À quoi sert l’art ? À rien, concrètement, donc mauvaise question. L’art est, et puis c’est tout. Dieu a créé l’Homme, et l’Homme a créé l’Art, c’est donc la chose qui fait que l’Homme se prend pour Dieu, si l’on veut être logique. Et on veut être logique.
L’art n’a de limites que l’imagination et la technique de l’artiste. L’idéal, c’est de combiner les deux. L’art est le croisement entre un artiste et son époque. À chaque époque correspond un art, parce que dans l’art se glisse toujours de l’époque, mais aussi du passé (admiration, copie, reprise, continuité) et parfois un peu de futur (précurseur, ouverture, délire, folie, fatum). C’est quand il y a beaucoup de futur qu’on dit que l’art est grand. Mais un art futur n’est pas un art qui se vend bien ou qui est dans les musées, ou que la génération suivante trouve bêtement beau, c’est un art qui dure, qui interroge, qu’on a du mal à saisir. La création doit être insaisissable ; divine, quoi.
Pour beaucoup de contemporains qui s’intéressent pas du tout, un peu, beaucoup ou énormément à l’art, il y a l’Art et l’art. Une époque peut rejeter quelque chose de trop anxiogène qui s’avère « beau » plus tard, beaucoup plus tard, mais peut aussi rejeter quelque chose de laid qui reste laid, ou sans intérêt. Souvent, on confond beauté et utilité, et c’est vrai que c’est pas loin, conceptuellement. Quelqu’un qui ne s’intéressera pas du tout à l’art préférera un portrait en pied de biche à l’orée d’une forêt avec un rai de lumière sur le pelage, limite Fanfan dans Walt Disney, plutôt qu’à une œuvre dérangeante, interrogative, ou plus profonde, à la Anne Van der Linden :
Veuillez nous pardonner, on n’a pas gardé tous les titres de toutes les œuvres qui vont suivre, en même temps les titres on s’en fout un peu, on a focalisé sur les images.
Restons dans le genre anxio avec Jorg Hermle, et ses familles qui cachent des secrets monstrueux, des secrets qui vivent au milieu des familles...
On enchaîne avec Nikiforos Lytras et son Antigone, un peintre grec (Niki, pas Anti). Du classique, mythologique, avec du clair-obscur, qui représente Antigone devant le corps de son frère Polynice, l’histoire est un peu compliquée à résumer ici.
Tiens, notre Antigone de Niki pourrait faire partie d’un diptyque ou d’un triptyque avec L’Île des morts d’Arnold Böcklin. C’est sympa de représenter la Mort, tous les artistes aiment bien s’y frotter, il n’y a pas de tabou, plus c’est flippant, mieux c’est.
La Mort, c’est un thème cher aux artistes, comme l’Amour, la Nature ou Jésus.
Christian Boltanski a tenté de nous faire une Auschwitz avec cette pile de fringues, afin de représenter une Mort considérable, mais ça ne fonctionne pas trop. On a plutôt l’impression de se trouver dans un dépôt d’Emmaüs ou à côté d’un camp de Roms, vous savez, ces petits êtres qui vident les récepteurs de fringues qu’on refile aux pauvres (Le Relais), qui les mettent deux ou trois jours et qui les balancent à côté de leur campement, avant de se faire dégager un jour par les CRS et de reprendre leur vie de nomades parasites mais pas foncièrement méchants.
Pour en revenir à Boltanski, qui est plutôt un communicant qu’un artiste, d’autres diraient « escroc » mais on leur laisse ce jugement, il y a heureusement le système médiatique culturel qui vient à son secours sous la forme d’un discours politique nécessaire à l’œuvre.
Et là on retombe dans les outrances de l’art contemporain qui ne vaut pas grand-chose, même au présent. Mais c’est une production qui correspond au mensonge et au vide idéologique néolibéral pour qui il s’agit surtout de vendre de la merde à des cons, donc c’est raccord, et il faut des commerciaux pour ça, ce sont les journalistes complices. L’art contemporain c’est donc « beau et con à la fois », comme dirait Jacques Brel.
L’art qui a du futur en lui, les œuvres grosses d’un futur, étaient forcément provocantes pour l’époque. Mais aujourd’hui, on produit de la provocation sans avenir et sans art, ce que soulignent les pourfendeurs de l’art contemporain, par exemple Jean-Philippe Domecq dans Artistes sans art. La critique de l’art contemporain devient un combat politique, la droite traditionnelle s’opposant à la gauche en pointe dans l’art spéculatif.
