En réaction, c’est un nouveau format d’entretien qui fait réagir mon intervenant aux citations que je lui propose.
Réaction inconditionnellement libre !
Youssef, merci de te prêter au jeu !
Première citation :
L’Occident, issu de l’Europe, s’est retourné contre elle. (…) l’extraordinaire prolixité de la civilisation européenne a fini par donner lieu à un système mondial, dit « occidental », le règne techno-scientifique et économique de la Terre, et a également débouché sur la civilisation-fille américaine (…).
En devenant « civilisation occidentale », influençant le monde entier, la civilisation européenne a fini par se déraciner, par oublier son identité, la sève qui alimentait sa juvénile puissance. Son enfant prodigue et hostile, les États-Unis d’Amérique, l’a en quelque sorte desséchée. La civilisation européenne a été victime de sa propre expansion victorieuse, exactement comme l’Empire romain, qui en fut la préparation. L’apogée de la civilisation européenne se situe entre la fin du Moyen Âge et le début du XXe siècle. Mais la roche tarpéienne est près du Capitole, la rose se fane juste après son éclosion. (…)
Aujourd’hui, l’Europe est colonisée par ceux qu’elle a civilisés – les peuples du Sud – et dominée par son rejeton, son avorton : l’Occident américanomorphe. Elle a développé et poussé trop loin les valeurs – les qualités même parfois – qui avaient favorisé son expansion et qui ont fini par se retourner contre elle, comme l’individualisme et le matérialisme, l’esprit d’ouverture et l’universalisme.
Guillaume Faye, La colonisation de l’Europe, 2000
Youssef Hindi :
La définition de l’Occident a beaucoup évolué depuis le Moyen Âge. L’Occident moderne n’a plus aucun rapport avec l’Occident médiéval qui n’était autre que l’Europe chrétienne, romaine, germanique. L’Occident moderne est autre chose. C’est un monde dominé idéologiquement et politiquement par les Anglo-américains calvinistes, en d’autres termes, l’Occident aujourd’hui est le Nouveau Monde (l’Amérique) et l’Ancien Monde (l’Europe) sous contrôle de la puissance thalassocratique anglo-saxonne et judéo-protestante. L’occidentalisme est le produit de cette longue histoire qui commence au XVIe siècle, lorsque l’Angleterre se sépara de l’Europe et de l’Église de Rome pour devenir une océanocratie planétaire calviniste.
Mais Guillaume Faye parle comme Jules Ferry, comme un homme de gauche, lorsqu’il écrit que le Sud a été civilisé par l’Europe. Je partage plutôt la vision d’Arnold J. Toynbee qui a bien compris que l’Europe, envahie par le modernisme, a répandue celui-ci à travers le monde via le colonialisme qui fut, de ce point de vue, une épopée messianique détruisant les traditions, à commencer par celles des Européens. Les idéologies modernes ont abattu et supplanté le christianisme, et les missionnaires chrétiens ont été remplacés par les républicains, et aujourd’hui c’est le LGBTisme que les Occidentaux veulent imposer au reste de l’humanité, horrifiée par cette perspective infernale et nihiliste.
Deuxième citation :
Du Sinaï yankee roulent jusqu’à nos pieds les tables de la loi démocratique et, échine ployée, nous les ramassons pieusement sans nous demander ce qu’est, au fait, la démocratie américaine. Ce qu’elle est ? Maladie. Mais maladie supportée par un corps colossal, déployée dans un espace qui n’est pas le nôtre, encore douée de confiance en sa jeunesse historique et en son messianisme puritain. Oui, le système malade jouit encore en Amérique d’une confiance toute naïve qui n’est plus la nôtre. Nos démocraties, en Europe, ont fréquenté l’histoire et par elle ont été rudoyées alors que les États-Unis croient toujours, en leurs profondeurs, que la démocratie est leur être même. Ils ne se conçoivent pas n’étant-pas-démocrates alors que nous savons qu’il ne s’agit là que d’une forme politique et non la substance même de notre être. Nous avons connu d’autres régimes politiques (les États-Unis jamais) et nous savons aussi, après tout, que nous pouvons nous en passer. Mieux encore : nous n’avons pas tout à fait oublié que notre plus haute gloire ne furent pas nécessairement liées à la forme démocratique de nos gouvernements. Et toujours mieux : nous avons trop vu, en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne, les démocraties amener le désastre et être incapables d’y faire face. Et les Français, par exemple, n’ont pas encore expulsé de leur mémoire la couleur honteuse des jours de 40. (…) En somme, la fille a dévoyé la mère : l’Amérique démocrate pourrit la démocratie d’Europe. Pour cela, je dis que la démocratie libérale n’est pas le bon rempart contre le colonialisme américain.
