bloqués par les sanctions, d’après un rapport du think tank britannique Royal United Services Institute. Kiev affirme que la Russie utilise moins de missiles aujourd’hui qu’au début du conflit, et qu’elle a utilisé des missiles sol-air ou anti-navire pour attaquer des cibles au sol, ce qui peut être interprété comme un signe d’affaiblissement des stocks de munitions plus adaptées, d’après le ministère de la Défense britannique. Détruire un entrepôt de munitions de l’ennemi, c’est favoriser ces pénuries.
Parce que l’Ukraine peut attaquer des cibles plus lointaines avec ses nouvelles armes
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Sur les réseaux sociaux comme Twitter et Telegram, les vidéos qui affirment montrer des dépôts de munitions russes en flammes se multiplient.
Video of the explosions at the Kamaz center. pic.twitter.com/SsJKOBb2wS
— Benjamin Pittet (@COUPSURE) July 5, 2022
Une bonne partie de ces cibles étaient hors d’atteinte de l’artillerie ukrainienne il y a encore quelques semaines, car situées à plusieurs dizaines de kilomètres derrière la ligne de front. Mais l’arrivée des systèmes d’artillerie occidentaux de longue portée, comme les Caesar français et surtout les Himars américains, a changé la donne.
« Ils permettent de frapper plus en profondeur en territoire occupé que d’autres systèmes d’artillerie, et ainsi viser des points stratégiques comme des dépôts de carburant, de munitions ou des plateformes de logistique et de maintenance russes », explique Christine Dugoin-Clément. « Ils sont également très mobiles et peuvent se déplacer rapidement avant et après le tir, ce qui complexifie les contre-attaques russes », ajoute la spécialiste.
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