La Russie a mené mercredi 30 septembre une première série de raids aériens, comme l’y autorisent ses accords de coopération militaire avec la Syrie. Selon Moscou, son aviation aurait effectué 20 sorties et touché 8 cibles terroristes.
La France avait auparavant mené des bombardements aériens dimanche 27 septembre, en dehors de tout cadre légal, contre un camp d’entraînement de l’État islamique dans l’est de la Syrie, selon les propos du président François Hollande. Toujours selon le président français, cette attaque aurait été « sans conséquences pour la population civile ».
Le gouvernement syrien a dénoncé à cette occasion une « violation du droit international », les bombardements ayant été menés sans l’autorisation de l’État syrien.
Pour justifier la légalité de l’action française, le président Hollande a ainsi invoqué la « légitime défense » et l’article 51 de la charte des Nations unies, en faisant référence aux attentats de janvier 2015 à Paris qui auraient été « commandités » par l’État islamique. Or, à l’époque, le pouvoir exécutif français avait décrit les terroristes comme des « loups solitaires » radicalisés via le réseau Internet, ce qui lui avait permis de faire voter la « loi sur le renseignement », un « Patriot Act » à la française, étendant considérablement les pouvoirs et les dispositifs de surveillance des services de police. Il faut également souligner que les auteurs de l’attaque contre le journal Charlie Hebdo n’avaient jamais séjourné en Syrie mais avaient été formés par la branche d’al-Qaïda au Yémen, comme le montrait un précédent article sur ce sujet. J’avais avancé à cette époque que le choc causé dans l’opinion publique française par les attentats avait permis l’instauration du régime politique de la « guerre au terrorisme » qui se caractérise par une limitation des libertés intérieures, et particulièrement de la liberté d’expression et d’information, la surveillance de masse des populations, et une politique extérieure néo-coloniale multipliant les expéditions armées. Le recours au principe de la « légitime défense » comme justification aux raids aériens en Syrie, malgré l’absence de liens tangibles entre les auteurs des attaques terroristes de Paris et l’État islamique, constitue la démonstration que cette mécanique est bien à l’œuvre.
Les actions de la coalition internationale luttant contre l’État islamique sont donc à mettre en perspective avec la doctrine néocoloniale de la « guerre au terrorisme » en Syrie, qui visent à un changement de régime et à l’instauration d’États faibles et balkanisés, assimilables à des protectorats. La lutte contre l’EI a ainsi été prise comme prétexte par la France et le Royaume-Uni afin de mener une guerre aérienne sur le territoire syrien, conduisant de facto à une « no-fly zone » telle qu’elle est réclamée par la coalition, et particulièrement la Turquie, depuis plus d’un an. C’est en effet ce scénario de zone d’exclusion aérienne qui avait permis la victoire des groupes armés soutenus par l’occident en Libye en 2011.
L’entrée de la Russie dans le conflit ce mercredi est cependant venue bouleverser ce scénario. La présence de 12 SU-25 russes, de 16 hélicoptères d’attaque et de transport à l’aéroport de Lattaquié et leur entrée en action dans l’espace aérien syrien ont rendu caduque l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne de facto au profit des groupes armés soutenus par la coalition.
Le secrétaire d’État américain John Kerry, en panique, s’est donc précipité vers son homologue russe Sergei Lavrov, actuellement à l’ONU, dans le but de convoquer une réunion « entre militaires, aussi vite que possible, afin d’éviter tout incident entre leurs aviations en Syrie ».
Encore plus gênant pour les États-Unis et leurs alliés, les premières frappes aériennes russes ont ciblé un groupe rebelle soutenu par la coalition. Selon le média israélien i24news :
« Quatre avions de combat russes ont visé des bases de Jaich al-Fatah (“l’Armée de la conquête”) à Jisr al-Choughour et à Jabal al-Jawiya (dans la province d’Idleb) et ont frappé aussi des positions de groupes armés, des bases et des dépôts d’armes à Hawach dans la province de Hama », a indiqué cette source. « L’Armée de la conquête » regroupe notamment le Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda, et des groupes islamistes comme Ahrar al-Cham. »
Les responsables occidentaux ont donc logiquement dénoncé une attaque « ne visant pas l’État islamique » en laissant aux médias le soin d’imaginer quelle pouvait être la cible réelle…
Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, déclarait ainsi que « les frappes russes n’ont pas visé Daech ». Une source diplomatique française citée par le journal régional La Nouvelle République affirmait également :
« Ce n’est pas sur Daech qu’ils (les Russes) ont frappé, c’est sans doute sur les groupes d’opposition, ce qui confirme qu’ils sont davantage dans le soutien au régime de Bachar al-Assad que dans la lutte contre Daech. »
Le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, a également estimé que « les frappes ne visaient probablement pas l’État islamique ».
Les médias aux ordres et qui sont maintenus depuis la crise ukrainienne dans une hystérie antirusse permanente entretenue par les responsables politiques occidentaux ont immédiatement interprété ces déclarations comme la preuve que la Russie avait frappé « l’opposition modérée » [il n’y a pas d’opposition armée modérée en Syrie – Ndlr] soutenue par la coalition, et ont ainsi pu se livrer à leur passe-temps favori : la russophobie primaire.
La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, affirmait ainsi que son pays faisait l’objet « d’une guerre de l’information suite à sa décision d’effectuer des frappes aériennes contre les djihadistes du groupe État islamique (EI) en Syrie ».
Le journal Le Monde, comme à son habitude, était en première ligne et annonçait :
« Les frappes aériennes menées par la Russie mercredi ont surtout visé les forces rebelles opposées au président Bachar Al-Assad. »
Tous les grands médias francophones ont repris la narrative occidentale affirmant que l’aviation russe ne bombardait pas l’État islamique de manière à suggérer que la Russie ciblait en réalité l’« opposition modérée » en soutient au « boucher » Bachar-al-Assad. Il y a cependant une manipulation de l’opinion publique dans cette narration, qui consiste à passer sous silence la cible réelle de l’action militaire russe… En effet, l’« opposition modérée » (dont le président syrien Bachar-al-Assad répète depuis plus d’un an qu’elle est en réalité constituée de groupes djihadistes salafistes) prétendument visée par l’aviation russe mercredi, était constituée de la branche syrienne d’Al-Qaïda, le Front al-Nosra, ainsi que de plusieurs autres groupes radicaux réunis au sein d’une entité appelée « l’armée de la conquête ». Selon le journal Libération, cette coalition djihadiste serait une création de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et du Qatar, qui assureraient également son financement.
Il est donc délicat pour les responsables politiques occidentaux d’évoquer ouvertement l’« opposition modérée » qu’ils soutiennent. Cela pourrait conduire à révéler que cette dernière n’est qu’un mirage médiatique derrière lequel se cachent Al-Qaïda et des groupes salafistes, dont le but est similaire à celui de l’État islamique : l’instauration d’un califat islamique.
La Russie bombarde Al-Qaïda en Syrie, voilà donc ce qui a tant indigné les chancelleries et les médias occidentaux mercredi…