On en vient à admirer des vaches du XIXe brouter, juste pour conchier des merdes américanisées du XXIe. On a compris le discours d’Aude de Kerros, pas la peine de nous tartiner de l’installation misérable produite par des escrocs du matin au soir, on a pigé l’encule ! C’est vers les vrais artistes d’aujourd’hui, ceux qui doivent bouffer, qu’il faut se tourner, pas la peine de faire de la publicité négative à Jeff Koons et autres vauriens.
Karel Appel est mort récemment (2006) mais ses oiseaux semblent sortis d’une maternelle à la maîtresse un peu déglinguée. On en profite pour faire un petit coucou aux maîtresses des écoles maternelles, dont on parle rarement dans les médias, ce sont surtout les profs de collèges ou de lycées qui occupent l’espace médiatique avec leur pleurniche sur les salaires et les élèves méchants et les directives du ministère. Les maîtresse font un super boulot et comme souvent, on ne parle pas des gens discrets.
On parlait des grands thèmes de la peinture, la Mort, l’Amour, et la Nature. Chaque peintre voit son paysage à sa façon. Valloton va nous faire un crépuscule de folie avec une brise d’automne, ou de printemps...
Konstantin Fedorov sera plus brut, plus russe, plus romantique encore, presque magique :
Le Matin de juin qui suit nous rappelle le graphisme de la Ferme des animaux, ce petit film commandé par la CIA pour injecter dans la tête des petits Américains la hantise définitive du communisme :
Après ça, un petit Renoir s’impose, ça repose !, avec ses taches de lumière jaune cassé, de vraies pétales de fleur de lumière !
On est loin de la bamboula chez les morts de Felix Nussbaum !
En fait de bamboula, on présente nos excuses, il s’agit du Triomphe de la mort, une vision apocalyptique deux mois avant sa déportation. Pour info, Felix n’est pas un contemporain de Jérôme Bosch, ce qu’on pourrait croire au premier regard, mais un juif allemand décédé à Auschwitz en 44. On ignore s’il avait des infos sur Auschwitz, mais il a assez bien représenté le comité d’accueil des déportés travailleurs, cet orchestre sinistre formé des musiciens de tous les pays européens.
Ça c’est une toile accrochée chez Pinault, notre grand milliardaire et collectionneur d’art (une forme contemporaine de défiscalisation). On voit que notre François préfère les trucs colorés sans grand sens pour faire beau dans le salon et générer des « oh » et des « ah » plutôt qu’un Nussbaum (Noisetier) qui foutrait la mauvaise ambiance.
C’est peut-être ça la définition de l’art véritable, le malaise, mais un malaise fascinant, un truc qui vous travaille l’intérieur et qui fait son chemin au dedans, comme dans la poésie de Nougaro, Paris Mai.
Et moi, l’oiseau forçat, casseur d’amère croûte
Vers mon ciel du dedans j’ai replongé ma route
Pour confirmer notre définition historique de l’art véritable (qui sera enseignée dans toutes les écoles au XXIIIe siècle), voici un florilège des œuvres qui ne créent ni malaise ni fascination, à peine un sourire méprisant.
On a glissé un Picasso dans le tas, saurez-vous le trouver ? La toile du Maître est à la fois majestueuse et naze, mais le Pablito n’a pas fait que du commercial à deux balles, Picasso était un grand dessinateur (à 14 ans déjà) qui a trouvé son style et il y est allé à fond, n’hésitant pas à copier et recopier ses propres idées, elles-mêmes inspirées de l’art africain, mais l’inspiration c’est l’inspiration, ça ne se discute pas. Et on ne peut pas dire que Picasso soit le Gainsbourg de la peinture, ça serait exagéré.
On va terminer ce petit tour dans notre musée virtuel par des gens qui aiment l’art et le défendent.
Nous n’avons malheureusement pas la carte (la carte E&R permet de se faire refouler de partout) qui ouvre les portes de toutes les soirées privées ou expositions la veille de l’ouverture au grand public, avec petits fours et gratin parisien, mais pas besoin d’être Jack Lang, Guillaume Durand ou Jean Cocteau pour apprécier l’art et se faire son petit musée virtuel.
La prochaine fois, on parlera de poésie. Ça va saigner.