Jean Cau, Pourquoi la France, 1975
Youssef Hindi :
La démocratie, qu’elle soit athénienne ou moderne et libérale, s’est très bien accommodée de l’esclavage, de l’exclusion ethnique, du racisme institutionnel, de la ségrégation, du génocide (des autochtones d’Amérique), du populicide (de Vendée), du vote censitaire ou encore du massacre des populations civiles avec des tapis de bombes, du napalm, du phosphore blanc et des bombes atomiques. Les Vietnamiens, les Japonais, les Irakiens, les Libyens ou encore les Palestiniens ont vu à l’œuvre les démocraties.
La démocratie et le libéralisme ne sont plus en Occident. Ils ont laissé place à la tyrannie totalitaire. La volonté populaire, tout comme la défense des intérêts du peuple sont antithétiques du système oligarchique qui s’est emparé de l’Occident, qui a privatisé les États et qui les utilisent pour maintenir au pouvoir une caste qui est en guerre contre le peuple. Le libéralisme n’a plus son utilité pour les tenants d’un tel système soviéto-capitaliste. Le covidisme a été le grand moment de la transformation de la société libérale, ou plutôt du dévoilement de ce qu’elle était devenue. L’oligarchie occidentale a avalisé, dans ses discours et sa politique, la fin de la liberté individuelle, de la société de production et de consommation. On plonge les peuples dans la misère, dans une guerre mondiale, avec tout ce que cela implique. Et dans ce contexte, les principes du libéralisme et de la démocratie n’ont plus d’utilité, ils sont même une entrave pour les visées de l’oligarchie.
Troisième citation :
Selon Simone Pétrement (Le dualisme), le gnosticisme était, dans le christianisme, l’élément le plus avancé, le plus grec, le plus philosophique, le plus révolutionnaire aussi, une tentative pour détacher complètement le christianisme du judaïsme… Les gnostiques chrétiens sont presque tous hostiles à l’Ancien Testament… Ils ne croient pas que le Dieu de l’Évangile, le Dieu bon, soit le même que le terrible Iahweh et font souvent de celui-ci le chef des puissances inférieures.
Paul Le Cour, Hellénisme et Christianisme, 1943
Youssef Hindi :
Les sectes gnostiques chrétiennes étaient relativement nombreuses (plusieurs dizaines) dès le Ier siècle de l’ère commune. Elles pullulaient autour du bassin méditerranéen, mais ne se valaient pas toutes. Entre la secte extrémiste et antinomiste (des précurseurs des sabbato-frankistes) des Caïnites (IIe siècle) qui valorisaient tous les personnages maléfiques de l’Ancien Testament et dont des membres sont sans doute les auteurs de l’évangile de Judas, et les sectes d’Alexandrie qui sont proches du stoïcisme, il y a un monde. D’ailleurs, certains spécialistes du Nouveau Testament, à l’instar de James Dunn (The Partings of the Ways, SCPM Press, 1991), avancent qu’une partie de l’Évangile de Jean aurait été rédigé par un gnostique chrétien élève de Philon d’Alexandrie, le célèbre philosophe juif hellénisé qui a opéré un syncrétisme entre la Bible hébraïque et le stoïcisme. Le premier verset du premier chapitre de l’Évangile de Jean, « Au commencement était le Verbe (logos), et le Verbe (logos) était avec Dieu, et le Verbe (logos) était Dieu », serait stoïcien, car dans cette croyance, Zeus aurait créé le monde par le Verbe (logos) qui est son hypostase.
