La Chine lance la nouvelle route de la soie, une route qui relie la Chine à l’Afrique, et à l’Europe sur les traces de Marco Polo. Cette opportunité économique et géostratégique est la meilleure nouvelle qui puisse arriver pour l’Europe qui se trouve à une extrémité de la route. L’Europe saura-t-elle profiter de cette ouverture économique vers l’Orient ?
« Les vieux pays ont des lunettes pour voir le futur », aurait pu dire un proverbe chinois. Le président Xi Jinping s’est inspiré de la légendaire route de la soie, qui a assuré la prospérité de la Chine pendant un millénaire, pour lancer le plan de développement économique le plus ambitieux de l’histoire du 21e siècle : « One Belt One Road » (OBOR).
D’un côté, une « ceinture » terrestre qui relie l’intérieur de la Chine à l’Europe, par l’Asie centrale et la Turquie ; de l’autre côté, une « route » maritime qui relie le littoral chinois à l’Est de l’Afrique, en passant par les pays du Golfe. C’est la « nouvelle route de la soie » qui officialise l’entrée de la Chine dans le club des grandes puissances mondiales.
L’OBOR matérialise, en effet, les alliances politiques et commerciales que la Chine, puissance montante du 21e siècle, a patiemment tissé depuis des décennies. Cela fait plusieurs années que les entreprises chinoises construisent des pipelines et des réseaux de fibres optiques à travers l’Eurasie et l’Afrique. Loin d’agir avec des canonnières, comme les anciennes puissances européennes et les États-Unis, la Chine choisit une méthode plus habile, le « soft power », investissant dans des pays en voie de développement pour s’y rendre indispensable.
L’objectif de la Chine est, bien entendu, de dynamiser son économie. Avec une croissance de « seulement » 7,4 % de son PIB, l’an dernier, la Chine doit absolument donner une nouvelle impulsion à son économie. Ses manufactures, principalement la fabrication d’acier et les équipements lourds, vont trouver de nouveaux débouchés.
Sur la nouvelle route, la Chine trouvera également de nouveaux gazoducs en Asie centrale et de nouveaux ports en eau profonde, en Asie du Sud, pour étancher durablement sa soif en énergies fossiles.
Ces projets vont aussi imposer le renminbi comme monnaie d’échange internationale, au détriment du dollar. C’est un objectif économique important pour Pékin.
Sur le plan militaire, la réouverture de voies terrestres entre l’Europe et la Chine sert à contourner le détroit de Malacca. Ce goulot d’étranglement de 45 kilomètres de large et 700 kilomètres de long, coincé entre la Malaisie et l’Indonésie, voit passer 90 % du trafic maritime chinois vers l’ouest. Pour paralyser la Chine, il suffirait de bloquer le détroit.
Ces routes terrestres entre l’Europe et l’Asie feraient gagner dix jours, en moyenne, par rapport au transport maritime. Le passage par la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie serait encore plus rapide.
Enfin, sur le plan géopolitique encore, la Chine est convaincue que le fait de construire une zone de prospérité économique va étouffer la menace de chaos djihadiste, née de la misère économique, qui menace d’emporter l’Asie et l’Afrique. Un peuple bien nourri peut, selon Pékin, se passer d’idéaux politiques ou religieux.
Après des années de modestie de façade, la Chine est prête à gouverner le monde, c’est ce qu’elle signifie en créant la Banque Asiatique d’Investissement dans l’infrastructure (AIIB), du Fonds de la Route de la soie, de l’Organisation de coopération de Shanghai, des BRICS, du G13 et des forums économiques, tels que le Forum de Boao. La Chine s’était initialement, en apparence, soumise au système de gouvernance mondiale prôné par les Américains. Cette phase a pris fin.
L’Union européenne pourrait embrasser cette nouvelle opportunité de développement avec enthousiasme. Elle y gagnerait en stabilité régionale, en développement économique et diversifierait son approvisionnement énergétique. De plus, l’Inde, le Pakistan, l’Iran, le Kazakhstan sont de nouveaux marchés intéressants pour les entreprises européennes.
Participer à la nouvelle route de la soie serait une bonne occasion de se rapprocher de la Russie et apaiser les tensions. L’Union européenne aurait une occasion unique de formuler ses propres intérêts en collaborant avec la Chine à la création de cette nouvelle route de la soie. Cela deviendrait une initiative sino-européenne, un projet gagnant aux deux extrémités de la route.
Mais l’Europe est aujourd’hui beaucoup trop asservie à Washington pour oser saisir cette opportunité.
La vieille Europe a perdu ses lunettes, elle ne voit plus l’avenir.