Des dizaines de jeunes originaires de la cité gardoise sont partis en Syrie. Mais depuis ces départs discrets, une chape de plomb pèse sur la ville. Nîmes tente tant bien que mal de faire face au problème.
Myriem et Ouda* sont deux femmes originaires de Nîmes (Gard). Il y a plusieurs mois, leurs fils sont partis faire le jihad en Syrie. L’un s’y trouverait toujours, l’autre y a trouvé la mort. Elles ont accepté de témoigner pour Francetv info et France 2 « pour informer les familles », prévenir « les autres parents que ça peut arriver, pour les aider ». Mais les conditions de l’entretien sont strictes. Le lieu du rendez-vous est donné au dernier moment, et leur anonymat doit être garanti. Car aujourd’hui, Myriem et Ouda se sentent menacées, par les « recruteurs » dans les quartiers, et par ceux qui sont « là-bas », en Syrie.
Ces précautions illustrent le sentiment qui verrouille les familles à Nîmes : la peur. Cette crainte qui empêche de parler. La cité gardoise est bien plus discrète que Lunel, la petite sœur héraultaise située à une trentaine de kilomètres, et où pas moins d’une vingtaine de jeunes sont partis en Syrie. À Nîmes, où vivent 150 000 personnes, le phénomène est moins flagrant, et pourtant tout aussi présent.
« Le Gard fait partie des départements les plus concernés »
Preuve en est, ce graffiti retrouvé sur un mur en Irak en juillet 2014, et diffusé sur Twitter : « L’État islamique en Irak et au Levant // Nîmes 30 // Mas 2 Mingue // Chemin Bas », deux quartiers de Nîmes. Selon le journaliste David Thomson, auteur de Les Français jihadistes (éditions Les Arènes), une cinquantaine de Nîmois ont rejoint les rangs du groupe État islamique entre 2010 et 2015, et trois sont morts. Des associations parlent de familles entières. D’autres recensent au moins cinq jeunes morts.
La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) confirme qu’il s’agit d’un « foyer » sur lequel elle s’est focalisée dans la région Languedoc-Roussillon. « Le Gard fait partie des départements les plus concernés, avec Nîmes en première ligne », reconnaît un député du département, Christophe Cavard (EELV), secrétaire de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats et le terrorisme, même si « d’autres endroits de la France partagent cette réalité », tient-il à préciser.
Quatre quartiers populaires gravitent autour du centre-ville de Nîmes. À l’ouest, nichés sur les collines, la « ZUP » : Valdegour et Pissevin, qui concentrent à eux seuls 17 000 habitants. Des îlots de bâtiments vieillissants, construits entre des routes cabossées et quelques arbres en fleurs, qui s’agitent quand le mistral souffle. Au sud-est du centre-ville et de ses célèbres arènes, les quartiers du Chemin-Bas d’Avignon et du Mas de Mingue. Plus petits, moins peuplés – respectivement 7 000 et 2 270 habitants –, ils présentent pourtant le même visage. Pendant la journée, les rues sont quasiment vides. Ce n’est qu’à la sortie des classes qu’elles retrouvent de l’animation.
C’est à ce moment-là que les associations prennent le relais. Chaque jour, elles assurent du soutien scolaire et des activités pour les élèves, de l’école élémentaire au lycée. Face aux adolescents et jeunes adultes tentés par une « guerre sainte » en territoire inconnu, les associations les plus ancrées dans les quartiers se retrouvent alors en première ligne. Elles observent plutôt un phénomène diffus, au milieu de dizaines d’élèves pas concernés par le problème.
La honte et la culpabilité des mères
Les membres de la Maison d’accompagnement scolaire (MAS), à Valdegour, ont connu trois jeunes filles parties en Syrie, dont deux sœurs, âgées de 17 et 18 ans au moment de leur départ. L’une était en première S, l’autre en terminale ES. Sérieuses et bonnes élèves, elles ne posaient aucun problème. « Cela s’est passé en une année », décrit Amina Segueg, directrice de la MAS, et par ailleurs professeure de mathématiques. Une année au cours de laquelle elle a vu ces deux adolescentes revêtir un jilbab et des gants.
- Le quartier du Mas de Mingue, à Nîmes, le 20 janvier 2015
Ce n’était pas le cas de la troisième, une adolescente de 16 ans scolarisée en seconde professionnelle, et partie encore plus vite. « Elle était très discrète », se souvient Pascal Besson, principal d’un collège nîmois, qui l’a connue en classe de 3e. La rumeur de leur départ s’est propagée comme une traînée de poudre dans le quartier. Et la mère des deux sœurs s’est renfermée.