Jean-Michel Aphatie, Guy Birenbaum, Gilles Bornstein et Fabienne Sintès sont en charge des interviewes politiques et géopolitiques de la nouvelle chaîne franceinfo. Le 8 décembre 2016, ils reçoivent Henri Guaino, ancien conseiller et rédacteur de discours de Nicolas Sarkozy.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas impartiaux. Ils ont choisi leur camp : celui des rebelles, de Daech et d’al-Nosra. Henri Guaino a choisi le sien – mais il a le droit – qui correspond à son éthique et à ses convictions personnelles. Les journalistes sont censés, eux, obéir à un code de déontologie, doublé d’un cahier des charges de service public.
La preuve en une question inquisitrice et non journalistique, de Gilles Bornstein :
« Qu’est-ce que vous admirez chez Vladimir Poutine ? »
Pour info, Gilles Bornstein a été longtemps le rédacteur en chef des émissions de Jean-Luc Delarue...
Après la gifle Brexit, la gifle Trump, la gifle Fillon, les journalistes du camp du Bien n’ont toujours pas compris pourquoi les Français ne les suivent plus, et pourquoi leur profession est aussi décriée.
Le syndrome antirusse, malgré le respect historique que se vouent les deux peuples, est une constante oligarchique en France, surtout depuis l’américanisation de la société. Pour exemple, la grande spécialiste de l’Union soviétique a longtemps été Hélène Carrère d’Encausse, qui a donné le la en la matière. Anticommuniste notoire, elle avait pronostiqué l’effondrement du système soviétique...
Le journal Le Monde, lui, reste indécrottablement antirusse et anti-Poutine. Dans un article d’André Frachon, daté du 8 décembre 2016, et intitulé « Xi Jinping, Trump, Poutine : un trio de durs face à une Europe trop douce », ressort toute la thématique des brutes sauvages asiatiques, avec en prime le populiste Trump dans le tas. Comme si les États-Unis, jusqu’à présent, avaient fait régner le droit international dans la Pax americana :
Les doux Européens, volontiers confiants dans l’extension de la notion d’État de droit à la vie internationale, n’ont guère d’illusions à entretenir. Poutine, Trump et Xi Jinping, nationalistes convaincus, veulent façonner le monde à leur main. Un peu partout, l’idéal démocratique-libéral est en perte de vitesse et, avec lui, celui d’un ordre international qui serait régi par la norme de droit. Il n’y a qu’à Bruxelles qu’on cultive encore ce dernier rêve.
L’article se termine sur une prophétie terrible :
À Pékin, Xi Jinping serait le moins anti-européen de « la bande des Trois », mais les Chinois savent jouer de la division des Européens entre eux. Dans la multipolarité conflictuelle qui s’annonce, la désintégration du projet européen serait une tragédie. Pour les Européens.
Or qui a affaibli et contrôlé l’Europe, depuis le début ? Sûrement pas la Russie ni la Chine...
Carrère d’Encausse ne va pas aussi loin dans le catastrophisme et dans l’américanophilie, elle semble secrètement apprécier la posture de Vladimir Poutine. Interrogée par La Revue des deux mondes, elle analyse la relation possible entre le président russe et le nouveau président américain.
« Nous sommes prêts à restaurer les relations entre la Russie et les États-Unis ». Telle était le message qu’a adressé Vladimir Poutine à Donald Trump au lendemain de sa victoire à l’élection présidentielle américaine le 8 novembre dernier. Une volonté visiblement partagée par le prochain locataire de la Maison-Blanche qui a tenu, à plusieurs reprises durant la campagne, des propos favorables à son homologue de Moscou, souhaitant rétablir « une relation forte et durable avec la Russie ».
