Delphine est bobo, blanche, diplômée. Elle habite un quartier de Paris où vivent des Noirs, des Arabes, des Asiatiques. Elle est de gauche, généreuse, pour la diversité et la mixité sociale. Mais quand ses filles ont l’âge d’aller à l’école, elle se trouve placée devant ses contradictions. Car « l’école publique, c’est pour les pauvres », lui résume une amie d’origine étrangère, qui a mis ses deux gamines dans le privé.
1 Les deux fleuves
Chaque matin, comme tous les parents du quartier, Delphine emmène ses filles à l’école.
« Il y a les gens des tours HLM, les pères en costume-cravate, les petits commerçants. »
Mais vient un moment où le flot des gamins se divise : ceux qui vont à l’école privée et ceux qui vont à l’école publique.
« Il y a un tri social et ethnique implacable. »
Les filles de Delphine vont à l’école publique, où il n’y a quasiment que des enfants d’origine étrangère. Quand elle discute avec les autres mères, les différences sociales lui sautent aux yeux :
« Avec mes boots à 200 euros et mon sourire emprunté, je me sens terriblement mal à l’aise. »
Car dans son quartier, tous les parents, quelle que soit leur origine sociale ou ethnique, sont bien d’accord : dans le privé, le niveau est meilleur et la violence bien moindre.
2 Le passage à niveau
Dans le quartier, l’école publique du secteur fait peur. Mais tout le monde n’a pas les moyens de s’y soustraire, même si beaucoup de parents estiment que les chances de leurs enfants sont d’emblée biaisées s’ils y restent. Comme le dit Emmanuela, une Ivoirienne :
« On n’est pas du même bord, on va pas se voiler la face. On veut tous la réussite de nos enfants. Si vous avez les moyens, vous partez. Sinon, vous restez dans le taudis. »
Une sociologue explique à Delphine que ces craintes ne sont pas fondées : non, ses filles ne vont pas accumuler un retard irréparable dans le public et ainsi rester sur le carreau.
« On est déformés par un esprit de compétition qui, de toutes façons, est vain. »
Mais la bonne parole sociologique n’empêche pas les contradictions de refaire surface. Défendre la mixité par ses choix, n’est-ce pas grever l’avenir de ses filles ?
« J’en parle de plus en plus autour de moi : rester, contourner, jouer le jeu... Mais en pratique, comment on fait ? »