Le directeur du Centre islamique de Genève menacerait l’ordre public dans l’Hexagone. Il s’en défend.
Hani Ramadan s’est fait expulser de France et a été ramené vers la Suisse. Le directeur du Centre islamique de Genève a été interpellé à Colmar samedi, où il participait à une conférence, selon un communiqué du Ministère français de l’intérieur. L’islamologue controversé fait l’objet d’une interdiction administrative du territoire français depuis vendredi.
Lutte contre l'#extrémisme et la #radicalisation : @MatthiasFekl a fait procéder ce soir à la reconduite vers la Suisse de Hani Ramadan pic.twitter.com/flYIEmpXY4
— Ministère Intérieur (@Place_Beauvau) 8 avril 2017
« Hani Ramadan est connu pour avoir dans le passé adopté un comportement et tenu des propos faisant peser une menace grave sur l’ordre public sur le sol français », justifient les autorités françaises. « Le ministère de l’Intérieur et les forces de l’ordre sont pleinement mobilisés et continueront de lutter sans relâche contre l’extrémisme et la radicalisation », indique Matthias Fekl, ministre de l’Intérieur français, dans le communiqué.
Conférences annulées
Hani Ramadan est le frère de l’universitaire Tariq Ramadan et petit-fils du fondateur des Frères musulmans égyptiens. Ces derniers mois, plusieurs de ses conférences ont été annulées en France, notamment pour possible « trouble à l’ordre public », en septembre à Nîmes, en octobre au Havre, puis en février à Roubaix. L’homme adore les conférences, il en prévoit d’ailleurs encore une aux Eaux-Vives ce mardi.
L’ancien étudiant de l’université de Genève a régulièrement fait couler l’encre depuis qu’il a publié une tribune dans Le Monde en 2002 sur la lapidation des femmes. Il est le président de l’Union des organisations musulmanes de Genève (UOMG).
Est-il du coup le représentant des musulmans du canton ? Contacté, le vice-président de l’UOMG était inatteignable hier pour répondre à cette question. Montassar BenMrad, président de la Fédération des organisations islamiques de Suisse, ne répondait pas non plus.
Et le Canton ? Les services du conseiller d’État en charge de la Sécurité indiquent que Pierre Maudet « ne se prononcera pas sur un dossier de compétence confédérale » tout en précisant que cette expulsion fait suite « à une décision française motivée par la protection de l’ordre et la sécurité publique et non pas à cause des menaces à la sécurité intérieure ».
« En général, on ne s’exprime pas sur des cas particuliers. Chaque pays est obligé de reprendre ses citoyens si un autre pays les expulse », indique de son côté Lulzana Musliu, porte-parole de l’Office fédéral de la police.
Décision politique ?
Dans une réponse de cinq pages au ministre français de l’Intérieur envoyée dimanche soir aux médias, Hani Ramadan nie menacer l’ordre public mais dit défendre « le dialogue des civilisations fondé sur le respect ». Il annonce aussi qu’il va « bien entendu faire opposition à cette décision (ndlr : l’expulsion) ». À ses yeux, elle est « injustifiée ».
Selon nos sources, la décision de la France est davantage politique que liée à de nouveaux éléments sur Hani Ramadan. Le climat de l’autre côté de la frontière est tendu, suite à une série d’attentats meurtriers, revendiqués par des organisations islamistes.
Beaucoup soupçonnent le gouvernement socialiste, en mauvaise posture à la veille de l’élection présidentielle, de ne pas avoir choisi par hasard d’interdire maintenant cet habitué de la France de fouler son territoire.
Vagues de réactions
Sur les réseaux, son expulsion est âprement commentée. « Des Hani Ramadan, il y en a des dizaines en France », a twitté Marion Maréchal-Le Pen. D’autres le défendent volontiers.
"Des Hani Ramadan, il y en a des dizaines en France."#BFMPolitique
— Marion Le Pen (@Marion_M_Le_Pen) 9 avril 2017
Esther Benbassa, la sénatrice verte du Val de Marne (grande banlieue parisienne) qui a signé le dernier rapport parlementaire sur la déradicalisation en France, ne mâche pas non plus ses mots. « Dans un contexte où les jeunes manquent de repères, ce qui engendre un retour vers le religieux, souvent calme et serein, on peut tout à fait imaginer que des personnalités de ce genre ne soient plus tolérées », souligne-t-elle.
