À cheval entre le Tout-Paris mondain, les milieux d’affaires et la communauté juive, Éric de Rothschild s’est imposé, dans l’ombre du « roi David » (Capital, novembre 2003), son cousin, comme la principale personnalité d’un clan familial à propos duquel Martine Orange écrivait : « Par leur nom, leur histoire, par leurs liens familiaux, par leurs réseaux, par leurs engagements envers le judaïsme et la défense d’Israël, les Rothschild ont accès à un monde de la finance, aux grands noms du capitalisme international, inaccessible aux autres. Qu’ils se nomment : les portes s’ouvrent partout dans le monde. » (Rothschild, une banque au pouvoir, Albin Michel, 2012).
Né le 3 octobre 1940 à New York (États-Unis), Éric de Rothschild descend en ligne directe de Mayer-Anselme Rothschild (1744-1812) dont les cinq fils furent admis dans la noblesse autrichienne par diplôme du 25 mai 1817 et créés barons héréditaires par un autre diplôme de l’empereur d’Autriche du 22 septembre 1822, en raison des multiples services financiers rendus à la Sainte Alliance pour renverser Napoléon Ier, donc contre la France, ce qui explique qu’aucun texte ne les ait jamais autorisés à porter, en France, le titre de baron.
Il est le fils de Mary Chauvin du Treuil, née le 12 mai 1916 et décédée le 25 décembre 2013 à Paris, unie, le 25 janvier 1938, à Alain (né James Gustave Jules Alain) de Rothschild, né le 7 janvier 1910 à Paris VIIIe et décédé le 17 octobre 1982 à New York dans une suite de l’hôtel Regency. Ce dernier, associé à son frère Élie et son cousin Guy au sein de la banque Rothschild frères (1946-1967), a été vice-président de la Banque Rothschild jusqu’à sa nationalisation par la suite en 1981.
Alain de Rothschild dont L’Humanité rapportait, en 1976, les parties de chasse au Pamir (République soviétique du Tadjikistan) et en République populaire de Mongolie extérieure, fut maire de Chamant (Oise) de 1959 à 1981. Membre du Consistoire de Paris à partir de 1946, il en devint le président trois ans plus tard avant de prendre, en 1967, la présidence du Consistoire central israélite de France. Président du Comité d’action sociale israélite de Paris et d’Île-de-France (Casip) et président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) entre avril 1976 et 1982, celui qui avait été un des fondateurs de la conférence mondiale des synagogues après la guerre des Six Jours considérait que « l’État d’Israël, pour le juif, est devenu la réalisation de la parole divine… Depuis 2000 ans, le juif se tourne vers Jérusalem… Comment ne pas voir la main d’Elohim quand cette prière, trois fois millénaire est exaucée ? […] Ce sera le devoir de tous les juifs de veiller et de contribuer à la sécurité de l’État dont l’existence, qu’on le veuille ou non, conditionne la survie du judaïsme comme force spirituelle dans le monde. » (Le Juif de la cité, recueil de ses discours et de ses conférences, publié à titre posthume en 1984 par le Casip, préfacé par le grand rabbin Jacob Kaplan). À la fin de sa vie, Alain de Rothschild a pourtant dû faire face à la contestation de la mainmise des Rothschild sur la communauté juive de France par le Renouveau juif, mouvement animé par les frères Henri et Serge Hajdenberg avec le soutien du diplomate israélien Avi Primor, qui jugeait insuffisant le soutien des Rothschild à Israël (cf. David et Marianne : la raison et la passion, Freddy Eytan, Éditions Alain Moreau, 1986).
Le frère d’Éric de Rothschild, Robert, né le 14 avril 1947 à New York, est installé aux États-Unis et sa sœur Béatrice, née le 22 mai 1939 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), divorcée de l’éditeur Armand Angliviel de La Beaumelle (1929-1964), s’est remariée, le 29 juillet 1981, avec Pierre Rosenberg, historien d’art, conservateur général du patrimoine, président du Musée du Louvre (1994-2001) et académicien (élu en 1995 au fauteuil 23).
