Renaud Girard résume dans un excellent article du 1er octobre 2019 la descente aux enfers en deux ans seulement de l’Arabie saoudite sous la direction du prince Salmane, surnommé « l’idiot » (le surnom n’est ni de nous ni du Figaro), qui accumule les erreurs stratégiques tant sur le plan politique que sur le plan militaire.
« Politiquement, le royaume saoudien aurait pu rallier à sa cause un nombre important de Yéménites et remettre au pouvoir le président régulièrement élu Mansour Hadi, qui avait fui vers Riyad. En effet, les houthistes ne sont qu’une minorité au Yémen. Mais en pratiquant des bombardements indiscriminés sur Sanaa, en commettant bavures sur bavures dont sont victimes écoles et hôpitaux (et tout récemment une prison où étaient gardés des prisonniers de guerre saoudiens !), en provoquant la famine dans le pays, les Saoudiens se sont aliéné le petit peuple du Yémen. Le royaume est de surcroît politiquement faible chez lui. Il ne bénéficie plus de la loyauté de la minorité chiite qui peuple l’est de son territoire, là où se trouvent les champs pétroliers. Les chiites saoudiens n’ont jamais pardonné à leurs princes sunnites l’exécution, en janvier 2016, de leur cheikh Nimr Baqr al-Nimr. Cet ayatollah avait certes manqué de révérence à l’égard de la famille royale des Saoud, mais il n’avait commis aucun crime de sang. »
On précise ici que la majorité des travailleurs des sites pétroliers saoudiens situés à l’est du royaume sont chiites, ce qui fait écho à la précision des tirs de missiles embarqués par des drones le 14 septembre à Abqaiq et Khurais, s’il ne s’agit que de tirs...
Il y a deux explications possibles à cette précision extraordinaire qui a scotché les experts militaires du monde entier : soit il y a eu sabotage sur place, soit les tirs ont bien eu lieu du Yémen (ou de l’Iran selon l’axe américano-israélien), c’est-à-dire de 1300 ou 300 km (voir nos calculs ici), et dans ce cas ils ont été incroyablement précis, comme on le voit sur la vidéo, soit ils ont été dirigés par des « désignateurs ».
C’est l’occasion de rappeler l’histoire du SOFLAM en Afghanistan :
« Berntsen envoie ses équipes sur la ligne de front. Ils emportent une arme puissante, le SOFLAM : des jumelles permettant un guidage laser. Ce désignateur permet de placer un laser invisible sur la cible. Les repères d’Al-Qaïda, les tranchées des talibans, les camps d’entraînement et les convois. Au-dessus d’eux, des drones de combat et des B52 sillonnent le ciel en attente du signal. Une fois la cible verrouillée, la bombe la suit jusqu’à l’impact. »
Girard explique ensuite que « le royaume a perdu le soutien inconditionnel des États-Unis d’Amérique, dont il bénéficiait depuis 1945 ». C’est aller vite en besogne tant les Américains ont besoin non seulement du pétrole saoudien, mais des achats d’armes massifs de Saoudiens poussés à la psychose anti-iranienne. Mais l’affaire Khashoggi a fait mal :
« Le royaume est très impopulaire aux États-Unis, depuis l’assassinat barbare de l’opposant Khashoggi – qui était un protégé de la CIA et qui écrivait dans le Washington Post – au consulat saoudien d’Istanbul, en octobre 2018. Les Américains n’ont aucune envie de faire la guerre pour protéger la monarchie wahhabite saoudienne. »
Il se peut même que les Américains veuillent se débarrasser des Saoud, une fois leur manne pétrolière pillée. Vient la pointe de la démonstration girardienne, l’effondrement diplomatique de l’Arabie saoudite. On remarque à ce stade que les problèmes financiers du royaume (en déficit budgétaire depuis 2016), qui a certes des placements importants dans le monde entier, ne sont pas étrangers à cette baisse d’influence. La diplomatie saoudienne est une diplomatie d’argent, d’achat d’influence, et quand les achats se tarissent, les commerçants oublient jusqu’à leur meilleur client. C’est le cas des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France, dont la politique extérieure est achetée en partie, en partie seulement, par les Saoudiens via les gros contrats militaires.
« MBS, qui s’est révélé incapable de protéger son propre territoire, ne se vante plus de pouvoir faire la guerre à l’Iran. Il dit même que ce serait une catastrophe et il implore la communauté internationale de s’en apercevoir. Dans sa propre région, il est de plus en plus isolé. Les Émiriens ne le soutiennent plus que du bout des lèvres : au Yémen du sud ils jouent un jeu différent du sien, et ils savent envoyer des délégations à Téhéran pour maintenir le contact avec la Perse chiite. De sa faute, il s’est brouillé avec le Qatar, qu’il a cherché à vassaliser et à qui il a imposé un blocus. Ce petit pays a tenu bon, en activant sa vieille alliance avec Ankara.
La faiblesse de Riyad a fait basculer le rapport de forces en faveur de Téhéran dans le golfe Persique. Les Iraniens font preuve de remarquables qualités de guerre hybride, avec un matériel qui semble indétectable. Toute la question aujourd’hui est de savoir si les mollahs sauront bien gérer ce léger basculement en leur faveur. S’ils essaient de pousser encore leur avantage militaire, ils risquent de réveiller l’aigle américain et d’en devenir la proie. S’ils savent rester raisonnables, leur patience paiera, car Trump, qui respecte leur détermination et leur force, rêve de conclure un grand deal avec eux… »
100 % d’accord sur la conclusion : Trump veut faire avec l’Iran ce qu’il a fait avec la Corée du Nord. Écraser les méthodes et le souvenir de ses prédécesseurs (Obama avec son accord nucléaire, qui était pourtant bon mais qui donnait la part belle aux Européens), tout renverser et récupérer un nouvel accord (et le marché iranien à la place des Européens !), après des pressions intenses avec risque d’embrasement de la région.
Une technique de pur vendeur, et Trump est un vendeur.