Le Fouquet’s est une institution, comme la Tour Eiffel, Brigitte Bardot, le général De Gaulle ou Alain Delon (mais pas Macron et encore moins Castaner qui seront rapidement effacés de l’histoire et de la mémoire nationales). Ces « institutions » sont des lieux ou des personnalités qui font France. N’importe quel pékin dans un trou paumé connaît « BB » ou Delon, le Fouquet’s et aussi Maxim’s, considéré par les ignorants comme le meilleur ou le plus chic restaurant du monde.
C’est dans ces endroits-là où Gainsbourg venait bouffer, tout seul, et s’arsouiller avec du flacon de première bourre. Marie-Dominique Lelièvre, cette biographe exceptionnelle, d’une autre trempe professionnelle que Thomas Legrand ou Jean-Michel Aphatie, a dans son chapitre « Le fric de Gainsbarre » balancé une note chipée chez Lasserre, autre resto chicos du triangle d’or parisien.
C’était il y a 30 ans, on parle donc en francs, mais le franc avait encore une certaine valeur à l’époque. Le Smic mensuel y était de 4 300 francs, soit 658 euros. C’est juste pour donner un ordre d’idées de ce qui va suivre. On convertira ensuite en euros 2019.
Ouh le coquin, une douloureuse de 50 000 balles, soit 7 623 euros ! Mais attention, en euros constant, ça donne deux fois et demi cette somme aujourd’hui (on a utilisé le rapport entre le Smic de 1988 et celui de 2019), soit 17 000 euros, et encore, on n’a pas inclus l’inflation de la carte et encore moins celle des grands crus, dont les prix ont explosé...
Par exemple, un Petrus 1959 vaut aujourd’hui 5 544 euros, et un Yquem 1967 (les pinards que Gainsbarre a éclusés) 1 295 euros. OK, on a pris des vins qui sont aujourd’hui plus anciens de 30 ans mais ça fait pas une si grande différence. Par exemple, pour le Petrus 1959, soit 29 ans avant le dîner de Gainsbarre, on prendrait aujourd’hui un Petrus de 1990 qui vaut 5 494 euros.
- La police de la bourgeoisie défend les grands crus avec une violence inouïe
On va pas s’égarer dans les cotes, on revient à notre sujet qui est le Fouquet’s et les Gilets jaunes en passant par les grands crus. Car vous n’êtes pas sans savoir qu’au cours de l’Acte XVIII, dit l’Acte sauvage, voire barbare, des malandrins se sont servis dans les caves du Fouquet’s.
En 2011, la star internationale Alain Delon mettait justement sa cave aux enchères au Fouquet’s (Le Figaro) :
« Le dos de chaque bouteille est siglé Alain Delon, les panneaux de ses casiers manuscrits seront offerts dès les premiers lots. Des pépites figurent dans la liste des vins : six bouteilles de Cheval Blanc 1947, trois bouteilles de Lafite 1928, du Mouton 1945 en caisse d’origine, du Petrus, de l’Yquem... Et des cognacs Bisquit Dubouché 1840, un salmanazar Besserat de Bellefon 1979, Dom Pérignon, Cristal Roederer... »
En septembre 2018, en toute discrétion, la famille Moueix qui commercialise le Petrus aurait cédé 20% du capital à un investisseur américain, pour la coquette somme de 200 millions d’euros !
Mais arrêtons de parler de fric. Lors de l’Acte XVIII, donc, des Gilets jaunes ont emprunté quelques bouteilles de prestige. Gageons qu’ils sauront les rendre après les avoir admirées, sans les avoir ouvertes et encore moins bues ! Car un pauvre ne peut pas goûter à du Petrus. C’est formellement interdit. Mais cet interdit majeur sur lequel est fondé notre société de classes n’a pas arrêté « Rémi », dont l’histoire nous est narrée par l’irremplaçable Paris Match :
Une photo a immortalisé cet instant historique :
Vu la qualité du cliché, on ne peut pas évaluer le prix des boutanches chouravées mais ça doit pas être de la pisse de bistrot. C’est mal de voler mais ces personnes se présentent comme des justiciers sociaux qui ponctionnent les riches, il s’agit donc d’une espèce d’impôt révolutionnaire. Les anars partent du principe que la propriété c’est le vol, donc voler un riche possédant c’est reprendre un bien. C’est bien sûr très mal de penser comme ça, car les riches méritent leur argent, même s’ils volent les pauvres ou s’ils ont hérité, ou les deux.
Symboliquement, avec cette histoire de grands crus arrachés à la cave du Fouquet’s, une poignée de Gilets jaunes a pu goûter aux nectars des dieux. D’un certain côté, c’est assez républicain comme truc, même si c’est amoral. Nous lançons donc un appel à Rémi et à ses copains anarchistes afin qu’ils nous renvoient les bouteilles sans les ouvrir, nous les rendrons au directeur du Fouquet’s ou aux riches du quartier, à qui elles sont dévolues.
Subtilitas (précision en latin)
La note de Gainsbourg est authentique mais l’honnêteté nous oblige à dire qu’il a bouffé ce soir-là avec Bambou pour l’anniversaire de ses 60 ans. Donc Gainsbourg n’était pas un radin (sauf si Bambou était anorexique et qu’il le savait ou alors qu’elle ne buvait pas de pinard).