Pourquoi diffuser ça sur E&R ? Pour faire de la vue avec la violence ?
Non, d’abord parce que tout le monde s’en fout, d’Haïti (un des pays les plus pauvres du monde, à égalité avec la Moldavie, d’où l’intérêt de Leyen et de l’UE pour ce petit pays), ensuite parce que cette moitié d’île est l’exemple tragique de l’absence ou de la faiblesse d’un État, et donc de la force de l’ordre. Les étudiants qui taguent partout des « A » pour Anarchie sur les murs de nos facs de gauche devraient aller faire un tour à Port-au-Prince, ils reviendraient vaccinés. L’anarchie, la vraie, c’est ça.
La doctrine américaine d’affaiblissement des États
« Avec leurs armes, les gangs sont mieux équipés que la police. La police est mal équipée en raison des restrictions imposées par les États-Unis concernant la vente d’armes à l’État haïtien. Un problème auquel s’ajoutent son manque d’effectifs et des liens entre certains policiers et les gangs. »
L’anarchie politique, c’est encore autre chose, mais ça suppose un degré de conscience collectif qui n’est pas encore atteint chez nous, et par extension dans le monde. Quand les humains n’auront plus besoin de forces de l’ordre, alors tout ira mieux. Mais il y a du chemin.
En attendant cet hypothétique grand jour, ou grand soir, il faut faire avec les différences sociales et les traumatismes de l’Histoire. Haïti, pour des raisons politiques et géopolitiques, est abandonnée à l’anarchie, ce qui permet aux gangs et aux pays acheteurs – de drogue, d’enfants – de profiter de tous les trafics.
Les autorités haïtiennes ont arrêté à grand fracas dix Américains qui sont venus adopter des enfants pour cacher que des familles haïtiennes revendent leurs gosses à des riches...
Les Haïtiens sont-ils haïssables ?
Paradoxalement, sur la même île, la République dominicaine bat tous les records économiques et sociaux. C’est pourquoi les autorités veulent ériger un mur...
On revient sur la phrase de Reiser : il n’y a pas de pays pauvres, il n’y a que des pays dirigés par des imbéciles ou des salauds. En l’occurrence, à Haïti, il n’y a même pas de gouvernement, ou alors il ne gouverne rien. On rappelle, à toutes fins utiles, qu’il y a un siècle (en 1915), le grand voisin américain, sous la pression de la bourse, donc de la banque, a poussé le gouvernement à lancer l’invasion d’Haïti.
Le New York Times écrit :
17 décembre 1914. Huit Marines américains franchissent le seuil de la Banque Nationale d’Haïti en début d’après-midi et en ressortent les bras chargés de caisses en bois remplies d’or. Valeur de la cargaison : 500 000 dollars.
Le butin est transporté par chariot jusqu’à la côte sous la garde attentive de soldats américains en civil postés tout au long du trajet. Une fois le rivage atteint, les soldats embarquent la cargaison et rejoignent à vive allure une canonnière stationnée au large.
Quelques jours plus tard, l’or repose dans la chambre forte d’une banque de Wall Street.
Ces faits se sont déroulés en 1914 et sont les prémices d’une invasion d’Haïti à grande échelle. Les forces américaines s’empareront du pays l’été suivant et le dirigeront d’une main de fer sur une durée de 19 ans. Ce sera l’une des plus longues occupations militaires de l’histoire des États-Unis. Après le départ des troupes en 1934, des financiers américains continueront de tenir les cordons de la bourse du pays pendant encore 13 ans.
- Un Américain pose entouré de corps d’Haïtiens tués lors des combats contre les Marines américains en 1915 (Getty Images)
On fait cette petite piqûre de rappel pour ceux qui nous bassinent avec le racisme anti-noir de Napoléon et la mainmise française sur Haïti, un siècle avant les Américains. Comme ça, un partout, balle au centre. Le sort des petits pays a toujours dépendu du bon vouloir de ses grands voisins.
Les États-Unis présentent l’invasion comme une nécessité. Haïti est si pauvre et instable, expliquent-ils, que s’ils n’en prennent pas le contrôle, une autre puissance le fera à leur place — s’invitant ainsi dans le pré carré américain. Le secrétaire d’État Robert Lansing, l’équivalent d’un ministre des Affaires étrangères, dépeint l’occupation comme une mission civilisatrice qui mettra fin à « l’anarchie, à la sauvagerie et à l’oppression ». Dans ses écrits, il affirme que « la race africaine est dénuée de toute capacité d’organisation politique ».
Aujourd’hui que toute structure politique solide a été défaite, le pays sombre ou végète dans l’anarchie. Les gangs tirent leurs marrons du feu social, profitant d’un bordel historiquement organisé d’en haut. L’anarchie, pour le coup, est bien un concept oligarchique.