Dans le monde, la bureaucratie est souvent synonyme de tracasseries, d’ennuis, d’incompétence et de situations ubuesques qui poussent souvent les peuples à vouloir l’alléger et s’en débarrasser (avec un succès souvent mitigé, dirons-nous). En France cependant, son poids, son omniprésence et la tendresse invraisemblable et obstinée du peuple français à son égard lui ont pourtant permis d’accéder au rang de curiosité artistique, voire de vache sacrée que personne ne semble vouloir remettre en cause, par confort ou habitude.
C’est probablement pour cela que personne ne s’étonne plus guère lorsqu’une nouvelle loi, un nouveau décret paraissent et viennent alourdir encore un peu (ou beaucoup) la vie administrative des citoyens français. On savait en effet depuis un moment que les services de l’État ne reculent jamais devant la moindre complication ni la moindre multiplication de tubulures chromées à leurs usines à gaz procédurales grotesques, qu’il s’agisse d’envoyer paître une victime de terrorisme ou d’assommer des familles en deuil de contraintes ridicules. On ne sera donc pas étonné que, cette fois-ci, ce sont les auto-entrepreneurs qui servent de punching-ball à l’administration fiscale.
Comme de bien entendu, avant d’abattre sur ces entrepreneurs le bras vengeur et le glaive séculier, l’aigle fiscal a soigneusement préparé ses arguments et ne laisse pas s’installer le moindre doute sur la nature de l’opération qu’il entend mener : afin, nous dit-il, de lutter contre l’abominable fraude à la TVA qui ronge le pays et dépouille la veuve et l’orphelin des nécessaires émoluments de survie que seuls les impôts des autres leur permettent de toucher, l’auto-entrepreneur sera, à partir du premier janvier prochain, contraint d’utiliser un logiciel spécifique pour sa comptabilité, et puis c’est tout.
Notez que cette contrainte s’impose bien sûr à tous les commerçants et autres professionnels assujettis à la TVA, mais comme les auto-entrepreneurs n’y sont pas soumis (étant en régime de franchise de base), ces derniers pensaient – à tort donc – en être épargnés. Nous sommes en France et donc que nenni : l’administration vient de préciser que cette obligation les concerne aussi.
Autrement dit, pour les petits malins qui croyaient avoir choisi ce statut particulier d’auto-entrepreneur pour exercer une activité en se concentrant sur l’activité elle-même et non sur la paperasserie administrative et la comptabilité, eh bien c’est râpé : après la contrainte du double compte-bancaire imposée en 2016, les auto-entrepreneurs vont donc devoir goûter au logiciel de comptabilité imposé.
Gageons au passage que ce logiciel, choisi parmi ceux dûment tamponnés par l’administration, correctement estampillé « éco-conscient » et « Bercy-friendly », n’a pas été l’objet de la moindre tractation discrète en coulisse, qu’il n’y a eu aucun lobbying de la part de l’un ou l’autre éditeur concerné, que les caractéristiques de ces logiciels sont éminemment enviables et que faire sa comptabilité dessus s’avèrera sans aucun doute une petite partie de plaisir, à mi-chemin entre un Pac-Man rigolo et une partie de démineur rafraîchissante.