- Arbre généalogique simplifié de la famille Rothschild
« Je suis un mauvais juif, je ne fais pas tout ce que je devrais faire – qui peut se vanter d’accomplir toutes les mitsvoth ? – mais le judaïsme ne m’est pas étranger. J’ai bénéficié de l’enseignement du grand rabbin Meyer Jaïs », indiquait Éric de Rothschild à Tribune juive (26 janvier 1990) après avoir épousé civilement, le 21 décembre 1983, Donna Maria Béatrice Caracciolo di Forino, dessinatrice, née le 28 juillet 1955 à São Paulo (Brésil). Il faut dire que la question du mariage religieux avec cette « goya », issue d’une des plus vieilles familles ducales napolitaines, avait entraîné une importante querelle entre le Consistoire central et le Beth Din (tribunal rabbinique) de Paris, le grand rabbin Samuel Sirat ayant refusé d’effectuer la conversion pour cause de mariage que lui avait demandé son prédécesseur, le grand rabbin du Consistoire central Jacob Kaplan. Suite au refus parisien, ce dernier était intervenu auprès du Beth Din de Rabat, qui avait converti l’épouse (avec pour prénom Rachel Béatrice en lieu et place de Maria), avant de finalement célébrer l’office religieux, le 3 juillet 1985, à la Grande Synagogue de Paris. De leur union sont nés, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de- Seine), James, surnommé Jim (Tribune juive indique qu’il s’agit d’un dérivé de Jacob), le 7 décembre 1985, Pietro, le 21 mars 1991 et Saskia, le 29 avril 1987. Cette dernière collabore actuellement à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans le cadre d’une étude sur l’apatridie. Passée par HEC et l’université Columbia (États-Unis), pigiste au New York Times, à la revue XXI, Vanity Fair, l’International Herald Tribune ou encore Libération, cette dernière, très sensible au sort des « réfugiés », a réalisé avec le photographe Benjamin Loyseau l’exposition « Talents en Exil, Réfugiés à Paris » place du Palais-Royal l’été dernier pour le compte de l’association Action Emploi Réfugiés fondée, en 2015, par Kavita Brahmbhatt et Diane Binder (déléguée générale de la Fondation France- Israël (2005-2006) et responsable du programme Europe-Afrique de l’influent Institut Aspen France jusqu’en 2015) avec les subsides de la mairie de Paris et du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Après des études au le lycée français de New York, Éric de Rothschild intègre la Hawtreys Preparatory School, une école anglaise, à son arrivée en Europe à l’âge de huit ans, avant de rejoindre le lycée Janson-de-Sailly à Paris. Diplômé de l’École polytechnique fédérale de Zurich, il commence sa carrière à la Société anonyme de gérance et d’armement (SAGA) contrôlée par sa famille, dont il sera plus tard le PDG. Comme son père avait fait carrière dans l’ombre de son cousin Guy, Éric de Rothschild a secondé, dans la relance de la banque suite à sa nationalisation en 1982, son cousin David, par ailleurs initiateur au début des années 2000 du club Entreprises et traditions, un réseau aussi discret qu’influent qui réunit, une fois par trimestre, une vingtaine de chefs d’entreprise et de dirigeants de la communauté juive, où il occupe les fonctions de président de l’Appel unifié juif de France (AUJF) et du Fonds social juif unifié (FSJU). Notons qu’avant la tonitruante nationalisation de février 1982, quatre filiales du groupe avaient discrètement été cédées à la Bank Leumi et que le Trésor avait par ailleurs versé 440 millions de francs d’indemnisation alors que la Banque Rothschild, selon la plupart des analystes, était au bord de l’effondrement. C’est Paris-Orléans (PO), la holding de tête des activités de la branche parisienne de la famille, dirigée depuis 1974 par Éric de Rothschild, qui servira de rampe de lancement au redémarrage des activités bancaires. Dès le mois de mai 1982, avec les soutiens des cousins britanniques (NM Rothschild) et de l’autre branche française (Compagnie financière Edmond de Rothschild domiciliée à Genève), est lancée PO Gestion, puis PO Banque en juin 1984, après le feu vert donné par Jacques Delors, aboutissement de l’intense lobbying opéré par Jacques Attali et Robert Badinter auprès de François Mitterrand. C’est avec l’arrivée de Jacques Chirac à Matignon et d’Édouard Balladur à Bercy que la famille obtient du Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement d’utiliser le patronyme dans la raison sociale de l’établissement. Le 20 octobre 1986 est inauguré Rothschild & Associés, devenu, fin 1987, Rothschild & Cie : « Tout ce qui recèle des plus-values de cessions immédiates ou qui n’assure pas des revenus récurrents est écarté » rapporte Martine Orange.
