C’est à Bryant Park, New York, que s’est tenue les 28 et 29 septembre derniers la deuxième édition du Taste of France. Contrairement à la première édition qui était entièrement consacrée à la gastronomie, celle-ci a offert aux 100 000 New-Yorkais qui l’ont visitée « la possibilité de découvrir la France d’une toute nouvelle façon, à travers des événements et des programmes qui explorent la diversité du monde français : sa cuisine, son mode de vie, son tourisme, sa mode, sa culture, sa technologie et son innovation [1] ». Une rapide enquête s’impose pour décrypter cet événement et comprendre les véritables enjeux derrière la promotion de la France et de son patrimoine.
Les principaux organismes organisateurs
D’abord, même si la présence d’un représentant officiel de la France est tout à fait cohérente, rappelons que M. Laurent Fabius, qui avait fait le déplacement, est membre du Siècle, de la Commission trilatérale, du groupe de Bilderberg (1995) et du Forum économique mondial de Davos [2].
- Laurent Fabius accompagné de Jean-Louis Dumonet, secrétaire du Taste of France et président des Maîtres cuisinier de France pour l’Amérique du Nord
La French-American Foundation (FAF) est un des principaux soutiens de cet événement. Le directeur, Charlie Kolb, qui intervient en tant que membre du Comité d’organisation du Taste, est adhérent du Council on Foreign Relations et ancien président du Committee for Economic Development. Cette commission fondée en 1942 a contribué, entre autres, au plan Marshall, aux accords de Bretton Woods ainsi qu’aux Accords de libre échange. Pour mémoire, la FAF est une grande organisation dont le but est de « renforcer la relation franco-américaine considérée comme un élément essentiel du partenariat transatlantique ». Elle recrute via son programme Young Leaders et permet surtout, comme le note Pierre Hillard, de former les dirigeants de demain qui soutiendront la politique atlantiste [3].
La Chambre de commerce franco-américaine, dont la présidente Elsa Berry est également membre du comité d’organisation, le French Institute Alliance Française (FIAF), l’Invest in France Agency, qui est responsable de la promotion, de la prospection et de la facilitation des investissements internationaux en France, qui veille à l’attractivité économique ainsi qu’à l’image du pays et dont le président, David Appia, est membre du Forum économique mondial de Davos [4].
Le Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France, qui a pour président de la section Amérique du Nord Paul Bensabat, qui est aussi un des fondateurs de l’événement et dont nous parlerons plus bas. Cet organisme est à l’origine du traité de Paris de 1951 ainsi que du traité de Rome de 1957 [5].
Mais aussi quelques organisations culinaires telles que la compagnie D’Artagnan, les Maîtres Cuisiniers de France et l’Académie culinaire de France.
Membres fondateurs du Taste of France
Voici un petit panorama des principaux acteurs :
Paul Bensabat, son président, surnommé « le roi du casher » par le New York Times [6], né au Maroc lorsque celui-ci était encore sous protectorat français, co-propriétaire du Saveur Food Group, co-fondateur du club des 600 et président du Comité national des conseillers extérieur de la France pour l’Amérique du Nord [7]. Ancien président directeur général du groupe Lactalis pour la zone des Amériques. Il a été honoré Officier dans l’ordre de la Légion d’honneur en juin 2013 par François Delattre, ambassadeur de France aux États-Unis [8].
- Dix jours avant l’événement, réunion de l’équipe du Taste of France. Lieu choisi : la salle de marché du Nasdaq, pour le coup d’envoi des transactions, en compagnie du consul de France à New York et du vice-président d’Air France-KLM pour l’Amérique du Nord.
Ariane Daguin, co-présidente, fille du célèbre chef cuisinier André Daguin. Elle quitte la France pour les États-Unis en 1977 et fonde son entreprise, D’Artagnan, en 1985 afin d’aider deux amis israéliens à commercialiser leur foie gras fabriqué dans l’Hudson Valley. Produits de qualités sans aucun doute, mais « français » par tradition seulement, puisque majoritairement produit outre-Atlantique [9]. Elle entretien des relations commerciales avec l’acteur Jean Reno, membre du comité participatif du Taste, pour qui elle distribue l’huile d’olive issue de son domaine provençal (28 $ les 454 ml) [10].
