Un peu de sociologie ne fait pas de mal. Pierre Desproges disait « L’amour, il y a ceux qui en parle et ceux qui le font » et ce constat définit généralement l’auteur moyen de bandes dessinées de « l’âge moderne » (qui court de 1986 à nos jours) : à la frontière du geek puceau et asocial, de l’adulescent frustré et torturé, le dessinateur est fondamentalement un artiste qui fantasme.
Un artiste qui fantasme ou plutôt un artiste du fantasme. Cloué au pilori pour ses œuvres qui feraient, selon les Torquemada du néo-politiquement correct, l’apologie de la « pédocriminalité, de la culture du viol et des violences faites aux femmes », le Français Bastien Vivès propose-t-il autre chose que les thématiques récurrentes de la BD underground et du manga ? Thématiques qui reflètent principalement la substantifique et consubstantielle moelle du moment où s’est formée la psyché de ces artistes et développé leur technique : le passage de l’enfance à l’adolescence et ses conséquences, l’éveil du désir et l’appréhension progressif des codes sociaux l’encadrant... Pour l’écrire plus concrètement, le fantasme de la jeune fille en fleur, entre l’initiatrice et l’intouchable, à la chaire déjà formée quand le jeune homme est souvent en décalage avec son propre corps, constitue bien souvent l’âme sociologique du dessinateur.
- Great Teacher Onizuka : un exemple parmi d’autres autour du fantasme de la lycéenne
Au Japon, où le désir est hyperencadré, le manga est un exutoire dans lequel le héros est habituellement un jeune homme malingre et maladroit, en marge mais pas exclu, forcé de s’accomplir par l’ultraviolence physique.
Aux États-Unis, terre du comix (le comic book pour adultes), le contenu se veut plus politique : en pleine période hippie, la BD revendique la sexualité, la violence et les stupéfiants comme piliers de la contre-culture. Proche de la Beat Generation, ce mouvement de « libération » est notamment incarné par plusieurs membres de la communauté juive (Allen Ginsberg pour la Beat Generation, Art Spiegelman, Harvey Kurtzman et Trina Robbins pour le comix).
En France, le dessin pour adultes accompagne la poussée libertaire des années 60 autour de la satire politique et par le biais d’une tonalité grivoise outrancière. Rabelaisiens ? Céliniens ? Anarchistes de droite ou de gauche ? C’est l’ère des revues (Hara-Kiri, Charlie Mensuel, L’Écho des savanes, etc.) et des provocateurs de tous styles : le professeur Choron et François Cavanna à la baguette et Gotlib, Reiser, Vuillemin, Cabu et Wolinski au crayon.
Ce qui importe ici, c’est l’esprit de l’époque. Les BD de Bastien Vivès nous renseigne plus sur le caractère misérable des affections masculines (le rêve d’un immense pénis et d’une grande sœur capable de faire son éducation sentimentale et sexuelle) que sur la prégnance d’une « culture du viol » fantasmée, elle, par certaines militantes féministes...
Mais il y a plus : et si Vivès n’était pas qu’un vulgaire épigone de l’insatisfaction sexuelle (à l’instar de Yann Moix, François Bégaudeau et Abdellatif Kechiche dans d’autres disciplines) ? Incriminée pour « banalisation et apologie de l’inceste et de la pédocriminalité », sa BD Petit Paul n’est-elle pas la suite des Melons de la colère dans laquelle l’auteur relate les viols multiples subis par une jeune campagnarde naïve et commis par de mystérieux notables organisés d’une ville de province ? Des sévices sexuels qu’elle reproduit ensuite sur le jeune Paul, son petit frère...
L’esprit de l’époque donc, semble être animé par un dérangeant sentiment de censure, reposant sur l’hystérisation systématique, pour tout ce qui touche aux tabous réels de la société contemporaine. Vivès n’a fait que dessiner, mais son usage de la liberté d’expression pose problème : dans la France d’Emmanuel et Brigitte Macron, approcher la thématique de la pédocriminalité de réseaux hors des sentiers battus par la doxa politique (l’approche féministe consistant à incriminer la masculinité) se révèle dangereux. Serait-ce parce qu’elle est l’un des deux lobbys fondamentaux du pouvoir actuel (l’autre étant communautaire) ?
L’ère macronienne a bel et bien sonné le glas des imaginaires adolescents (2018 a tué 1968) et il est temps pour les artistes, comme pour les autres, de se confronter à un choix d’adulte : soumission ou résistance.
Une enquête pour diffusion d’images pédopornographiques a été ouverte cette semaine à l’encontre de l’auteur de bandes dessinées Bastien Vivès et de deux maisons d’édition ayant publié certains de ses ouvrages, selon le parquet de Nanterre sollicité, vendredi 6 janvier, par l’Agence France-Presse (AFP).
Cette enquête préliminaire, confiée à la brigade de protection des mineurs, vise l’auteur de 38 ans, figure du 9e art, ainsi que les maisons d’édition Glénat et Les Requins Marteaux qui ont publié trois de ses ouvrages en 2011 et 2018, ont précisé le parquet de Nanterre et une source proche du dossier. Contactés, Bastien Vivès, les éditions Glénat et Les Requins Marteaux n’ont pas répondu aux sollicitations de l’AFP.
L’enquête a été ouverte après le dépôt d’une plainte fin décembre 2022 par l’association Fondation pour l’enfance. Cette plainte, dont des éléments avaient été révélés par Franceinfo, vise trois bandes dessinées qui « livrent des représentations de mineurs, dans des situations sexuellement explicites, présentant indubitablement un caractère pornographique ». Ces trois BD s’intitulent Petit Paul (Glénat, 2018), La Décharge mentale (Les Requins Marteaux, 2018) et Les Melons de la colère (Les Requins marteaux, 2011).
Dans ce dernier ouvrage, « Bastien Vivès met en scène Magalie, jeune fille mineure qui subit des agressions sexuelles et viols à répétition », décrit La Fondation pour l’enfance, citée par Franceinfo. « Des relations incestueuses sont également mises en scène entre Magalie et son frère, Petit Paul », dont « l’absence de consentement » est « présentée comme évidente », poursuit l’association.
Une autre association, Innocence en danger, a également déposé plainte auprès du parquet de Paris fin décembre contre M. Vivès et les mêmes maisons d’édition, estimant que ces trois bandes dessinées relevaient de la diffusion d’images pédopornographiques, mais aussi d’« incitation à la commission d’agressions sexuelles sur mineurs » et de « diffusion à un mineur de messages violents ».