Hani Ramadan réagit à son expulsion de France
Samedi dernier, Hani Ramadan, le directeur du Centre islamique de Genève, a été expulsé du territoire français suite à une décision du ministère français de l’intérieur. Contacté, Hani Ramadan nous a livré un communiqué de presse que nous reproduisons ici en intégralité.
au ministre de l’Intérieur Matthias Fekl
Ce samedi 8 avril 2017, après avoir donné une conférence à Colmar, le Commandant fonctionnel Bertrand MUESSER s’est présenté pour me remettre un arrêté comprenant une interdiction administrative du territoire français. J’ai été ensuite conduit au commissariat de Colmar, puis à la police des frontières à Mulhouse, pour enfin être ramené à la frontière suisse de Bâle. Toute cette opération s’est déroulée de 14h15 à 18h45. Je tiens à remercier ici Monsieur Bertrand MUESSER ainsi que la police de Colmar, aussi bien que la police des frontières de Mulhouse pour le respect dont ils ont fait preuve et pour leur comportement exemplaire.
L’arrêté qui émane du « Ministre de l’Intérieur » date du 7 avril 2017, et a été rédigé à Paris. Contrairement à ce qui a été avancé par certains médias, ce document ne m’a pas été remis le vendredi 7 avril, mais seulement le 8 avril, alors que j’étais déjà en France et après la conférence qui a bien été donnée à Colmar. Il a été suivi d’un communiqué de presse en la date du 8 avril 2017, relatant les propos de Monsieur Matthias FEKL, Ministre de l’Intérieur.
Je vais bien entendu faire opposition à cette décision, qui est injustifiée. L’arrêté que présente le Ministre de l’Intérieur comprend en effet des erreurs et une approche réductrice de mes vraies opinions. A titre d’exemple, il me cite : « Une vraie musulmane doit porter le voile intégral en tout lieu et en toute circonstance ; seul son mari doit pouvoir la voir sans son voile. » Or, je n’ai jamais tenu ces propos ! Mon épouse et mes filles portent le voile et montrent leurs visages et leurs mains. Cependant, j’estime qu’une femme a le droit de s’habiller comme elle l’entend, selon ses convictions.
Il relève des paroles qui seraient « discriminatoires à l’égard des femmes », en se référant à une tribune publiée dans Le Monde, en septembre 2002. « Il légitime la lapidation des femmes adultères. » Or, il n’a jamais été question dans cet article, spécifiquement, de la lapidation des femmes. A l’époque, je me suis exprimé clairement contre la lapidation au Nigéria d’Amina Lawal et de Safiya Husaini, qui ont toutes les deux été acquittées. Tout comme je me suis opposé plus récemment à la lapidation de l’Iranienne Sakineh, qui, également, n’a pas subi cette peine. J’ai souligné que cette peine est surtout dissuasive, et qu’il est quasiment impossible de l’appliquer. Quant au thème de la purification par la maladie, il est bien connu en islam, puisque le Prophète Muhammad a répété à plusieurs reprises que toute maladie a une vertu expiatoire et efface nos erreurs. Ai-je le droit d’en être convaincu ? Voyez-vous, Monsieur le Ministre, je n’hésiterai pas, en ce qui me concerne, à prendre la main d’une personne atteinte par le sida, et mourante, pour l’encourager à se tourner vers un Créateur qui selon le Coran « pardonne tous les péchés. »
Cet arrêté reprend les termes d’une polémique à laquelle j’avais pourtant largement répondu, qui m’attribue entre guillemets les propos suivants : « La femme sans voile est comme une pièce de deux euros. Visible par tous, elle passe d’une main à l’autre ». Propos que j’aurais tenus dans une école suisse. Je mets au défi Monsieur Matthias FEKL de le prouver. Je ne me suis jamais exprimé de façon aussi réductrice. Au contraire, j’ai publié il y a quinze ans un article comprenant l’image de la perle et de la pièce de monnaie, et en précisant : « Toute femme voilée n’est pas forcément un parangon de vertu. Pas plus qu’une femme plus ou moins habillée n’est nécessairement un démon. Il reste que la modernité ne protège plus le sentiment de la pudeur, valeur essentielle qui est aux origines de notre humanité. »
Il me reproche une « hostilité à Israël », en estimant que ma critique du sionisme est « susceptible d’inciter à la haine contre les juifs » ! Il met en doute qu’il existe une forme de « racisme sioniste ». Or, j’ai toujours déclaré que l’antisémitisme est inacceptable, mais que cela ne devrait pas nous empêcher de dénoncer les crimes commis contre les populations civiles à Gaza et en Palestine.
Il me reproche de mettre en évidence le pouvoir des lobbies financiers en France, alors qu’il s’agit d’une réalité objectivement mesurable, notamment dans la presse et les médias, dont l’avenir de plus d’un homme politique, hélas !, dépend…
Il me reproche de contester la version officielle des attentats terroristes, alors que c’est le droit de tout citoyen, dans une saine République, d’exprimer son opinion sur le sujet, en relevant des procédures expéditives menées dans un climat malsain de surenchère médiatique instantanée, et qui vont à l’encontre des principes de l’Etat de droit et de la présomption d’innocence, quand on désigne des coupables, qu’on décide immédiatement que ce sont des islamistes, avant même de connaître qui ils sont, avant qu’ils ne soient complètement jugés et que leur motif soit connu.
