Depuis la loi « MeToo », qui est effectivement une loi non écrite mais qui a l’effet d’une loi, des personnalités médiatiques sont dégommées sur la base de dénonciations, fondées ou pas, de la part de femmes (on met de côté les affaires de pédocriminalité) qui ont été ou qui auraient été agressées sexuellement. Tout le monde a entendu parler des affaires Polanski, Tron, Weinstein, Haziza, PPDA, et plus récemment des affaires Abad, Bouhafs, Grasset et Coquerel.
Si ces affaires se ressemblent par leur mode opératoire, qui commence par un témoignage sur Twitter, puis par une avalanche de témoignages ou d’infos qui corroborent plus ou moins l’accusation, créant un effet de masse qui vaut condamnation, quand on gratte les faits, les conditions initiales comme on dit en physique, on remarque que tout se complique, que parfois un mobile politique se dessine : le contentieux sexuel cache des enjeux de pouvoir, que ce soit entre l’accusé-homme et la femme-victime, ou entre un producteur et une actrice, voire deux camps politiquement opposés.
Le site d’Edwy Plenel s’est fait une spécialité dans la dénonciation des agresseurs sexuels. On y recueille des témoignages qui visent généralement un homme politique ou médiatique, sinon médiatico-politique, souvent de droite, ou en tout cas pas de gauche. Premier biais cognitif. Chez les chasseurs, on préfère ramener un trophée de gros gibier, un Big five (rhinocéros, éléphant, lion, buffle ou léopard) plutôt qu’un vulgaire phacochère, voire une mangouste.
Chez les chasseurs de trophées médiatiques, c’est le même sport : on rêve d’accrocher un PPDA, surtout s’il a été à la tête de l’info – de droite – sur TF1 pendant plus de 20 ans. Attention, on ne cherche pas à dire que l’ancien présentateur du 20 Heures est innocent des accusations qui pèsent contre lui, et ce n’est pas non plus l’objet de cet article.
L’objet, c’est la politisation sous-jacente de la dénonciation antisexiste. C’est le politique qui est visé derrière l’homme. Cela aurait pu être une affaire de corruption, ou d’extorsion, ou d’abus de bien social, mais c’est une affaire de sexualité, un domaine où les motivations et les actions peuvent être très complexes. Le sexe est devenu le vecteur par lequel les hommes, ou l’homme blanc de plus de 50 ans, peut aujourd’hui chuter. Et encore, la barre des 50 ans ne tient plus, puisque le jeune journaliste-militant de LFI Taha Bouhafs en a fait les frais tout récemment. Il réagit ici au cyclone qu’il a traversé.
Pour avoir une idée de la façon dont fonctionne le machin intitulé “comité contre les violences sexuelles” de LFI, il faut absolument lire ce communiqué de Taha Bouhafs.
Jugement sans procès, secret, mensonge et manipulation à tous les étages.
On le subodorait. C’est pire encore https://t.co/sKfDwlhA1A— Claude Weill (@WeillClaude) July 5, 2022
On comprend, que l’on apprécie ou pas le travail politique de Bouhafs, que l’épée qui s’est abattue sur lui est l’arme par laquelle un ennemi politique a été éliminé. Le pouvoir est aujourd’hui du côté de ce manche. La preuve : si l’on est du bon côté du manche, on ne risque rien ou pas grand-chose, même si on viole la loi MeToo. Frédéric Haziza, malgré ses agressions répétées dans la chaîne publique LCP, n’a pas subi le shitstorm internet d’un Taha Bouhafs. C’est justement LFI, la colonne vertébrale de la NUPES, qui est aujourd’hui dans le viseur du pouvoir profond. Et tout ce qui peut déstabiliser le populisme de gauche est bon à prendre, pour les agents du pouvoir profond.
D’abord, à partir d’un excellent article du Monde diplomatique daté de juillet 2022, intitulé « Les barbares à nos portes ! », nous vous laissons découvrir la violence du rouleau compresseur médiatique anti-LFI. Nous allons, une fois n’est pas coutume, diffuser une bonne partie de ce remarquable travail de veille média, en espérant que les deux auteurs nous pardonneront cette légère entorse à la déontologie.
Un mois durant, la couverture médiatique de la Nupes est à la fois massive et négative. Mais, à la vue du bon score de la gauche au soir du premier tour des élections législatives, les chefferies éditoriales substituent à leurs tirs de barrage quotidiens une stratégie de type « tapis de bombe ». Instruit au rythme des chaînes d’information en continu, un procès médiatique décline trois chefs d’inculpation contre la gauche : sa victoire rendrait la France « ingouvernable », la ruinerait économiquement et anéantirait ses « valeurs républicaines ».
