Dans un coin de la cour du centre Hubert-Renaud, à Cergy (Val d’Oise), un homme sourit à l’écran de son téléphone, en répétant "Baba ! Baba !". Son haut-parleur laisse entendre le rire de son bébé, probablement resté en Syrie avec sa mère. Un peu plus loin, un homme sans âge, le dos voûté sous un épais manteau d’hiver, fume une cigarette, l’air hagard, sous le ciel gris. A une trentaine de pas derrière lui, sous une grande tente blanche, une professeure bénévole enseigne à de grands débutants les subtilités de la langue française : "On écrit ’garçon’. Ça ne se dit pas ’gar-kon’, mais gar-ssson’."
Parmi les réfugiés arrivés à Cergy, mercredi dernier, les femmes sont discrètes. Moins nombreuses que les hommes peut-être, elles maîtrisent surtout moins les langues étrangères. Certaines ont déjà accordé dix interviews à la presse, mais l’anglais les intimide et le français semble encore bien compliqué ; les cours n’ont commencé que la veille. Un "bonjour" en arabe les rassure, déclenche un sourire.
Hiba et Samah, inséparables footballeuses
Assises sur un muret, Hiba et Samah semblent attendre quelqu’un ou quelque chose. Au milieu des familles et des hommes venus seuls, leur allure détonne. Les cheveux clairs et courts de Hiba, le chignon rock de Samah, les font passer pour des bénévoles plutôt que des réfugiées.
Mon salut en anglais les sort du silence, à contre-cœur. Hiba, 24 ans, me regarde à peine, blasée d’entendre une fois encore les mêmes questions, qu’elle anticipe, machinalement : "Pneumatique... écoper... marche..." Son amie Samah, à peine plus âgée, écoute d’une oreille, nonchalante. La conversation est laborieuse.
"Est-ce que vous avez envie de rester en France ?
– Pourquoi tous les journalistes me posent la même question ? Vous voulez que je m’en aille ?
– Parce que si j’avais dû quitter mon pays, ma famille, je rêverais probablement de les revoir un jour...
– Vous voudriez vraiment retourner dans un pays entré en guerre pour au moins 20 ans ?"
Il y a un mélange de rage et de lassitude dans sa voix, mais elle reprend son récit : "On ne veut pas être des mendiants ici !" Hiba s’enorgueillit d’être "indépendante financièrement depuis l’âge de 16 ans". Encouragées à quitter Alep par leur parents,"inquiets, quand même", Hiba et Samah sont parties "pour l’avenir, les études, le travail".