« Il ne fait pas d’ombre, il est malléable et répète ce que dit la patronne. »
« Jordan Bardella n’était détesté par personne et ce n’était l’homme d’aucun clan. Il n’a pas eu à tuer grand monde pour y arriver. »
« Il ne fera pas d’ombre à Marine »
« Quand il est devenu porte-parole, il s’inquiétait moins de la région. Il a vraiment pris le melon et travaillait moins ses dossiers. »
Sous couvert d’un portrait fouillé, le site d’informations du service public audiovisuel convoque des témoins anonymes ou vachards à la barre pour flinguer la tête de liste du RN aux élections européennes. C’est Règlements de comptes à RN Corral.
« Je trouve cette décision pitoyable ! » Jordan Bardella vient tout juste de décrocher son bac, en ce début juillet 2013, lorsqu’il donne sa première interview. Interrogé par le site Orientation Éducation, le jeune homme de 17 ans, auréolé de son 16,2/20 de moyenne, s’indigne de la suppression des bourses au mérite pour les bacheliers lauréats d’une mention très bien, décidée par le gouvernement de François Hollande. Sur Twitter, où il n’est encore qu’un illustre inconnu, il envoie des dizaines de messages pour faire connaître la pétition qu’il vient de mettre en ligne, et qui atteindra tout de même 1 500 signatures.
Le lycéen, déjà encarté au FN, ne se doute alors pas qu’il deviendra, moins de six ans plus tard, la tête de liste de son parti aux élections européennes de 2019.
Des premiers pas au FNJ
C’est au Front national de la jeunesse (FNJ), l’antichambre du parti pour les jeunes pousses, que Jordan Bardella fait ses premières armes. Il devient rapidement l’un des habitués des réunions du « forum FNJ », organisées chaque mercredi soir dans les locaux de la fédération de Paris, rue Jeanne d’Arc. « C’était l’occasion de nous retrouver, mais c’était aussi un lieu d’échanges sur la politique nationale. On était au début du mandat de François Hollande, avec l’idée que Marine Le Pen triompherait de lui en 2017 », se souvient Arnaud de Rigné, membre du bureau de Génération nation (ex-FNJ), dirigé depuis 2018 par… Jordan Bardella.
« À l’époque, je me disais que pour son âge, il montrait une certaine précocité. Il avait un vrai talent oratoire et des convictions bien ancrées. » (Arnaud de Rigné, membre de la direction de Génération nation)
Le jeune Jordan, né à Drancy et scolarisé dans un lycée privé de Saint-Denis, s’investit aussi dans son département, la Seine-Saint-Denis. Une terre de conquête pour le Front national, qui y enregistre élection après élection des scores bien en deçà de sa moyenne nationale. Un jour de 2012, lors d’un événement organisé par le FNJ au Raincy, Jordan Bardella est présenté au secrétaire départemental du FN 93 de l’époque. « J’ai découvert un jeune de 16 ans bien sérieux », raconte Gilles Clavel, qui le met en contact avec le responsable des activités militantes dans le département.
« C’est Florian qui l’a fait monter »
Tractages, boîtages… Tiré à quatre épingles sur les marchés, le garçon met la main à la pâte chez les « grands » et donne entière satisfaction. Jusqu’à se voir proposer d’intégrer le bureau départemental et la responsabilité d’une circonscription législative. Le niveau d’exigence s’élève : il ne s’agit plus seulement de tracter mais de mobiliser les adhérents, d’organiser des actions sur le terrain, d’informer la presse locale…
« Il était force de proposition, répondait rapidement aux sollicitations et avait le sens de la communication. Il n’avait jamais un mot plus haut que l’autre, c’était très agréable de travailler avec lui. » (Gilles Clavel, ancien secrétaire départemental du FN 93)
À l’été 2014, Gilles Clavel, qui souhaite passer la main à la tête de la fédération, soutient son poulain pour le remplacer. Et il n’est pas le seul. Car entre-temps, Jordan Bardella a réussi à se faire remarquer de Florian Philippot, le très influent vice-président du parti, chargé de la stratégie et de la communication. « C’est Florian qui l’a repéré et qui l’a fait monter. On voulait promouvoir des jeunes qui savaient travailler. Et Jordan Bardella avait ces qualités », assure un proche de Florian Philippot, qui a claqué la porte du parti en 2017. Le 7 juillet 2014, la décision du bureau exécutif tombe : Jordan Bardella est nommé secrétaire départemental du FN en Seine-Saint-Denis. Il a 18 ans et 10 mois.