Il affirme que je « légitime régulièrement le djihad comme moyen de résistance. » J’ai pourtant toujours été très clair sur ce sujet : l’islam condamne avec la plus grande fermeté des actions terroristes menées contre des civils. Par contre, le droit à la légitime défense, notamment lorsque la colonisation d’un peuple se poursuit, est reconnu comme étant légitime par tous ceux à qui il reste une once de dignité. La notion de djihad mérite en outre une approche autre que superficielle.
Je ne me souviens pas d’avoir dit que « la majorité des Européens sont islamophobes ». En revanche, j’ai affirmé et j’affirme encore que l’islamophobie s’étend en Europe de façon dangereuse. C’est sans doute en luttant contre ce sentiment pernicieux que l’on contribuerait à désamorcer les tensions qui naissent de la peur et de la désinformation. Mais il faudrait pour cela faire le sacrifice d’une forme de populisme qui comprend malheureusement des avantages électoraux.
Autres allégations : je mettrais en avant des « théories conspirationnistes qui ont pour objet de provoquer la haine à l’encontre des dirigeants français, américains et israéliens. » Loin de verser dans le « conspirationnisme », je ne fais que relever des faits qui prouvent qu’il existe une stratégie à l’origine de la destruction des infrastructures de l’Irak, puis de la Syrie. Le document démontrant la stratégie de l’Organisation Sioniste mondiale, qui date de février 1982, est authentique.
Enfin, affirmer que mes propos « contribuent, du fait de leur caractère insidieux, à provoquer à la haine, voire à la violence, à l’encontre des sociétés occidentales, des femmes ou encore des juifs », ne correspond pas du tout au message que je véhicule, message qui défend le dialogue de civilisations fondé sur le respect du prochain, et non pas sur des préjugés. Les accusations qui consistent à relever mes « prises de position en faveur d’un islam fondamentaliste », et d’être « partisan d’un Etat islamique soumis aux règles de la charia », signifieraient donc que je ne dispose pas de ma liberté d’expression pour avancer certains aspects de la civilisation musulmane. Que veut dire d’ailleurs le mot « fondamentaliste » ?
Enfin, dans le même style de critique qui relève plus d’une composition bâclée que d’un arrêté ministériel, il me reproche de soutenir que « la société laïque n’est qu’une structure creuse et sans objectif ». Or, je ne suis pas le seul à faire le constat que la sécularisation a représenté au cours de notre histoire la disparition de nombreux idéaux qui donnaient sens à la vie, jadis. Cette absence de références et de valeurs est relevée par beaucoup. Par contre, j’ai expliqué tant dans la presse que dans les médias qu’il existe différentes façons de vivre dans un cadre laïc, en définissant une laïcité inclusive, qui permet au juif, au chrétien, au musulman et au libre penseur de vivre dans le respect mutuel. Ce qui démontre encore à quel point les propos de Monsieur le Ministre de l’Intérieur, qui font écho à une certaine presse qui contribue à la désinformation systématique, sont réducteurs.
Monsieur le Ministre doit comprendre que je défends les valeurs républicaines autant que lui. Je livre à sa réflexion l’article suivant :
Qu’est-ce donc qu’un authentique républicain ?
Réflexions face à la censure
Un authentique républicain, lorsqu’il gouverne ou a une quelconque responsabilité politique, conserve des principes de liberté et de vérité, bien au-delà des enjeux électoraux de sa propre carrière. Il ne dresse aucun épouvantail, et ne fait jamais ainsi, de la peur, l’instrument de sa mise en valeur dérisoire. Il n’épouse jamais les vues étroites des agitateurs publics. Il refuse catégoriquement la haine qui discrimine, la bêtise qui cherche à imposer sa tyrannie. Il ne soutient en aucun cas les censures imbéciles. Dans le domaine, c’est certes une espèce de plus en plus rare…
Dans une république, on dialogue pour se connaître et assurer le vivre ensemble. Tout peut être ouvertement dit. On n’impose pas le silence, on ne vit pas dans la perspective ignoble de voir des êtres humains disparaître en les dépossédant de leur identité. Hélas, nos démocraties ne sont pas parvenues à éradiquer les relents du fascisme et de l’ultranationalisme.
Un authentique républicain, quand il est journaliste, refuse de tronquer la parole donnée, défend la liberté d’expression, et pas seulement pour Charlie…Il fait passer le débat avant le scoop médiatique qui permet de vendre sa littérature bon marché. Et là, effectivement, nous parlons d’une espèce en voie de disparition.
Fait à Genève, le 9 avril 2017
Hani Ramadan
(Source : lapravda.ch)