Ne parlons pas de l’hérésie montaniste à laquelle a adhéré Tertullien, un des Pères de l’Église qui n’a pas été canonisé en raison de son apostasie après seulement dix années passées dans le christianisme apostolique.
Il fallait faire le « ménage » et unifier. C’est ce qu’ont fait les Pères de l’Église, notamment le célèbre Irénée qui joua un rôle majeur dans la lutte contre les hérésies gnostiques.
Et dans cet éventail d’hérésies, il y a celle de Marcion qui a une vision dualiste purement gnostique. C’est-à-dire la croyance qu’il y a un bon Dieu et un mauvais dieu, le Démiurge. Selon Marcion, le dieu mauvais serait celui de l’Ancien Testament, et le bon Dieu celui du Nouveau Testament.
J’ai écrit un livre entier – Occident et Islam Tome 2 : Le paradoxe théologique du judaïsme. Comment Yahvé usurpa la place de Dieu (Sigest, 2018) – pour tenter d’expliquer pourquoi cohabitent dans la Bible hébraïque deux conceptions antagonistes de Dieu. Le Dieu universel et miséricordieux, et une divinité tribale assoiffée de sang qui ordonne des génocides (Livre de Josué) et qui promet à son peuple élu le règne universel grâce au prêt à intérêt (Deutéronome 28, 12-13 ; Esaïe 60, 1-17 ; Esaïe 61, 5-6). Au terme de cette étude dans laquelle j’ai combiné les travaux d’égyptologie, d’assyriologie, ceux des biblistes et des archéologues, et une étude comparé des textes de la Bible hébraïque, des Évangiles et du Coran, je suis arrivé à la conclusion que le vrai Dieu, le Dieu unique d’Abraham, de Moïse, de Jésus et de Muhammad, était bel et bien présent dans la Bible hébraïque (contrairement à ce que croient les marcionistes), connu sous le nom de El, de Elohim et de Allah (même racine sémitique). Mais, un groupe parmi les Hébreux, les Lévites, a adopté une divinité infernale nommée Yahvé et l’a amalgamée au vrai Dieu dans la Bible hébraïque lorsqu’elle a été falsifiée par les prêtres scribes. Je ne rentrerai pas ici dans les détails, mais je citerai seulement le verset 8 du chapitre 8 du Livre du prophète Jérémie :
« Comment pouvez-vous dire : "Nous sommes sages et la torah de Yahvé est avec nous" ? Vraiment, c’est en mensonge que l’a changé le calame (plume) mensonger des scribes. » (Jérémie 8, 8)
Quatrième citation :
La religion des Juifs proprement dite, telle qu’elle est exposée et enseignée dans la Genèse et dans tous les livres historiques jusqu’à la fin des Chroniques, est la plus barbare de toutes les religions, car elle est la seule qui n’a absolument pas de de doctrine de l’immortalité, ni n’en a une quelconque trace. Chaque roi, héros ou prophète est, lorsqu’il meurt, enseveli auprès de ses pères, et c’est tout : pas de trace d’une quelconque existence après la mort (…). Alors que toutes les autres religions cherchent à apprendre au peuple la signification métaphysique de la vie en image et symbole, la religion des Juifs est entièrement immanente et n’offre rien qu’un simple cri de guerre dans la lutte contre d’autres peuples.
Arthur Schopenhauer, Parerga & Paralipomena, 1851
Youssef Hindi :
Il est vrai que la Torah est matérialiste. Dans la Genèse, le paradis est sur terre, quelque part en Mésopotamie, et non pas dans le Royaume des Cieux comme dans le christianisme et l’islam. Il n’est pas fait mention non plus du Jugement dernier. Le Pentateuque est terre à terre. Et les promesses de Yahvé sont la domination et l’enrichissement, pas la félicité et le paradis éternels.
