Longuement interrogée par le site Ozap, la pasionaria de l’investigation Élise Lucet, à la tête de Cash Investigation sur France 2, a évoqué l’évolution du métier d’enquêteur à la télé, l’importance croissante du pôle juridique, la liberté relative sur le service public, tout en soulignant la disparition progressive des pôles enquête chez les concurrents privés (Canal+, TF1 et M6).
Sur Canal+, « Spécial Investigation » a été supprimée par Vincent Bolloré et la case investigation n’existe pas sur TF1 et M6. L’investigation indépendante est-elle seulement possible sur France Télévisions ?
Bien sûr. Il y a un poids des annonceurs dans les chaînes privées qui est réel. Nicolas de Tavernost (président du directoire du groupe M6, NDLR) a dit lui-même qu’il n’hésiterait pas à dire aux journalistes de son groupe de préserver ses clients. À France Télévisions, Delphine Ernotte (présidente du groupe audiovisuel public, NDLR) est ultraclaire là-dessus. Elle dit que des campagnes de pub, on en a perdu. Pas seulement à cause de « Cash ». À cause aussi d’autres émissions d’investigation du groupe.
Et elle dit aussi que l’on trouvera d’autres campagnes de pub. C’est le job de la régie. Il vaut mieux garder une réputation de très bons journalistes et perdre des campagnes de pub plutôt que l’inverse. Nous sommes quand même dans l’endroit idéal pour faire de l’investigation et cela me fait rigoler quand j’entends des gens d’autres chaînes, où l’on ne voit jamais d’investigation, nous donner des leçons sur l’investigation. C’est quand même savoureux, c’est drôle.
Vous pensez à Sonia Mabrouk, journaliste sur Europe 1 et CNews ?
À elle et d’autres. Franchement, c’est drôle. Ce sont des endroits où l’investigation n’a plus droit de cité. Sur Canal+ il y en avait pourtant, et des bonnes émissions (Spécial Investigation, L’Effet papillon…). C’est un groupe où l’on a enlevé toute investigation et où l’on vient vous dire « Ah, vous devriez faire cela en investigation ». Nous avons un peu le droit de rire.
En passant, Élise envoie un coup de pied de l’âne à Sonia, la journaliste très à droite de CNews et Europe 1, deux des médias de Bolloré. Mais on va voir que de donner des leçons d’indépendance peut être à double tranchant...
Élise Lucet ou l’indépendance dans les limites étroites du Système
On peut déjà reprocher aux émissions et magazines de France Télévisions qui proposent des sujets et des documentaires d’être le plus souvent orientés politiquement (à gauche), d’éviter les sujets sensibles (rien sur les lobbies ou le pouvoir profond, qui ne semblent pas exister pour eux), puis de dénoncer et harceler régulièrement les vrais opposants à l’idéologie dominante. Les réseaux de pouvoir occultes ont édicté la grille gentils/méchants, elle n’a pas changé d’un iota depuis deux décennies, malgré la révolution de l’information horizontale sur le Net.
Cependant, ces magazines ont le mérite d’exister, dans un périmètre donné, disons autorisé : celui de la consommation. On ne touche pas à l’idéologie du Système. En revanche, on dénonce ce qui est présenté comme des déraillements du Système (démocratique), alors qu’ils sont consubstantiels : on pense au dossier sur la surveillance sécuritaire.
On appellera donc Cash Investigation le magazine de service public des enquêtes autorisées, c’est-à-dire ne franchissant jamais la ligne rouge. On en veut pour preuve la sortie dégonflée de l’héroïne de l’enquête dans C à vous, l’émission de la marionnette Lemoine dont le commissaire politique est toujours (probablement à vie) Patrick Liste Noire Cohen.
Ce dernier revient sur le doc diffusé par France 3 il y a plus de 20 ans, et qui évoquait les viols collectifs d’enfants. Aujourd’hui, on parlerait de pédocriminalité organisée. Le doc a été supprimé des archives de l’INA, mais il navigue encore en solitaire sur le Net (on l’a diffusé chez nous).
En plateau, Lucet est gênée : Liste Noire lui demande de renier (on dirait Pierre qui renie le Christ avant le chant du coq) ce qui est devenu une sorte de bible officielle, mainstream, pour les chasseurs de pédocriminels, dans l’esprit c’est passé à la télé donc c’est vrai.
Alors que la journaliste pourrait renvoyer Cohen dans ses 22, elle se justifie en tremblant à l’idée qu’on puisse faire d’elle le héraut de la lutte contre la pédocriminalité, qui se rapproche aujourd’hui dangereusement des élites. Ce revirement, qui va à l’encontre du courage journalistique professé dans l’interview d’Ozap, a été mal pris.
Élise Lucet dans un magistral et pitoyable aplatissement médiatique, semble avoir tout oublié du contenu d'une investigation pourtant historique. Honte à vous de noyer le sujet ! pic.twitter.com/KMGPFmrNCu
— Alexandre Lebreton (@mk_polis) March 17, 2023
Dommage que Lucet se soit justifiée devant Liste Noire : le pouvoir des commissaires politiques à la télé et la pédocriminalité de haut vol auraient fait de sacrés bons sujets pour Cash !