« On vend rapidement des participations dans des entrepôts frigorifiques, des terrains dans Elf Gabon ou des sociétés minières pour se recentrer sur quelques lignes : la SGIM, Société immobilière d’économie mixte spécialisée dans le logement social détenu à 60 % au côté de la Ville de Paris ; le courtage d’assurance, à travers une entité dénommée la Siasi ; l’exploration pétrolière par l’intermédiaire de la Francarep ; et les vignobles […] Avec un art consommé, la famille va utiliser son prestige, son nom, sa renommée dans le vin pour faire venir des investisseurs. Ils apportent des fonds mais restent toujours minoritaires. Les montages s’enchaînent : les vignobles sont finalisés, puis repris, puis rouverts à des capitaux extérieurs, puis reviennent sous contrôle familial. “Les vignobles ont changé cinq fois de mains”, en rit encore Éric de Rothschild, qui reconnaît que les montages financiers l’amusent. »
À la tête de l’activité viticole de la branche française, Éric de Rothschild a remplacé son oncle Élie en 1974 comme gérant de Château Lafite Rothschild (acheté aux enchères par James de Rothschild en 1868). Challenges (1er février 2007) rapporte qu’il « gère Château Lafite (dont plusieurs autres membres de la famille sont actionnaires) et préside Domaine Barons de Rothschild (DBR), [qu’il est] propriétaire des châteaux Duhart-Milon, Rieussec (Sauternes), Aussières en Languedoc et copropriétaire, avec l’homme d’affaires belge Albert Frère, de Château L’Évangile. À ce chapelet de domaines prestigieux s’ajoutent deux investissements majeurs à l’étranger : une propriété au Chili, Los Vascos et la fameuse Quinta do Carmo, au Portugal. » En avril 2016, il confiait à IsraelValley, le site de la Chambre de commerce France-Israël :
« Je peux vous révéler que pour obtenir des grands vins, il ne faut ni plus ni moins que suivre les prescriptions de la cacherout. »
Au titre de ses seules propriétés de Pauillac, il figure, en 2016, à la 160e place du classement des plus grandes fortunes françaises du magazine Challenges avec 450 millions d’euros. Membre de la Commanderie du Bontemps, confrérie de 350 membres regroupant propriétaires ou négociants de la rive droite de la Gironde (Médoc, Graves, Sauternes et Barsac) dont le Grand Maître Emmanuel Cruse est copropriétaire du château d’Issan, Éric de Rothschild organise chaque année dans les caves du domaine du Château Lafite Rothschild la Left Bank Bordeaux Cup, un concours de dégustation opposant des équipes des plus grandes écoles du monde comme Yale, Oxford, Sciences Po, etc. Au sein de la Commanderie du Bontemps, il a par exemple parrainé, en 2008, l’intronisation de Martin Bouygues comme commandeur. Personnalité du Tout-Paris mondain, Éric de Rothschild a été coopté au Club des Cent en 2010 par Olivier Boespflug et Guy Wildenstein.
Outre ses activités viticoles, le « baron » est un personnage central du secteur bancaire et, s’il n’a pas le titre d’associé, il amène néanmoins ses propres clients et son adresse professionnelle est localisée au siège de la banque familiale, 3 rue de Messine dans le VIIIe arrondissement de Paris. En novembre 2003, Capital indiquait qu’il possédait 21,45 % des parts de Paris Orléans (contre 14,12 % à David de Rothschild), dont il préside depuis 2004 le conseil de surveillance. Paris-Orléans a absorbé, en avril 2012, la quasi-totalité des capitaux de Rothschild & Cie et de la holding Rothschild Continuation, devenue Rothschild & Co en avril 2015. Parallèlement, il est rentré au conseil d’administration de NM Rothschild en 1992, après la prise de contrôle progressive de la branche londonienne par celle de Paris. Signe de son influence au sein de la famille, il préside le comité de défense du patronyme Rothschild, qui avalise les projets des membres de la famille afin d’éviter toute utilisation abusive.
« Gardien du temple familial » (IsraëlValley, 8 avril 2016), Éric de Rothschild préside, depuis 1982, la Fondation de Rothschild, qui gère la maison de retraite et de gériatrie de la rue de Picpus (XIIe arrondissement de Paris). Cette institution où 80 % des résidants sont de confession juive sera frappée par un scandale sanitaire à la suite de la canicule de l’été 2003 (cf. « Poussée de fièvre à la fondation Rothschild », Le Monde, 27 octobre 2003). Outre ce « lieu de référence au sein de la communauté israélite » (ibid.), Éric de Rothschild a succédé à son père comme président du Comité d’action sociale israélite de Paris et d’Île-de- France (Casip), devenu, en 1998, Fondation Casip-Cojasor.
- Décembre 2015 : Caroline Fourest reçoit des mains d’Éric de Rothschild le Prix Lucien Caroubi du Casip-Cojasor, doté de 3 000 euros.
