Pourquoi il faut lire cette interview de sept pages
Certes, il s’agit du point de vue russe, et il y a deux diplomaties : l’officielle, et la secrète, dite aussi parallèle. Dans cette interview, Lavrov présente les Américains non pas comme le diable, mais comme les maîtres du double jeu. Une diplomatie officielle qui oeuvre pour la paix devant les médias et l’opinion du monde entier, et des coulisses beaucoup plus brutales. Des paroles de paix qui recouvrent des actes de guerre.
Alors, John Kerry, le vis-à-vis américain de Lavrov, est-il un serpent à la langue fourchue ? Pas sûr. Ce qui veut dire que le pouvoir américain n’est pas uniforme. Il y a, au niveau de l’état-major, une lutte acharnée entre deux tendances, l’une interventionniste, l’autre plutôt en retenue. Cela confirme les tensions entre Obama et les généraux qui veulent tout raser, à l’américaine. Et qui peuvent faire capoter l’accord de paix Obama-Poutine, tant les possibilités d’intervention d’unités américaines plus ou moins officielles sont nombreuses : forces spéciales, GI’s, instructeurs, agents de la CIA, provocateurs d’al-Nosra, drones... sans oublier les mercenaires, ces contractuels utilisés en grand nombre par l’Oncle Sam. Les réponses de Lavrov montrent l’extrême complexité de ce conflit.
Si les Russes n’ont pas bombardé le convoi humanitaire vers Alep, et qu’un drone américain a fait le « boulot », alors il y a bien provocation américaine, mais rien n’est prouvé. En attendant, il est clair que les États-Unis sanctuarisent les positions d’al-Nosra, tout en écrasant ce qui reste de Daech, pour la galerie. Si les Américains concèdent la victoire de l’axe russo-syrien dans une grande partie de la Syrie, ils n’ont pas renoncé à un « Sunnistan » ami au nord du pays (dans la droite ligne des accords Sykes-Picot), comme le clame Thierry Meyssan.
Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, était interviewé le 26 septembre 2016 à Moscou dans Pozdniakov, une émission de la chaîne NTV. Il y détaille la diplomatie russe dans l’imbroglio syrien.
Question : Pendant la réunion extraordinaire du Conseil de sécurité des Nations unies organisée à l’initiative des États-Unis et de certains pays européens dimanche 25 septembre, l’Ambassadrice des USA auprès de l’Onu Samantha Power a accusé la Russie de « barbarie » en Syrie. Chercherait-on encore à lâcher tous les chiens contre nous ?
Sergueï Lavrov : Oui, dans une certaine mesure. D’autant que la réunion en soi, sa tenue précisément dimanche à l’initiative des pays occidentaux, a suscité plusieurs questions. Nous avions abordé ce thème pendant toute la semaine lors des débats de haut niveau à l’Assemblée générale des Nations unies, en marge desquels nous avions également évoqué plusieurs d’actualité pour les pays membres de l’Onu. Bien évidemment, le dossier syrien prédominait.
Sur ce sujet a été organisée une réunion ministérielle à part entière du Conseil de sécurité des Nations unies et deux réunions du Groupe international de soutien à la Syrie (GISS), que nous avons organisées avec le Secrétaire d’État américain John Kerry et l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’Onu pour la Syrie Staffan de Mistura en tant que coprésidents et qui ont débouché sur une discussion de plusieurs heures. Bien sûr, une grande partie de l’attention des délégations dans leurs interventions et dans les débats généraux était consacrée à la crise syrienne.
Nos partenaires occidentaux ne se gênaient pas. Nous n’avons pas été littéralement accusés de « barbarie » comme l’a fait Samantha Power, soutenue par l’Ambassadeur du Royaume-Uni auprès de l’Onu Matthew Rycroft, mais nous avons entendu des accusations très dures : la Russie et le gouvernement syrien étaient accusés de péchés mortels.