Sur France 2, le présentateur Laurent Delahousse soupire : « On va se retrouver devant une Assemblée tellement complexe, tellement lourde, tellement de débats, tellement de fractures… » ; puis il s’agite : « Dix-sept députés mélenchonistes arrivaient déjà à être un mur face au gouvernement actuel, quand ils vont être cent, qu’est-ce qu’il va se passer ? » L’éditorialiste de France Télévisions, Nathalie Saint-Cricq, tremble déjà : « Ça va être absolument ingérable. (…) Ça va être quelque chose d’extrêmement violent, surtout que Jean-Luc Mélenchon a dit dès le début qu’il y aurait le pôle de l’Assemblée et le pôle de la rue, de manière à faire une synergie ! » Le lendemain, l’effroi gagne les rédactions. « Vous vous imaginez s’ils sont cent ? », s’étrangle le journaliste Renaud Pila sur LCI. Dans Le Point, Bernard-Henri Lévy, qui a consacré quatre de ses dix dernières chroniques à fustiger M. Mélenchon, s’emporte contre « ces tyrannophiles déguisés en aimables agitateurs » qui vont « parasiter le travail des commissions où l’usage républicain veut que siège le principal parti d’opposition » (16 juin). Aussi, pour dynamiser les troupes, Le Parisien — qui affiche M. Macron et sa majorité six fois en « une » durant sept jours, contre trois fois seulement pour la Nupes (certaines couvertures sont partagées) — se mue en coach sportif : « Macron : une semaine pour arracher la majorité absolue » (13 juin).
Deuxième thème : la ruine. Arguant que « les Français vont avoir peur », le président du Mouvement des entreprises de France (Medef), M. Geoffroy Roux de Bézieux, décrète que le programme de la Nupes « va nous amener directement à une énorme récession, et (…) à une faillite » (Europe 1, 15 juin). Aux grands maux les grands moyens, BFM TV mobilise trois de ses chroniqueurs le 13 juin pour dispenser les mêmes exercices de pédagogie. « Ce programme est véritablement hasardeux, pour ne pas dire dangereux pour l’économie française », alerte Guillaume Paul. Avec un plafond sur l’héritage à 12 millions d’euros, le relaie Pierre Kupferman, « le risque, c’est que les contribuables concernés délocalisent leur patrimoine. Plus de villa sur la Côte d’Azur mais plutôt aux Baléares, on vend l’appartement luxueux à Paris pour en acheter un à Londres ou à Dubaï ». Sur LCI, Jean-Michel Aphatie juge qu’une hausse du salaire minimum conduirait à « une crise inévitable » en Europe (13 juin). « Si vous arrivez au pouvoir, comment vous les rassurez, tous ceux qui craignent que ça va être la ruine du pays ? », demandent Léa Salamé et Nicolas Demorand à M. Olivier Faure, premier secrétaire d’un Parti socialiste désormais coalisé au sein de la Nupes (France Inter, 15 juin). Mais déjà l’éditorialiste Christophe Barbier a exposé sur RMC (14 juin) le troisième chef d’inculpation : un programme certes « économiquement irresponsable », mais aussi « très douteux sur les valeurs républicaines ».
Ce dernier slogan tourne en boucle sur les chaînes d’information en continu : « Est-ce que Jean-Luc Mélenchon est plus républicain que le Rassemblement national ? », s’interroge sur LCI Guillaume Roquette, directeur de la rédaction du Figaro Magazine (12 juin), pendant que sur CNews Pascal Praud s’affole : « Chaque mot de M. Mélenchon, c’est pour déstabiliser les institutions, le pouvoir, et pour être l’homme du chaos et pourquoi pas d’un climat révolutionnaire. » Sur RMC (14 juin), le chroniqueur sportif Daniel Riolo se déchaîne contre celui qui « admire [Hugo] Chávez, [Nicolás] Maduro, l’antisémite [Jeremy] Corbyn, et tout ce genre de clique », avant de conclure que, de Mme Marine Le Pen ou de M. Mélenchon, « le plus antirépublicain, c’est lui ». Au Figaro, la Nupes agite la plume peu roturière de Vincent Trémolet de Villers : « Haine sociale, communautarisme assumé, antispécisme agressif, racialisme tranquille… C’est woke en stock » (14 juin). Se dégage ainsi le portrait politique d’un pays coupé entre, d’un côté, « les extrêmes » et, de l’autre, le « camp de la raison ». « Extrême gauche, extrême droite, comment expliquez-vous cette poussée de radicalité en France ? », demande benoîtement le matinalier de France Inter, Nicolas Demorand, à un pilier de la majorité, M. Clément Beaune (14 juin).
On l’aura compris, la ligne rouge, c’est – vautrons-nous dans les amalgames – le populisme, l’antirépublicanisme, l’antisionisme, l’antisémitisme, le nazisme. Résultat des courses : les électeurs fragiles, devant la diabolisation forcenée de LFI-NUPES, ont dévié leur vote vers le RN, envoyant 89 députés à l’Assemblée, un choc thermonucléaire pour la République, ou ce qu’il en reste.