Sur place, sa nomination ne fait pas que des heureux, notamment chez les plus anciens, qui ne goûtent guère cette opération « dédiabolisation » au sein du parti. « Il a une belle gueule, il apprend bien ses fiches, mais en voilà encore un qui n’a pas foutu les pieds dans une entreprise », peste alors l’un de ses concurrents.
[...]
Si elle lui vaut quelques inimitiés locales, l’affaire Buttey ne stoppe pas l’ascension de Jordan Bardella. Début 2015, pour sa première participation à une élection, il vire en tête du premier tour aux départementales dans le canton de Tremblay-en-France, avant d’échouer avec les honneurs (41%) au second tour face au Front de gauche. Dans la foulée, il est choisi par Wallerand de Saint-Just, tête de liste aux régionales en Ile-de-France, pour défendre les couleurs du FN en Seine-Saint-Denis lors du scrutin de décembre. Et même un peu plus : désormais, Jordan Bardella passe beaucoup de temps à la fédération FN de Paris, où il partage le bureau d’Aurélien Legrand, le directeur de campagne de Wallerand de Saint-Just.
« On voyait en lui quelqu’un qui pourrait devenir un cadre solide du mouvement, mais ce n’était pas le petit jeune qui a les dents qui rayent le parquet », se rappelle Aurélien Legrand. Le 6 décembre au soir, lors du premier tour, le FN atteint pour la première fois la barre des 20% en Seine-Saint-Denis. La semaine suivante, Jordan Bardella conquiert son premier mandat électif.
« Une haute estime de lui-même »
Wallerand de Saint-Just ne tarit pas d’éloges sur les premiers pas du jeune homme dans l’hémicycle francilien. « Je l’ai vu œuvrer, il sait prendre la parole, il a toujours la bonne repartie », assure celui qui préside le groupe RN du conseil régional d’Île-de-France. D’autres ne sont pas de cet avis. Yasmine Benzelmat a quitté le groupe en décembre 2017 et siège désormais parmi les non inscrits. « Jordan Bardella faisait partie des privilégiés du siège qui travaillaient avec Marine et Florian. Il avait une haute estime de lui-même », se souvient-elle.
« Comme tous les collaborateurs du siège, il ne se prenait pas pour de la merde. » (Yasmine Benzelmat, conseillère régionale d’Ile-de-France)
Une chose est sûre : le tout nouveau conseiller régional ne compte pas se désinvestir du Front national. Fin 2015, le parti lance le collectif Banlieues patriotes, dans l’optique de contribuer au programme présidentiel. À sa tête : Jordan Bardella. « Il existe une fronde des oubliés des quartiers sensibles. On veut clairement réinvestir ces zones », déclare-t-il à France 3. À l’époque, les collectifs fleurissent au FN et Banlieues patriotes est « un des plus en vue », selon un ancien membre de l’équipe. « Jordan en a tiré une pleine récompense, mais c’était un travail collectif », rappelle-t-il.
Pourtant, la machine va se gripper. En octobre 2016, une émission web est imaginée par la petite bande. « Bienvenue dans “Mon quartier la France”, qui est animé par le collectif Banlieues patriotes », lance Jordan Bardella en ouverture du premier numéro. Il a lui-même choisi le premier invité : Camel Bechikh, membre actif de La Manif pour tous, qui se présente comme musulman et patriote. Mais son discours sur le plateau va choquer en interne, d’autant que son appartenance à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) n’est pas mentionnée, rapporte Mediapart. « Le Français de base, dans sa frustration consciente et inconsciente, voit comme un défouloir, un punching-ball de toute cette destruction de son identité, le musulman et l’islam », assène-t-il devant un Jordan Bardella qui ne bronche pas. Un vrai couac : il n’y aura jamais de deuxième numéro.
Lire l’article entier sur francetvinfo.fr
Élisabeth Martichoux et Yves Calvi reçoivent Jordan Bardella sur RTL le 20 mai 2019 (début de l’interview à 37’52) :