Les réponses à ces accusations ont été données depuis longtemps. On ignore pourquoi nos partenaires ont jugé nécessaire d’organiser une réunion d’urgence le week-end, même si on le devine facilement. L’Occident, mené par les USA qui chapeautent la coalition qui lutte contre Daech en Syrie – et d’après ce qu’ils disent contre le Front al-Nosra –, n’arrive pas à remplir ses engagements. C’est évident.
Autrement dit, on peut percevoir cette attitude comme une tentative de sortir des accords conclus ?
Je pense que non. Simplement, ils cherchent à détourner l’attention de ce qui s’est produit le 17 septembre 2016 à Deir ez-Zor quand l’aviation américaine a bombardé les positions de l’armée syrienne pour annoncer immédiatement qu’il s’agissait d’une erreur. Premièrement, le bombardement a duré une heure. Deuxièmement, le colonel John Thomas, porte-parole du Centcom, le commandement militaire américain au Moyen-Orient, a déclaré il y a quelques jours (je l’ai même cité pendant la conférence de presse à New York) qu’ils avaient visé cette position pendant deux jours.
La ligne de front s’est établie à Deir ez-Zor depuis deux ans et ne bouge pas. Nous avons, avec l’Onu, largué de la nourriture et d’autres produits de première nécessité pour les habitants de la ville assiégée protégés par l’armée syrienne. Dans cette situation statique, viser pendant deux jours une cible en s’appuyant sur les renseignements de reconnaissance, comme l’a déclaré John Thomas, n’est pas une prouesse de précision.
Nous sommes accusés de « barbarie » mais que disent les faits ? Après tout, ils ne citent aucun fait ?
Ils disent que des gens meurent, montrent des images de maisons détruites, de civils en fuite, et précisent souvent qu’il s’agit d’images filmées par tes témoins. Leur seconde source considérée comme absolument fiable est un appartement de Londres où réside un certain citoyen britannique d’origine syrienne qui dirige en solitaire une organisation appelée « Observatoire syrien des droits de l’homme ». Je le répète, il se trouve à Londres mais on le cite le plus souvent.
Je voudrais souligner que les Américains et leurs alliés occidentaux ne veulent pas seulement et simplement détourner l’attention de ce qui s’est produit à Deir ez-Zor. Je suis loin d’avancer des verdicts définitifs – c’est une mauvaise habitude de nos partenaires occidentaux. Ils prétendent avoir un État de droit où seul le tribunal peut décider si un homme est coupable ou non, que leur justice est indépendante. Mais c’était également le cas il y a deux ans après le crash du Boeing abattu en Ukraine. Nous avons exigé une enquête, demandé que le Conseil de sécurité des Nations unies instaure un suivi. Les Américains ont laissé passer la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sans la bloquer, mais ont déclaré que la recherche du véritable coupable leur était égale. L’histoire se répète : le 19 septembre a été bombardé un convoi humanitaire, nous avons exigé une enquête, et mon bon partenaire John Kerry (cela ne lui ressemble pas) a déclaré qu’une enquête pourrait probablement avoir lieu mais que les USA savaient qui était responsable : l’armée syrienne ou la Russie, et dans tous les cas la Russie était impliquée. Il était visiblement bien « frappé » vu qu’il subissait une immense critique en provenance de la machine de guerre américaine. Même si le chef des armées des USA le Président Barack Obama l’a soutenu dans la coopération avec la Russie (il l’a confirmé lui-même pendant son entretien avec le Président russe Vladimir Poutine), les militaires américains n’obéissent visiblement pas beaucoup au chef des armées.
Le fait que nous soyons en pleine campagne présidentielle américaine ne joue-t-il pas un rôle ?
Si, certainement. Et dans ce cas précis c’est d’autant plus inacceptable. Je vais en parler mais d’abord je voudrais donner une précision concernant ce convoi humanitaire.