Dimanche 4 décembre, le président russe a renouvelé l’exercice devant les caméras. Dans un entretien diffusé sur la chaîne russe NTV, Vladimir Poutine a ainsi prédit que le président américain élu serait rapidement à la hauteur de ses responsabilités : « Le fait qu’il a réussi dans les affaires montre que c’est une personne intelligente », a déclaré le chef du Kremlin avant d’ajouter : « S’il est intelligent, cela veut dire qu’il se saisira rapidement et pleinement des responsabilités qui l’attendent ».
Que faut-il comprendre de ces échanges entre les deux hommes ? Pour Hélène Carrère d’Encausse, spécialiste de la Russie et secrétaire perpétuel de l’Académie française, nous sommes loin du « roman d’amour » décrit par certains observateurs, même si les deux chefs d’État ont « une certaine convergence de vue » sur les grands problèmes internationaux.
Revue des Deux Mondes – Donald Trump et Vladimir Poutine ont eu des mots bienveillants l’un envers l’autre, notamment lors de l’entrée en lice du candidat républicain dans la campagne américaine. Cette admiration réciproque est-elle illusoire et purement rhétorique ou y a-t-il une véritable estime des deux côtés ?
Hélène Carrère d’Encausse – Les propos tenus par Donald Trump avant l’élection étaient purement électoraux. Il s’agissait avant tout de prendre position contre une Hillary Clinton très anti-russe, très va-t-en-guerre. Il faut être très prudent vis-à-vis de Donald Trump. Entre un discours électoral et la pratique des relations internationales, il existe un fossé. Comme sur beaucoup d’autres choses, le nouveau président américain pondérera certainement son propos et aménagera ses positions en choisissant des termes plus modérés que ceux tenus jusqu’à présent. Il s’agit d’un homme pragmatique : une fois l’investiture passée, rien ne prouve qu’il sera en extase devant Vladimir Poutine.
Le président russe a lui été d’une grande modération en accueillant l’élection de Donald Trump. Il n’a témoigné aucun enthousiasme excessif. Vladimir Poutine se montre prudent car il sait qu’il n’a aucune raison de faire confiance aux autres. Il n’est pas homme à faire des cadeaux et s’exalter pour qui que ce soit. Réinstallée dans une position stratégique, la Russie est un interlocuteur clé sur de nombreux problèmes de fond : celui de l’OTAN, de la relation avec le Moyen-Orient, de la manière de concevoir l’éradication de l’État islamique et, au-delà, des diverses sources de terrorisme, qui ont d’ailleurs été largement provoquées par la politique américaine en Afghanistan et en Irak. Il ne faut donc pas se faire d’illusion : nous ne sommes pas devant l’esquisse d’un roman d’amour entre deux chefs d’État.
Revue des Deux Mondes – Comment peut-on définir ce qui rapproche Vladimir Poutine et Donald Trump ?
Hélène Carrère d’Encausse – Des convergences existent sur les problèmes internationaux à régler. Ils partagent notamment la volonté incontestable de régler les questions du Moyen-Orient, d’arriver à mettre fin à cette situation anarchique qui aboutit à un terrorisme totalement incontrôlable. Tous deux savent que la Russie comme les États-Unis, avec la Turquie, l’Iran et l’Union Européenne à un moindre degré, ont un rôle primordial sur cette question. Il y a donc sinon une réconciliation, du moins une certaine convergence de vue sur ce point.
Les deux chefs d’État semblent aussi avoir conscience d’un certain déplacement, ou d’un glissement des relations internationales : les choses ne se passent plus dans le cadre d’un conflit États-Unis/Russie sur le terrain européen, selon une vision héritée de la Guerre Froide. Vladimir Poutine veut le faire admettre. Mais Donald Trump le suivra-t-il là-dessus ? Nous n’en savons, là encore, rien pour le moment.
Sur la question de l’OTAN, la volonté de Donald Trump de voir l’Europe assurer sa propre sécurité rejoint celle de Vladimir Poutine qui veut faire admettre que cette alliance est une structure obsolète, qu’il faudrait adapter aux changements géopolitiques survenus depuis les années 1990.