Retombons sur nos pattes : lors du vote du président de la commission des Finances, poste ô combien important à la Chambre, le candidat LFI passe devant le candidat RN, soit. Éric Coquerel est élu. Pour ceux qui connaissent le parcours du fidèle lieutenant de Mélenchon, c’est un antilibéral forcené, cofondateur du Parti de gauche, anti-européiste – jusqu’ici tout va bien –, malheureusement pro-migrants. Là s’arrête son opposition au Système. Mais sur sa lancée sociale, dans la droite (ou plutôt gauche) ligne d’un Jeremy Corbyn, il reste anticapitaliste, anti-impérialiste, préférant par exemple Chavez à Obama. Et pour la presse mainstream, apprécier Chavez, c’est soutenir toute la bande de l’axe du Mal, à savoir Poutine, Kim, Xi et Khamenei. Il ne manque plus que Hitler et Staline, malheureusement, ils sont morts. Mais ils servent encore !
Coquerel promu, c’est déjà trop pour le Système : le lendemain de son élection, tombe le premier témoignage à charge. Les faits sont importants, enfin, façon de parler. Wikipédia décrit le crime, et le criminel :
Sophie Tissier, activiste et ancienne proche du Parti de gauche et figure des Gilets jaunes, l’accuse de « gestes déplacés » lors d’une soirée dansante prolongée en boîte de nuit en 2014 à Grenoble dans le cadre des universités d’été du parti dont il était alors le coordinateur national. Le 3 juillet, elle annonce avoir saisi le comité contre les violences sexuelles de La France insoumise. Dénonçant des mains baladeuses, une « drague lourdingue » et un « regard salace et gluant » ainsi que des textos suggestifs, elle porte plainte contre lui à Vanves, le 4 juillet pour harcèlement sexuel et pour des gestes « pouvant s’apparenter à une agression sexuelle ».
Éric Coquerel affirme qu’il s’agissait d’un « flirt » et dément toute « drague lourde » ou « harcèlement ». La vidéaste web Tatiana Ventôse, elle-même ancienne responsable du Parti de gauche, indique avoir été la témoin des faits avancés par Sophie Tissier. Cependant, Marie-Laure Darrigade, candidate LFI aux élections européennes, infirme ces allégations. La militante féministe Rokhaya Diallo affirme que le témoignage de Sophie Tissier n’est pas isolé : « J’ai eu accès à des témoignages directs, j’ai aussi eu plusieurs fois accès à des témoignages de journalistes qui en avaient recueilli d’autres ». Selon Mediapart, il n’existe que deux témoignages directs, dont celui de Sophie Tissier, et celui d’une autre femme qu’Éric Coquerel dément intégralement.
Nous avons donc une « drague lourde » élevée au rang d’agression sexuelle, ce qui est une torsion de l’esprit de justice, et une dérive de la loi MeToo. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les allégations de Rokhaya Diallo sont plutôt floues. Mais la machine infernale est en marche, et personne ne peut plus l’arrêter, au risque de se faire aussi écraser, ou considérer comme complice du crime (de drague lourde, rappelons-le).
Coquerel a subi, chez Drahi TV, le roulement des questions de ses juges, qui ont essayé de lui faire cracher son forfait, supplice de la roue version 2022.
Le site de Daniel Schneidermann, Arrêts sur Image (ASI), a trouvé une possible explication à la violence du traitement médiatique qui s’apparente à un procès à charge, un procès de Moscou :
Pour la première fois en France, un élu de la gauche radicale accède à un poste qui pourrait lui permettre de lutter, si peu que ce soit, contre l’évasion fiscale. À ce propos, Éric Coquerel, tout nouveau président de la commission des finances de l’Assemblée, est invité une heure sur BFM TV. Et sur cette heure, trente-huit minutes – trente-huit ! – sont consacrées à l’interroger sur le témoignage d’une femme, Sophie Tissier, produit la veille, qui l’accuse d’avoir dansé avec elle de manière trop serrée, six ans plus tôt (Sophie Tissier avait été notre invitée en 2013, sur une toute autre affaire). Et alors, M. Coquerel, aucun geste déplacé, jamais dans votre vie ? Jamais jamais jamais ? Et quand M. Abad arrivera à l’Assemblée, vous allez le chahuter ? Voir ci-dessous le montage des questions, réalisé par le compte Twitter « Caisses de grève ».
