Il est parfois nécessaire de comparer ce qui n’est pas comparable. Ne serait-ce que pour éveiller les consciences anesthésiées. Entre 1933 et 1940, plusieurs millions de réfugiés échappés d’Allemagne, de Pologne, des pays baltes, fuyant le nazisme, se heurtèrent à des frontières fermées.
Ils s’appelaient Nathan, Samuel ou Rachel. Nathan, par exemple, prescient, fuit l’Allemagne dès l’été 1933, cinq mois après la prise de pouvoir d’Adolf Hitler. Il veut partir pour les États-Unis : refus de visa. Il tente l’Espagne, également refusée. Un peu par hasard, il échoue en France qui ne l’accueille pas mais ne le refoule pas non plus. Ce n’est qu’à partir de 1938 que le gouvernement Daladier, issu de la chambre du Front populaire, livra aux Allemands les juifs qui tentaient de passer en France.
Nathan survécut au régime de Vichy, en rejoignant dans les Pyrénées les rangs – clairsemés – de la Résistance, aux côtés de républicains espagnols, rescapés de la guerre civile. Nathan avait dix frères et sœurs, tous assassinés dans les camps de concentration nazis et sa mère, morte de faim dans le ghetto de Varsovie. Ces six millions de victimes de la Shoah ne suscitèrent pas – en dehors du peuple juif – une grande émotion, jusqu’au procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961.
Auparavant, l’extermination des juifs avait été immergée dans l’inconscient collectif, comme une sorte d’accident collatéral de la guerre mondiale. Franklin Roosevelt et Winston Churchill, informés de leur situation, dès 1933, avaient toujours refusé que ce que l’on n’appelait pas encore la Shoah, ne les détourne de leur stratégie globale, la défaite des nazis et l’alliance avec le régime de Joseph Staline.