Bernard Lazare avait très justement souligné que le judaïsme était dépourvu de spiritualité et de métaphysique. L’important pour les juifs, écrit B. Lazare, « était la vie ; ils cherchaient à l’embellir de tous les bonheurs, et ces forcenés idéalistes furent, par un saisissant et explicable contraste, les plus intraitables des sensualistes. Iahvé leur avait assigné sur la terre un certain nombre d’années ; il leur demandait, pendant cette existence, trop courte au gré de l’Hébreu, un culte fidèle et scrupuleux ; en retour, l’Hébreu réclamait de son Seigneur des avantages positifs. C’est l’idée de contrat qui domina toute la théologie d’Israël. Quand l’Israélite remplissait ses engagements vis-à-vis de Iahvé, il exigeait la réciprocité. S’il se croyait lésé, s’il jugeait que ses droits n’étaient pas respectés, il n’avait aucune bonne raison de temporiser, car la minute de bonheur qu’il perdait était une minute qu’on lui volait, et que jamais on ne pourrait lui rendre… » [1]
J’ai consacré un chapitre de mon livre susmentionné aux origines matérialistes de la Genèse et de l’eschatologie vétérotestamentaire. J’ai mis en évidence les influences sumériennes de ce matérialisme. Je vous donne ici quelques éléments.
Comme pour les anciens Hébreux et leurs descendants, l’espoir le plus cher des Sumériens était, semble-t-il, d’atteindre un âge avancé. Un texte sumérien témoigne de la résignation face à la mort et du désespoir qu’elle suscitait :
« Seuls les dieux vivent à jamais sous le soleil. Quant à l’homme, ses jours sont comptés ; Quoi qu’il fasse, ce n’est que du vent ! » [2]
La mort était pour les Sumériens une perspective effrayante. Le séjour des morts, le « Pays sans retour », le « Grand En-bas », l’arallu, était un immense espace souterrain qu’on situait vers l’Occident et qui contenait une vaste cité entourée de sept murailles. Un monde – les limbes – où le mort devait vivre éternellement une vie morne et misérable. Un monde de silence et d’ombre :
« Où la poussière nourrit leur faim et leur pain est l’argile. Où ils ne voient pas la lumière, ils restent dans les ténèbres, Ils sont vêtus, tels les oiseaux, d’un vêtement de plumes. Sur la porte et le verrou s’étale la poussière… »
Seuls, peut-être, les rois, entourés de nombreux trésors, pouvaient acheter aux dieux des Enfers une vie d’outre-tombe un peu moins lugubre [3].
On retrouve ce séjour des morts sumériens dans la Bible hébraïque et dans le Livre d’Énoch sous le nom de « schéol ». C’est le même monde sinistre, dans les profondeurs de la terre, que décrivent les textes sumériens. Ce monde des morts est mentionné dans plusieurs passages bibliques :
« Au bruit de sa chute, j’ai fait tressaillir les peuples, quand je l’ai fait descendre dans le schéol avec ceux qui descendent dans la fosse, et ils se sont consolés dans les régions souterraines, tous les arbres de l’Éden, les plus beaux, les meilleurs du Liban, tous les buveurs d’eau.
Eux aussi sont descendus avec lui dans le schéol auprès des victimes de l’épée… » (Ézéchiel 31, 16-17)
« C’est pour cela que le schéol élargira son sein et ouvrira une bouche sans mesure, que s’y engouffreront tout cet éclat, cette richesse et cette foule bruyante et joyeuse. » (Ésaïe 5, 14)
« Déjà m’enveloppaient les liens du schéol, surpris dans les filets de la mort… » (Psaumes 18, 5)
« Car grande est ta bonté pour moi : tu as sauvé mon âme du schéol. » (Psaumes 86, 13)
Toutefois, il demeure une différence majeure entre la religion mésopotamienne et la Bible hébraïque ; dans cette dernière, les morts doivent être ressuscités et vivre à nouveau sur terre.
Ce matérialisme constitue une opposition au sein du monothéisme séparant une religion matérialiste, le judaïsme, et les deux autres fondamentalement spirituelle. L’enjeu eschatologique du judaïsme est la domination matérielle et l’accumulation de richesses, quant à celui du christianisme et de l’islam, il est le salut de l’âme.
Retrouvez Youssef Hindi en Lorraine le 11/11/23 !