Onfray, Sapir, Debray ou Finkielkraut : le Front national courtise assidûment les intellectuels, surtout s’ils sont (ou ont été) de gauche. Avec un succès pour l’instant limité, mais sait-on jamais ?
Surprise ! Patronne du Front national, Marine Le Pen fait les yeux doux aux intellectuels. De gauche, de surcroît. Car elle peut claironner tant qu’elle veut que son parti est le plus ouvrier (ce qui est vrai depuis 1988) et le « premier de France » (ce qui est faux, malgré ses bons résultats aux élections européennes), elle a beau faire un tabac chez les agriculteurs, les chtis et les méridionaux, les intellectuels continuent de lui faire défaut.
Quand on a lu – comme certains membres de son entourage – Antonio Gramsci, le fondateur du Parti communiste italien, on sait que ni la force, ni l’argent, ni même les succès électoraux ne suffisent à assurer la conquête du pouvoir. On dirige la société par les idées, et les producteurs d’idées, ce sont les intellectuels, seuls en mesure de conquérir une « hégémonie culturelle » sur les esprits.
Des « philosophes » qui font polémique
Marine Le Pen s’est donc invitée avec délice dans la querelle qui agite le Landerneau intellectuel, majoritairement de gauche. Des voix discordantes, très loin du politiquement correct, sont prises à partie par le reste du microcosme parce qu’elles disent, comme elle, que l’école et la culture foutent le camp, que les immigrés ne sont pas les bienvenus, que l’islamisation de la France est en marche et qu’il faut d’urgence renoncer à l’euro et à l’Europe.
Dans des registres certes très différents figurent parmi ces fauteurs de scandale les philosophes Michel Onfray et Alain Finkielkraut, l’économiste Jacques Sapir, le romancier Michel Houellebecq ou le journaliste Éric Zemmour. Leurs écrits polémiques leur valent depuis des mois l’accusation de bafouer les valeurs de la République.
Sur le site du Front national, une tribune a même proposé à ces « intellectuels de gauche qui se veulent toujours à gauche » mais n’y sont plus du tout à l’aise de « constituer un vaste mouvement »
Cloué au pilori par le quotidien Libération, qui lui reproche de faire le jeu du Front national par ses déclarations sur les migrants, Michel Onfray est, à rebours, soutenu par l’hebdomadaire Marianne, qui, le 20 octobre dans la salle de la Mutualité, à Paris, entend rassembler le ban et l’arrière-ban des opposants à la « dictature de la bien-pensance ». On y attend le romancier Pascal Bruckner, l’essayiste et ex-révolutionnaire Régis Debray ou encore le journaliste Jean-François Kahn. Et beaucoup d’autres.
« Qu’il est bon d’entendre des voix discordantes ! » susurre Marine Le Pen. Sur le site du Front national, une tribune a même proposé à ces « intellectuels de gauche qui se veulent toujours à gauche » mais n’y sont plus du tout à l’aise de « constituer un vaste mouvement ». Avec la présidente du FN, bien sûr. Auteur de cette invite provocatrice et trésorier du Rassemblement Bleu Marine, Bertrand Dutheil de La Rochère est ravi du tintamarre qu’il a déclenché avec la bénédiction de Le Pen et de Florian Philippot, son adjoint, qui vient comme lui de la gauche chevènementiste. Il se dit prêt à se rendre à la Mutualité, si on l’y convie.
« À l’évidence, un certain nombre d’intellectuels bougent, analyse-t-il. Ils posent les bonnes questions et peuvent jouer un rôle de précurseur, mais viendra le moment où il faudra qu’ils disent quel est leur débouché politique. Jean-Luc Mélenchon [le patron du Parti de gauche] ? Il ne sait pas s’il est pour ou contre l’euro, alors qu’en économie on ne peut rien faire tant qu’on n’a pas une vraie monnaie. Le Parti communiste ? Il n’a plus rien à voir avec ce qu’il a été. Jean-Pierre Chevènement ? Il ne franchira pas le pas, alors que la gauche dérive pourtant loin de ses idéaux. Nicolas Dupont-Aignan [Debout la France] ? Il ne pèse rien. » Reste Marine.