Notre première réaction a été d’enquêter immédiatement sur cette tragédie. Les Américains ont réagi en disant qu’ils savaient tout et qu’aucune enquête n’était nécessaire. Ils montraient des camions détruits et disaient que c’était le fait de l’aviation russe ou syrienne. L’aviation syrienne ne vole pas de nuit (ce qui était le cas), la nôtre si. Mais s’il s’agissait d’une attaque aérienne, où sont les cratères ?
Le fameux site « d’investigation » Bellingcat a annoncé qu’on aurait découvert sur les lieux l’impact d’une bombe aérienne d’origine russe. Une demi-heure plus tôt, le site du think tank américain Conflicts Forum avait publié une autre information : durant les premières secondes des images de la chaîne ABC, on peut voir les traces de poussière d’aluminium caractéristiques des munitions généralement installées sur les drones Predator. Les Américains n’ont pas nié qu’un tel drone se trouvait au-dessus de la région d’Alep où le convoi a été bombardé. Par la suite, les premières images montrant la poussière d’aluminium ont été coupées, notamment par la BBC. Mais une fois de plus je n’accuse personne. Simplement, nous savons parfaitement comment les grandes chaînes occidentales – CNN et BBC – savent manipuler les faits (rappelez-vous, ils avaient par exemple montré des images d’Irak vieilles de plusieurs années pour faire croire que c’était ce qui se passait aujourd’hui en Syrie) et nous exigerons une enquête très rigoureuse. Nous l’avons dit franchement.
Maintenant, en ce qui concerne la campagne électorale. C’est assez amusant.
Oui, mais on tire des parallèles.
On tire des parallèles. On cherche manifestement à nous faire passer pour un « démon » responsable de tous les maux dans le monde. Nous avons accompli des progrès incontestables avec les Américains sur directive directe de nos présidents, qui se sont rencontrés il y a un an à New York et se sont entendus pour coopérer en Syrie, puis l’ont confirmé le 6 septembre 2016 à Pékin. Pendant toute cette période, nous avons travaillé fort avec John Kerry dans le cadre de rencontres et d’entretiens téléphoniques très fréquents sur la création d’une coalition politique, nous avons formé le GISS. Tout le monde a salué cette démarche car pour la première fois il a été possible de réunir à la même table tous les acteurs extérieurs qui influencent d’une certaine manière la situation en Syrie sans exception, y compris des forces antagonistes telles que l’Arabie saoudite et l’Iran.
Cet accord a même été qualifié de fatidique.
Oui, fatidique. Nous préparions depuis activement des mécanismes concrets d’interaction dans quatre domaines qui ont été approuvés fin 2015 au sein du GISS et au Conseil de sécurité des Nations unies : le cessez-le-feu, la livraison de l’aide humanitaire, la lutte contre le terrorisme et le lancement du processus de paix. Il est amusant de dire aujourd’hui pourquoi ce processus de paix stagne, pourquoi la coalition antiterroriste américaine frappe uniquement les positions de Daech et pas du tout celles du Front al-Nosra. Même si à chaque fois le Secrétaire d’État américain John Kerry m’assure que le Front al-Nosra représente le même danger terroriste que Daech, on ne le touche pas.
Le 14 août 2016, reportage russe sur la bataille d’Alep :
SAA + allies with Russian air support targeting Al Qaeda in Syria + allies in Southern & Western Aleppo (14/08/2016) pic.twitter.com/56WHLJVPOc
— M Green (@MmaGreen) 14 août 2016
C’est paradoxal : ils ont reconnu cette organisation comme terroriste mais ils continuent de la protéger.
C’est un cercle vicieux. Ils pensent, ou plutôt ne pensent pas. Je ne sais pas ce qu’ils pensent et je ne sais plus qui croire, du moins je ne peux pas les croire à 100%. Chaque fois que nous frappons, avec l’aviation syrienne, les positions du Front al-Nosra – cette organisation terroriste contrôle Alep, ville clé du conflit – les Américains commencent à crier que nous attaquons encore l’opposition patriotique, la poussant encore plus dans les bras du Front al-Nosra. J’ai déjà dit plusieurs fois que le Secrétaire d’État américain John Kerry avait déclaré publiquement que les USA s’engageaient à distinguer l’opposition patriotique des terroristes comme le Front al-Nosra. Je me souviens qu’il déclarait publiquement, pendant les réunions du GISS et du Conseil de sécurité des Nations unies fin 2015 et début 2016, que si les combattants n’étaient pas des terroristes et s’ils souhaitaient adhérer au processus de paix en Syrie, ils devaient quitter les territoires occupés par le Front al-Nosra. Rien n’a changé depuis.
