« En ces temps troublés, il est bon de se rappeler avec Cyril Grange, chercheur au CNRS, comment les familles étrangères ont marqué Paris et la France. »
Ainsi est introduit le livre du jour sur le site de France Inter. On appréciera l’intervention de l’animateur à 2’49, au moment où son invité parle de la puissance des familles de la Haute Banque :
« Il y avait aussi des philanthropes qui ont fait construire des logements sociaux comme les fondations Heim ou Rothschild et ces familles ont eu aussi un fort engagement intellectuel »
Comme si souligner la puissance économique des grandes familles de la Haute Banque était déjà déraper sur un terrain glissant, qu’il fallait rattraper par du « culturel ». On rappelle que Basil Zaharoff, le courtier en armement devenu après la guerre de 1914-1918 l’homme le plus riche du monde, faisait des donations à l’État français pour les pauvres... pendant qu’il vendait des mitrailleuses qui allaient coucher 2 millions d’hommes sur les champs de bataille européens. Mais revenons au livre de Grange. L’auteur lui-même rappelle les dons que ces familles ont faits aux musées nationaux avec un admiratif « c’est absolument colossal » :
« On est chez des gens qui accumulent, collectionnent et donnent »
Heureusement, on est sur France Inter, et il est 5h10 du matin. Les mots dangereux de « familles juives », « Haute Banque » et « accumulation » ne tomberont pas dans les oreilles des petits Français trop curieux ou soupçonnables d’amalgames indélicats. Cependant, au-delà de notre petite ironie, il suffit d’aller sur Wikipédia – ce site qui révèle sans le vouloir les réseaux par le principe des hyperliens – pour découvrir l’incroyable réseau de la grande bourgeoisie juive et de ses mariages interfamilles, voire intrafamiliaux, ce solide et impénétrable filet qui servira de support au capitalisme français des XIXe et XXe siècles. Nous en avons déjà parlé dans notre étude sur les Rothschild et l’information.
Les travaux des chercheurs du CNRS, souvent très neutres, voire prudents, sont cependant nécessaires. Si la chronologie factuelle est importante, la partie analytique est souvent négligée ou s’arrête à la ligne jaune, puisqu’elle touche à des sujets sensibles, comme celui de la puissance juive en France. Étudiable sur la période 1870-1939, elle l’est moins sur la période moderne, soit depuis 1945. Pourtant, l’explication économique de l’enrichissement rapide d’un Arthur (plus de 300 millions d’euros, 230e fortune française) ou d’un Hanouna (150 millions de budget pour un clown de la télé) serait intéressante [1]. C’est la troisième génération, celle des familles de la communication et des médias, après celles de la Banque, puis de l’Industrie. D’ailleurs, dans le livre de Jean Bouvier (Les Rothschild, histoire d’un capitalisme familial, éditions Complexe, 1983), la période post-1945 est moins riche que la période XIXe.
Nous avons été sur le site de l’éditeur pour lire le résumé de l’ouvrage :
Voici la première étude de fond sur les élites juives parisiennes, de la fin du xixe siècle au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
À partir de l’observation de familles auparavant dispersées sur le territoire français ou originaires d’Allemagne, d’Europe centrale, de Russie ou de l’Empire ottoman, Cyril Grange retrace leur constitution en dynasties à la faveur de leur rassemblement à Paris.
Poids économique, stratégies d’alliances au sein de la société juive, ouverture matrimoniale aux élites chrétiennes, bourgeoises et nobles, investissements dans les arts et mode de sociabilité composent les thématiques de ce livre qui décrit avec précision le processus d’assimilation d’une minorité qui s’ouvre pleinement à la société de la Troisième République.
Une réussite sociale et un rayonnement culturel associés aux noms des Bischoffsheim, Camondo, Deutsch de la Meurthe, Ephrussi, Fould, Halphen, Heine, Pereire, Rothschild, Stern…
Ce mouvement d’inscription dans le paysage national sera violemment interrompu avec l’occupation de la France par l’Allemagne nazie et la politique antisémite du gouvernement de Vichy.
Peut-être que l’auteur prépare (en cachette) la suite, Les Familles de la grande bourgeoisie juive (1945-2017). Sait-on jamais...