Elle est proche du chef Alain Ducasse, lui aussi présent sur le Taste par l’intermédiaire de deux cadres de son restaurant new-yorkais, le chef de cuisine Philippe Bertineau [11], mais aussi André Compeyre, sommelier officiel de l’événement [12]. Notons, à titre informatif, qu’Alain Ducasse est membre du Siècle et est lui aussi proche de la French-American Foundation, pour qui il a non seulement organisé un dîner, mais aussi donné un discours lors d’un gala en 2012 [13]. Il était d’ailleurs venu avec son bras droit, Laurent Plantier, proche, comme Ducasse, du think tank américain Clinton Global Initiative.
- Alain Ducasse lors du dîner de gala de la French-American Foundation au Palais d’Iéna à Paris le 27 novembre 2012
Mais aussi parmi les fondateurs, Enrique Gonzales, fondateur du groupe French Media Events, Jean Louis Dumounier, président des Maitres cuisiniers de France en Amérique de Nord ainsi que Jean-Louis Gerin, président de l’Académie culinaire de France [14].
Médias et partenaires financiers
Il y a, derrière la promotion de l’événement, deux organismes de grande envergure : le français JC Decaux et l’américain Havas PR, dont le président, Yannick Bolloré, est membre du conseil d’administration de la Chambre de commerce américaine auprès de l’Union européenne. Cette Chambre de commerce, ainsi que beaucoup des organismes précédemment cités, travaille directement ou indirectement à la mise en place d’un marché transatlantique avec l’aide du très puissant institut euro-américain le Transatlantic Policy Network (TPN) [15].
Pour le financement, on trouve des grandes compagnies telles qu’Air France, L’Oréal, Lactalis, Dassault, EADS, Safran, la Société générale, American Express et bien d’autres [16]. La plupart de ces compagnies ont souvent une particularité en commun, elles sont de généreuses donatrices de la French-American Foundation. Notons que la FAF a aussi pour autre donateur de prestige l’Open Society et la Ford Foundation [17] .
Le folklorique au service de l’économique
Sans surprise, cet événement est donc majoritairement le fait d’organisations élitistes et d’individus liés entre eux, à la fois acteurs ou promoteurs du mondialisme et de ses valeurs. Dans ces conditions, la mise en avant de la tradition française sous l’adage vide de « l’exception culturelle » par nos grands chefs, artistes et écrivains, relève du folklore hypocrite, cherchant à cacher l’invasion bien réelle du marché et de l’acculturation qui l’accompagne. Le grand chef en particulier est le nouveau représentant-caution du mondain – hérité de la « nouvelle cuisine », ce snobisme de masse culinaire né peu de temps après Mai 68.
- Christophe Michalak, le célèbre chef pâtissier, et sa femme l’actrice Delphine McCarthy lors de la soirée Mikado King Choco (Lu, Kraft Foods) au « concept store » Colette à Paris, le 24 mai 2012
Or, le mondialisme, dont les grands chefs et autres représentants (auto-)proclamés en culture française supportent la promotion en y apportant une caution folklorique, dégrade considérablement le quotidien des catégories qu’ils prétendent représenter dans les médias (artisans, agriculteurs, petits commerçants et restaurateurs). C’est au final la volonté des grands groupes industriels et agroalimentaires qui continuera d’avancer via ces relais culturels secondant le marché transatlantique. Outre des expositions déloyales à la concurrence, nous verrons à terme sauter les barrières de normes juridiques autour des OGM et des hormones, mais aussi des normes de travail et d’hygiène – au service de l’hygiénisme.
Ce n’est donc peut être pas un hasard si aujourd’hui Paul Bocuse, le pape de la gastronomie française et Alain Ducasse, son probable successeur, ne remettent plus en cause les OGM et les hormones. Il semblerait qu’ils soient obligés d’adapter leur discours afin que celui-ci ne vienne pas remettre en cause le cahier des charges des compagnies avec lesquelles ils collaborent et des think tanks dont ils sont les exécutants [18].