C’est intéressant. On nous dit aujourd’hui que le processus de paix ne commencera qu’en cas de cessez-le-feu durable dans tout le pays et si tous les obstacles à l’acheminement de l’aide humanitaire étaient levés. Derrière ces propos, ceux qui ont formé le « groupe de Riyad » et l’ont appelé ni plus ni moins « Haut comité des négociations » sabotent la reprise des négociations depuis mai 2016. Il est déplorable que l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’Onu pour la Syrie Staffan de Mistura les écoute et rejette la responsabilité sur nous et les Américains : il affirme que dès que Moscou et Washington s’entendront, il fera tout et nous parviendrons rapidement à un résultat. C’est une approche irresponsable, pour échapper à ses responsabilités.
Si je comprends bien, la trêve profite essentiellement aux terroristes.
Absolument. Nous avons marqué des pauses qui ont été immédiatement utilisées pour envoyer depuis l’étranger des renforts, des combattants, de l’argent et des armes au Front al-Nosra. Mais quand en novembre-décembre 2015 le GISS a lancé son travail sur son premier document final – la déclaration proclamant la création du groupe et ses principes de travail – une situation très tendue a éclaté sur certaines formulations : d’un côté les partisans d’écrire clairement que le conflit en Syrie n’avait pas de solution militaire (Russie, USA, Iran) et de l’autre ceux qui s’opposaient absolument à cette tournure, c’est-à-dire ceux qui admettaient voire considéraient comme prioritaire une solution militaire. Ne pointons du doigt personne, mais la situation était très difficile.
La seconde chose qui a divisé la Russie, les USA, l’Iran (les Égyptiens étaient avec nous aussi) et ceux qui ne voulaient pas nier une solution militaire était la phrase concernant la nécessité de proclamer immédiatement un cessez-le-feu général sur tout le territoire syrien. Cela n’est pas passé non plus. Je répète que la Russie, les USA, l’Iran, l’Égypte, l’Irak et bien d’autres y étaient favorables. Mais un petit groupe de participants à cette structure pour le soutien de la Syrie n’a pas validé cette approche, le consensus n’a pas été atteint et nous avons écrit que le cessez-le-feu devait être établi parallèlement à l’avancée du processus de paix. Les Anglais ont une expression : « Déplacer constamment les buts ». Pendant le jeu on semble avoir marqué un but, mais la cage a été déplacée – un dessin animé soviétique, Incroyable match, met justement cela en scène. Et aujourd’hui certains de nos partenaires essaient de jouer de cette manière. Malheureusement, cette maladie a déjà contaminé les USA qui (c’est triste de le voir et d’en parler) ont cessé de jouer le rôle de coprésident impartial du GISS et ont clairement commencé à jouer dans un seul sens, sachant qu’ils déplacent constamment leurs buts.
Mais cela ne signifie pas encore qu’on peut tirer un trait sur nos accords avec les Américains en Syrie ?
Non. Je crois qu’ils ne le pensent pas non plus. Du moins, nous sommes attachés aux accords préparés ces derniers mois et auxquels nous avons mis un point final après que les dernières questions fondamentales ont été réglées pendant la rencontre du Président russe Vladimir Poutine avec le Président américain Barack Obama à Pékin le 6 septembre. Le 9 septembre déjà, nous avons transposé avec John Kerry à Genève ces accords sur le papier. Malheureusement, les actions des USA qui ont suivi nous indiquent qu’ils veulent davantage conditionner l’entrée en vigueur de nos accords que c’est écrit sur papier. Dieu merci, aujourd’hui ces accords ont été rendus publics. C’est pourquoi tout le monde peut voir ce que chacun a fait et s’est engagé à accomplir.