[ Interview d'@ericcoquerel ]
30 minutes d'inquisition pour pouvoir défendre Damien #Abad, ils sont fort ces journalistes #BFMTV pic.twitter.com/WNsrw5eImC— Caisses de grève (@caissesdegreve) July 3, 2022
Je pourrais citer les noms des trois journalistes ayant contribué à cette magnifique diversion, Benjamin Duhamel, Amandine Atalaya, Hedwige Chevrillon. On le pourrait, mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel, c’est de se souvenir que le propriétaire de cette chaîne, Patrick Drahi, est lui-même un roi de l’optimisation fiscale. À qui fera-t-on croire que l’acharnement de ceux-ci n’a rien à voir avec les pratiques fiscales de celui-là ?
Tout devient alors, à gauche, un mal de tête. Chez E&R, on appelle ça un bug dans la Matrice. Citons encore ASI :
La troïka de Drahi se sent pourtant invulnérable, parce qu’elle s’abrite derrière l’incontestable cause de #MeToo. Et il est vrai que le cas Coquerel est, pour les féministes de gauche, l’exact et cauchemardesque point de brisure entre l’émancipation millénaire de #MeToo et les milliards perdus de l’évasion fiscale. Le moment où chacun·e est acculé·e à choisir sa priorité. Dans la logique #MeToo, Coquerel devrait démissionner, ou être "mis en retrait" par La France insoumise. Si on considère que prime le combat contre la fraude mondialisée, il doit s’accrocher à son poste, avec les dents.
Mais là, nous sortons du débat qui nous intéresse : l’instrumentalisation de MeToo pour pratiquer l’élimination politique en France, aujourd’hui. Et pourtant, LFI n’est pas le parti bolchevique, comme le RN n’est pas le NSDAP. Mais il suffit que les programmes de ces deux partis – qui montent, qui montent – commencent à s’en prendre au vrai pouvoir, au pouvoir profond, celui de la Banque, pour que le Système augmente son niveau de violence.
Il y a presque un siècle, en URSS, le communiste qui s’écartait de la ligne pouvait être liquidé. Aujourd’hui, comme les tenants du Système ne peuvent pas condamner les populistes sur leur programme de justice sociale, il les coince sur des détails, et la loi MeToo permet presque tout : qui n’a pas un jour, en tant qu’homme, serré une femme dans ses bras ? Le serrage vaudra-t-il un jour excommunication sociale et politique ?
Le grand public comprend-il, au-delà de la fracture droite/gauche, la tyrannie qui avance masquée derrière la défense de l’intégrité féminine ? Les femmes – et là on ne parle pas des vraies violées – qui se plaignent des années plus tard d’un slow un peu collant ont-elles conscience de jouer le jeu de la dominance, celle qui a fait tabasser les Gilets jaunes par le pouvoir visible, celle qui a fait mourir des milliers de patients en Ehpad par le Rivotril, celle qui a confiné pendant des mois des dizaines de millions de Français non malades, celle qui a terrorisé les enfants avec un virus que Jérôme Salomon, le directeur de la Santé (qui a démissionné depuis), a eu le cynisme calculé de comparer à la « peste » ?
Bonus : sur Facebook, une féministe contre les dérives de MeToo
Il ne restera bientôt plus aucun homme !
Jamais je n’aurais imaginé devoir « défendre » Éric #Coquerel un jour, mais comme je l’ai fait pour Damien Abad (gravement handicapé, trop pour déboutonner seul sa chemise), là aussi, indépendamment de leurs couleurs politiques, je redis « Stop aux dérives de Me Too ».
Me Too était sans doute une révolution nécessaire et apportera du bon à la société si ce mouvement sait rester raisonnable et cesse d’amalgamer drague lourde de gros plouc et vrai viol.
Sortons surtout de l’escroquerie du concept d’ « emprise ». J’ai déjà beaucoup écrit sur ce sujet. Autrefois on disait « L’amour rend aveugle ». Aujourd’hui, on dit « j’étais sous emprise » pour désigner le même phénomène, la même addiction. J’ai travaillé 4 années pour Antoinette Fouque, cofondatrice du MLF, et j’ai adoré défendre les livres de Gisèle Halimi et Benoîte Groult.
Aujourd’hui encore, je suis immensément fière de défendre un livre sur Simone Veil et de protéger de toutes mes forces le droit des femmes à disposer de leur corps.
J’ai une admiration sans borne pour le travail d’Élisabeth Badinter et de Sylviane Agacinski. Une grande estime pour le beau parcours d’Élisabeth Borne. J’aime toutes ces illustres féministes historiques et actuelles, mais certaines extrémistes actuelles (affaires Damien Abad, Éric Coquerel, aujourd’hui tout homme qui dit à une femme qu’elle est belle est immédiatement soupçonné du pire, ça devient irrespirable etc) par le rejet que leur folie inspire chez les personnes sensées, en rendant impossibles les relations hommes-femmes, en les faisant glisser vers un puritanisme répugnant, une société aseptisée et QR codée, font reculer la cause des femmes.