Pour Pascal Bruckner, la poussée du FN aux régionales a détourné le regard du réel danger qui nous menace : un islamo-fascisme qui se nourrit de tous les messianismes de l’histoire idéologique.
LE FIGARO. - Le premier tour des élections régionales a été marqué par une forte poussée du FN. Que cela révèle-t-il de l’Etat de la France ?
Pascal BRUCKNER. - Cela dit le malaise français : l’incapacité de ce pays à se réformer. Comme le disait Raymond Aron, « En France pour faire une réforme, il faut faire une révolution. » Cela dit le désaveu de la gauche et de la droite, le désarroi d’une France égarée dans le monde contemporain qui ne s’en sort pas. Alors que l’Espagne et l’Italie commencent à relever la tête, la France reste incapable de voir ses faiblesses et se retrouve désorientée. Elle était ou se croyait jadis au centre de l’histoire. La voilà reléguée aux marges. Il s’agit d’un pays profondément conservateur, ce qui en fait son charme et ses limites.
Paradoxalement, depuis 1789, ce conservatisme utilise toujours le langage de la subversion. Il se cache sous une rhétorique néo-bolchévique à l’extrême gauche qui migre aujourd’hui au FN, enfant du mariage de Charles Maurras et de Maurice Thorez.
Le FN de Marine Le Pen est-il celui de Jean-Marie Le Pen ?
Le Front national est issu de différentes branches : les nostalgiques de l’OAS, la droite catholique intégriste, les derniers défenseurs du pétainisme et de la collaboration. Et les dérapages calculés de Jean-Marie Le Pen ont conduit à une indignation légitime à son égard. Il faut bien constater que Marine le Pen a totalement relooké cette vieille officine : elle a officiellement abandonné la rhétorique antisémite de son père. Par ailleurs, voilà tout de même un parti incarné par deux femmes, Marine et Marion Le Pen, et dont le vice-président a été « outé » par la presse people. Convenons que tout cela ne cadre pas vraiment avec les valeurs traditionnelles de l’extrême-droite. Même si son fonds de commerce reste la lutte contre l’immigration, le FN est une auberge espagnole, un parti attrape tout qui mélange plusieurs influences, celle de la droite conservatrice, mais aussi l’ultra-gauche anticapitaliste. Sur le plan économique, le programme du Front national ne diffère pas beaucoup de celui du Front de gauche : augmentation du SMIC, retraite à 60 ans, antilibéralisme, rhétorique anticapitaliste qui oppose systématiquement « les petits » aux « gros ». Quand Pierre Gattaz a fait remarquer que le programme économique du FN était assez proche du programme commun de François Mitterrand, Florian Philippot a ainsi répondu que « le grand capital est hostile au peuple français ».
« Le FN s’inscrit dans un étrange phénomène de recomposition politique qui rassemble les différents courants souverainistes et antilibéraux : de Michel Onfray à Jean-Claude Michéa et Eric Zemmour. »
Certains vont pourtant jusqu’à mettre sur le même plan le FN et Daech…
Il faut toujours hiérarchiser les menaces : le terrorisme n’argumente pas, il tue et sans prévenir.On peut penser ce que l’on veut du FN : dénoncer l’ineptie de son programme, sa démagogie, sa xénophobie. Cependant ce parti joue le jeu la démocratie. Les djihadistes font du chiffre : ils veulent liquider le maximum de gens, en France, au Moyen-Orient, en Afrique, aux États-Unis, y compris des musulmans. On ne peut pas les renvoyer dos à dos, il faut être plus subtil dans l’analyse.