On ne peut pas faire mieux-pensant que cette émission de Guillaume Erner sur France Culture. Ce petit agent médiatique passé par Canal+ refait l’histoire – lui a le droit – pour en corriger rétroactivement les erreurs, les fails (erreurs) ou les superfails comme il le dit si bien dans son français académique. C’est l’histoire des vainqueurs et on la connaît par cœur. On voit déjà l’ombre de l’entité anglo-américaine se profiler sur l’émission... Sauf que l’Histoire ne commet jamais d’erreurs. Les hommes, si.
Pour ce numéro de Superfail, cette tentative de révisionnisme mais du côté du Bien, Guillaume invite le patron d’Arrêt sur images Daniel Schneidermann qui revient à ses premières amours avec un livre de pourquois à la Philippe Vandel : pourquoi ou comment les 200 correspondants occidentaux en poste à Berlin de 1933 à 1941 n’ont-ils pas pu voir les persécutions contre les juifs qui ravageaient l’Allemagne ?
« Pourquoi le monde médiatique n’a pas compris qui était Hitler ? » demande Guillaume Erner sur le site de France Culture. Eh bien pour cette deuxième question, on peut répondre que les peuples, et les journalistes, avaient déjà pas mal l’habitude que les hommes politiques mentent du matin au soir, ce qui relativisait pas mal leurs propos. Or Hitler, lui, exceptionnellement, n’a pas menti. Et ça, les journalistes de l’époque ne pouvaient pas le savoir.
Schneidermann avance une explication plus plausible :
« Il faut se souvenir qu’à l’arrivée d’Hitler en 1933 l’énorme majorité des patrons de presse : français, britanniques, américains sont avant tout anti-communistes, la trouille qu’ils ont c’est l’expansion de la révolution soviétique en Europe. Donc pour beaucoup d’entre eux Hitler a au moins cet avantage c’est qu’il va constituer un barrage à l’expansion communiste. (...) Il y a en tout cas une absence de préjugé défavorable. »
De plus, les correspondants des journaux occidentaux, dont les pays tomberont les uns après les autres, en guerre contre l’Allemagne (France, Angleterre, États-Unis), sont bien payés et n’ont pas envie d’être expulsés par Goebbels, qui met effectivement à la porte de l’Allemagne tous ceux qui savatent trop le régime. On pourrait appeler ça le syndrome de Stockholm appliqué au journaliste en charge d’une personnalité. Un journaliste du Monde détaché auprès de Nicolas Sarkozy pendant ses années de gloire a même évoqué cette tendance à finir par ressentir de l’empathie pour son sujet. Côté Libération, c’est une ravissante journaliste qui tombera sous le charme d’un candidat irrésistible en campagne... Il se peut donc que les journalistes de l’époque aient été fascinés par le charisme incroyable du chancelier allemand. Mais ça, Guillaume et Daniel n’en parlent pas trop.
Aujourd’hui, toutes proportions gardées, un correspondant du Monde ou de Canal+ à Washington ne va pas pisser sur la jambe du président, sauf s’il s’agit de Trump (Trump est fasciste). À l’époque d’Obama, la correspondante d’i>Télé Laurence Haïm versera des larmes lors de l’élection du « premier président noir ». On la retrouvera ensuite assez logiquement dans le staff de communication du jeune candidat Macron, puis elle disparaîtra du paysage après plusieurs boulettes de gros calibre.
Laurence manque de s’étrangler de douleur lors de la réélection de Bush Jr en 2004 :
Revenons après cette petite embardée américano-macronienne à nos moutons antinazis. Cependant, avec l’élection de Trump nous n’étions pas tellement hors sujet, il n’y a qu’à entendre Daniel répondre à la question de Guillaume « quelle était cette cécité face à Hitler ? » :
« Le déclic du livre ça a été le Superfail de la presse américaine face à Trump. Vous vous souvenez, quand Trump a été élu, tous les journalistes américains ont commencé à se dire “mais qu’est-ce qu’on a raté ?” »
Et là Daniel nous gratifie d’un amalgame qu’un journaliste sérieux ne devrait pas faire, franchement :
« Plusieurs sites américains à ce moment-là ont eu l’idée de se pencher sur la manière dont leurs devanciers, c’est-à-dire les journalistes américains en poste à Berlin dans les années 30, avaient vu ou pas venir Hitler. C’est-à-dire ils ont commencé à se demander “est-ce qu’ils ont été meilleurs que nous ou pas”, “est-ce qu’ils ont raté le coche comme nous ou pas”... Et je me suis dit oui quand même, il y a quelque chose à explorer. »
Sauf que, cher Daniel, ce ne sont pas les journalistes mais les électeurs qui font l’élection. Là pour le coup les journalistes mainstream ont pris une énorme carotte dans le fondement de leur « choix » oligarchique.
Schneidermann rappelle malgré tout qu’un Américain, Edgar Mowrer, correspondant du Chicago Daily News, se fera expulser en septembre 1933 pour avoir parlé d’« un régime de fous » et « de barbares ».
Mais ce qu’il faut souligner, et nous rendons grâce à Daniel d’en parler, c’est la terrible guerre civile sur laquelle on a peu d’informations et qui mit aux prises les SA et la police nazie naissante – pas encore très efficace (de Goering puis Himmler) – avec les communistes qui étaient extrêmement bien implantés dans le pays. Avec des réseaux dormants, des représentations officielles et une structure clandestine et militaire. Plus une ligne directe avec Moscou à partir de Berlin, le centre international du Komintern en terre étrangère.
Le meilleur ouvrage pour comprendre cette guerre qui fera des milliers de morts, pour la plupart des militants communistes de base et un bon paquet de SA, les autres se planquant souvent au Danemark ou en Russie, c’est le Sans Patrie ni frontières de Jan Valtin, que nos gros lecteurs connaissent. Le combat de l’Apparat – l’appareil secret du Komintern – contre la Gestapo y est décrit de manière épique et inhumaine. Tout ça pour dire que les communistes ont morflé avant les juifs, et dans les premiers camps de redressement, d’où l’on pouvait sortir après une formation « physique » et un traitement politique de choc, quelques juifs se retrouvaient parmi une majorité de communistes. Communistes qui réussiront partout, dans tous les camps nazis, à remonter une structure de résistance et d’information clandestine. Mais bon, on s’écarte du sujet, là. Bientôt un article musclé sur cette période peu connue, promis.
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