Les lit-on ?
Ceux qui souhaitent connaître la vérité les liront. Ceux qui souhaitent uniquement attiser la flamme allumée par l’Ambassadrice des États-Unis auprès de l’Onu Samantha Power quand elle parle de « barbarie » sont incorrigibles. Mais tout le monde sait probablement déjà que la nécessité de distinguer l’opposition des terroristes est un objectif prioritaire qui se reflète dans ce document, tant sur le fond que sur la forme. Il stipule que c’est une priorité. Le reste découle maintenant de la capacité à remplir l’engagement pris par les USA en tant que présidents de leur coalition antiterroriste. Ils se sont peut-être engagés au nom de tous ceux qui en font partie.
Est-ce que les récents événements vont geler nos relations avec l’Occident, voir les faire tomber en-dessous de 0°C ?
La semaine dernière, quand nous avons tenu deux réunions du GISS avec le Secrétaire d’État américain John Kerry parallèlement à la réunion ministérielle du Conseil de sécurité des Nations unies, tout le monde respectait une certaine bienséance au Conseil. Puis certains ont perdu les pédales.
Il est possible que ces derniers souhaitent simplement détourner l’attention de la nécessité de mener une enquête rigoureuse sur l’attaque du convoi humanitaire à Alep, ainsi que sur le bombardement contre les positions de l’armée syrienne à Deir ez-Zor. Nous attendons une enquête sur les deux incidents. La première enquête relève évidemment des obligations de la coalition. Celle sur l’attaque contre le convoi humanitaire concerne également ceux qui contrôlent la région où le convoi a été attaqué. Je suis certain que les professionnels n’auront pas de difficultés à déterminer l’origine des obus en les examinant : l’artillerie, un hélicoptère, un lance-roquettes multiple, un avion ou autre chose. Selon certaines informations, à l’Est d’Alep se trouvent des instructeurs de certains pays de la région et pourraient se trouver également des instructeurs des forces spéciales américaines et britanniques. Si c’est le cas, on se demande qui était entraîné par ces instructeurs car le Front al-Nosra joue un rôle central dans la lutte contre l’armée syrienne à Alep, comme à bien d’autres endroits.
Il y a trop de choses à éclaircir. Quand ce convoi a été envoyé de Turquie vers Alep, il n’était pas accompagné par le personnel de l’Onu alors que les procédures standards l’impliquent. Il y a eu des avertissements de la part des opposants de l’Est d’Alep qui craignaient que l’armée syrienne bombarde ce convoi, en quelque sorte ils ont « attiré le malheur ». Ces mêmes opposants, qui il y a un mois (26 août), avant les accords russo-américains, avaient tenté pour la première fois d’envoyer un convoi humanitaire à Alep (l’Onu était prête, la Syrie avait donné son accord), craignent aujourd’hui que le convoi soit attaqué, ont menacé eux-mêmes de le détruire parce qu’ils voulaient qu’il emprunte un autre itinéraire. L’Onu n’avait réussi à les convaincre à l’époque. Il y a trop de questions à éclaircir.
Il est assez curieux d’entendre ces gens parler de barbarie et de crimes de guerre. Nos collègues britanniques (honneur à ces derniers contrairement aux Américains) ont créé une commission pour enquêter sur les faits qui se sont déroulés en Irak en 2003. La commission a établi que c’était une mission « aventureuse », qu’il n’y avait aucune raison légitime d’envahir et de bombarder l’Irak. 13 ans après ils estiment pouvoir se faire passer pour de nobles chercheurs de vérité. On n’en est pas encore à la Libye. Je pense qu’une enquête sur la Libye sera avant tout menée dans les pays à l’origine de cette opération, notamment les Anglais, les Français et certains pays de la région. Les Américains n’avancent pas non plus dans l’enquête sur leurs erreurs permanentes. J’ai mentionné l’erreur en Syrie à Deir ez-Zor, hier ils ont commis une nouvelle erreur en Afghanistan en bombardant l’armée afghane au lieu des talibans. Ils tentent de passer tout cela sous silence.