Depuis 1992, il siège au comité exécutif du Mémorial du martyr juif inconnu de la rue Geoffroy-l’Asnier. Comme président de l’Association du mémorial, il a été l’acteur central dans la mutation du mémorial, ayant présenté à Jean Tiberi, en novembre 1999, son projet d’extension, avec doublement de sa surface et la volonté d’en faire « une référence mondiale de la Shoah, […] un centre du souvenir, comparable en moyens au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem et au musée de l’Holocauste à Washington » (Le Figaro, 21 novembre 1999) avec une « allée des Justes » (inaugurée le 8 octobre 2000) et « mur des noms » (inauguré par Jacques Chirac, le 25 janvier 2005), le tout financé à hauteur de 50 % (soit 7 millions d’euros) par la Mairie de Paris. Depuis l’inauguration de l’agrandissement en 2005, il préside le Mémorial de la Shoah (financé à hauteur de 100 000 euros par an par la Mairie de Paris), où sont consultables les archives sur l’Occupation, la préfecture de Police de Paris ayant signé une convention, pour leur transfert, le 16 juin 2005 avec Éric de Rothschild, qui avait déjà obtenu le dépôt du « Fichier juif » par Jacques Chirac en personne le 5 décembre 1997.
Dans les salons de l’Hôtel de Ville de Paris s’est déroulé, le 6 octobre dernier, le gala de soutien au projet du Mémorial de la Shoah, à l’occasion de son soixantième anniversaire, avec pour invité d’honneur le ministre de la Culture Audrey Azoulay.
Depuis 2001, Éric de Rothschild est également vice-président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, créée en 2000, dotée du montant des spoliations établi à partir de l’évaluation de la mission d’étude dirigée par Jean Mattéoli (393 millions d’euros) et présidée par Simone Veil, puis, à partir de 2007 par son cousin David de Rothschild (conseillé par Serge Klarsfeld). En 2005, il a reçu le prix Scopus, décerné lors du gala annuel de l’association des Amis de l’université hébraïque de Jérusalem (dont il figure au comité d’honneur) puis a remis l’année suivante ce prix à Bernard-Henri Lévy. Il a également reçu, en juin 2013, le Prix Ben Gourion décerné par Les Amis francophones de l’Université Ben Gourion du Néguev. Membre de l’international board du Peres Center for Peace, il a rejoint, en 1998, le conseil d’administration de la Fondation de Jérusalem aux côtés d’Alain Minc, Jacques Attali, Roger Cukierman, Jean-Daniel Tordjman, etc.
Président d’honneur de la Grande Synagogue de Paris, Éric de Rothschild préside, depuis 1980, le Service de protection de la communauté juive (SPCJ). Le ministère de l’Intérieur collabore étroitement avec cette officine, dont les membres formés par des Israéliens (cf. The Jerusalem Post, 31 juillet 2014) assurent la sécurité des centres communautaires et qui évalue l’antisémitisme en France dans un rapport annuel publié depuis 2005. Les conclusions de ce rapport, dont il signe le préambule, font évidemment autorité auprès des pouvoirs publics et de la grande presse.
Figure incontournable de la communauté juive, il a récemment versé son obole pour l’entrée d’Alain Finkielkraut à l’Académie française, contribuant à réunir les 100 000 euros nécessaires au financement de l’uniforme, de l’épée et du cocktail, aux côtés de Patrick Drahi, François Pinault, Serge Weinberg ou encore Denis Olivennes. Avec Claude Bébéar, il siège par ailleurs au conseil de surveillance du fonds Business Angels des Cités, lancé par le franco-marocain Aziz Senni (actuel vice-président de la commission « dynamique entrepreneuriale » du Medef et membre fondateur de l’UDI) et Gilles Cahen-Salvador, qui permit, par exemple, le financement des entreprises de restauration rapide d’Adil El Barkaoui (Kool Halal et Mecca Pasta) ou encore du service de vente en ligne Medina Shop d’Abdellah Aboulharjan.
Éric de Rothschild figure de longue date dans le classement des 200 plus gros collectionneurs d’art vivants du mensuel américain ARTnews. Éclectique, son immense collection comprend des œuvres de Francis Bacon, Balthus, Andy Warhol, Lucien Freud, Mike Andrews, des sculptures d’Auguste Rodin ou encore des peintures italiennes du XVIIIe siècle. Il a récemment vendu aux États français et hollandais une paire de Rembrandt (les portraits de Maerten Soolmans et d’Oopjen Coppit) pour la bagatelle de 160 millions d’euros. Président d’honneur de la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques (soutien à la production et à la diffusion de l’art contemporain), il en a été le président entre 1989 et 2015, avant de laisser sa place à Guillaume Cerutti, ancien inspecteur général des finances et président Europe, Russie, Moyen-Orient et Inde de Christie’s, la société de vente aux enchères londonienne dont Éric de Rothschild est administrateur.
Cet article est paru dans le n° 421 de la revue Faits & Documents (du 1er au 15 octobre 2016).
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