On nous force à nous justifier, à fournir des preuves montrant que nous sommes disposés à un règlement pacifique.
Ces appels qui nous sont adressés redoublent d’intensité quand quelque part en Afghanistan ou au Yémen un mariage, une école ou un hôpital font l’objet d’un bombardement. Il faut s’attendre à un événement qui servira de prétexte pour adresser des exigences vis-à-vis de la Fédération de Russie. Je ne pense que pas que nos partenaires occidentaux soient aussi primitifs mais ils sortent visiblement de leurs gonds faute d’arguments concernant la question centrale aujourd’hui : distinguer l’opposition syrienne des terroristes pour les combattre sans merci à nos côtés.
Ils déclarent que le terrorisme en Syrie est la principale menace, et que cette menace est bien plus sérieuse que le régime de Bachar al-Assad. C’est spécifiquement formulé et personne ne nie que le terrorisme est l’ennemi numéro 1. Mais en pratique ils font tout pour ne pas toucher au Front al-Nosra. Nous voyons que la coalition américaine frappe les positions de Daech. Elle a commencé à le faire vraiment seulement quand l’aviation russe est arrivée en Syrie à la demande du gouvernement légitime de ce pays membre de l’Onu. Ils n’attaquent pas du tout le Front al-Nosra. J’ai directement demandé au Secrétaire d’État américain John Kerry si cela signifiait que quelqu’un aux USA, pas lui personnellement, ou dans leur coalition souhaitait préserver le Front al-Nosra des attaques pour ne pas permettre de l’affaiblir dans le but, après avoir défait Daech, de canaliser tous les opposants et le Front al-Nosra contre Damas pour prendre le pouvoir. John Kerry m’a juré que ce n’était pas le cas. Je le répète : il m’a dit beaucoup de choses qui ont été ensuite démenties par les militaires et les renseignements des États-Unis.
Un exemple concret : tout le monde sait que le fond de l’accord entre la Russie et les USA est la création d’un Centre exécutif commun pour mettre au point non seulement un échange d’informations pour éviter des situations dangereuses et des incidents dans les airs, mais également une coordination entre les militaires afin de s’entendre sur les actions et l’accroissement de l’efficacité des attaques contre les terroristes. Il a été convenu également que ce Centre soit créé à partir du 12 septembre. Sous sept jours pendant lesquels devait se renforcer le cessez-le-feu, l’échange de renseignements était censé commencer pour lancer ensuite des frappes contre les terroristes conformément aux objectifs choisis sur la base des informations des services de renseignements.
Une semaine s’est déjà écoulée.
Plus d’une semaine déjà. Ils ont d’abord dit que le cessez-le-feu ne tenait pas et était enfreint. Puis, au congrès américain, le président du Comité des chefs d’état-major des armées des USA Joseph Dunford a déclaré qu’échanger des renseignements avec les Russes n’était pas une « très bonne idée ». Cela signifie qu’ils ne les échangeront pas. Tout cela après la conclusion des accords sur les directives directes du Président russe Vladimir Poutine et du Président américain Barack Obama où il est écrit qu’ils échangeront les informations avec nous. Le frein sur la voie de cet accord est très fort. Je pense que ce sont simplement des prétextes pour ne pas coopérer avec nous, en disant que c’est impossible sur fond d’une telle situation humanitaire. Et pourquoi empire-t-elle ? Ils disent que c’est la faute de la Russie mais n’ont pas l’intention d’enquêter sur quoi que ce soit. Il est difficile de travailler avec de tels partenaires – mais nous n’en avons pas d’autres en Syrie. Cela confirme une nouvelle fois qu’il faut compter uniquement sur sa propre armée.