Tous les médias en parlent, nous ne pouvions pas ne pas y aller de notre article explicatif. Surtout que, comme toujours, les articles de la presse traditionnelle pèchent par deux faiblesses constitutives : la paresse (d’aucuns diront l’incompétence) et la mystification des vraies causes et des vrais pouvoirs.
Tout a commencé avec le sondage IFOP arrivé au bon moment – les hasards du marketing – qui nous révèle que seules 19 % des Françaises de moins de 50 ans se mettent seins nus sur la plage, contre 43 % en 1984. Ce que toute personne de plus de 40 ans a pu constater.
Et le phénomène n’est pas que franco-français : tous les pays européens sont touchés, avec un chiffre en baisse constante (27% en 2019 – l’Espagne et l’Allemagne, pays historiquement naturistes faisant légèrement monter la moyenne, tout en baissant eux aussi).
L’explication la plus courante serait la crainte des effets néfastes du soleil, en particulier le cancer du sein (pour 56% des femmes interrogées). Ce chiffre est très probablement vrai mais démontre une première chose : la surinformation actuelle qui confine bien souvent à une mésinformation encore plus grande. En effet, le soleil n’a jamais eu aucun effet sur le cancer du sein, mais plutôt sur le cancer de la peau. Hormis les prédispositions génétiques ou autres maladies, les comportements à risque bien réels sont plutôt l’alcool, les contraceptifs, le tabagisme, l’obésité et probablement certains anti-transpirants – même si on nous affirme l’inverse, peut-être pour des raisons d’immense marché, mais ne soyons pas complotistes.
Ainsi les campagnes anxiogènes ratent leur cible, comme souvent. Elles inquiètent (ce qui n’est pas très favorable au recul du cancer, soit dit en passant) mais bien souvent montrent le doigt du sage plutôt que la Lune.
Ainsi, si les femmes s’inquiètent à tort pour le cancer du sein, leur motivation première au refus de bronzer seins nus n’est très probablement pas là. Quelles sont les raisons réelles de ce changement d’attitude, conduisant la société d’une posture libertaire-libertine à des comportements soudainement si pudibonds ? C’est là où E&R intervient pour faire le travail intellectuel que les autres ne font plus.
Les vraies raisons du changement
D’abord, il faut l’admettre, il y a une société qui a changé dans sa nature même. Ils sont loin les Français qui partaient à la plage, les beaufs comme on disait ou les moins beaufs, et qui constituaient un peuple encore innocent, et même naïf dans son sens noble, ce peuple qui au fil des décennies passées s’était battu pour sa condition sociale, et vivait dans la traînée des Trente Glorieuses, plutôt insouciant et foncièrement gentil. C’est ainsi que les Français ont accueilli une immigration qui s’accélérera au fil des années 70 puis 80 jusqu’à provoquer un changement notable de la population, y compris la population vacancière (parfois à coups de bons vacances distribués par les CAF ou les MJC).
Nous pourrions nous voiler la face, mais il nous semble que dire cela reste tout à fait en cohérence avec la ligne réconciliatrice d’E&R. Car la ligne E&R c’est aussi et surtout la vérité ou tout au moins l’exactitude. La population a changé, la violence du quotidien s’est accrue, en particulier pour les femmes qui connaissent une nouvelle drague très éloignée de la drague de rue des années 60-80 (relire Sociologie du dragueur ou visionner Confession d’un dragueur). Aujourd’hui la drague est devenue lourde, agressive et insultante, et lorsque la fille abordée refuse, l’interaction a tendance à se ponctuer d’un « salope » voire d’un « nique ta mère ».
Pire, ces dernières années, l’afflux de migrants, faune sauvage ne disposant pas des codes culturels occidentaux, provoque viols voire meurtres comme nous le rappelait le ministre de l’Intégration de Bavière (CSU) Joachim Herrmann. Pas vraiment un facho.
Les ultimatums de la performance
L’innocence dont nous parlions plus haut, c’était aussi celle de la pression d’un environnement moins sardonique où même la raillerie était rarement méchante. On nous excusera d’idéaliser une période révolue (c’est un péché facile), mais que l’on comprenne bien notre propos : à notre époque de performance et de compétition, tout s’est déshumanisé dans une surenchère permanente, y compris la moquerie et la méchanceté.
C’est pourquoi les injonctions modernes du corps, en particulier du corps féminin, imposent bien souvent aux jeunes filles une honte physique de leurs moindres défauts. Pire, les moindres écarts de leur corps face à des modèles médiatisés chimériques les poussent à penser qu’elles sont les disqualifiées de facto d’une compétition irréelle et illusoire dont elles ne sont en vérité, en tant que consommatrices, que les marionnettes dupées.
Le diktat électronique
Un autre point qu’il ne faut pas taire, et qui nous entraîne tout doucement dans la profondeur de notre analyse du chapitre suivant, c’est l’apparition de l’Internet ! En 2019, la surexposition photographique et même filmique, et surtout la transmission instantanée et exponentielle de l’information, rendent particulièrement risquée l’exposition de son corps et, bien sûr, de ses seins.
Les voyeurs des plages qui filment à l’insu des vacancières pour ensuite inonder la Toile sont légion (même si les femmes l’ignorent souvent, mais elles en ont toutefois une sorte de prescience naturelle). Mais aussi simplement les ami(e)s qui, de façon candide, vont afficher les photos de vacances sur un réseau social, et vont permettre ainsi une visibilité que la jeune femme ne souhaite pas nécessairement, y associant, volontairement ou par reconnaissance faciale, son nom et son prénom, facilitant ainsi une recherche internet et tous les quiproquos ou situations gênantes qui pourraient en découler (collègues de travail, employeur, famille, etc.).
Bien sûr, il existe aussi celles qui s’affichent sans complexes sur Instagram ou autres Snapchat, mais si elles font beaucoup parler d’elles et suscitent beaucoup d’études ou d’articles à sensation, combien sont-elles véritablement ? Une poignée de cagoles de 15-25 ans, probablement. La grande majorité des filles savent aujourd’hui contrôler leur image et connaissent les dangers de la Toile. Sauf lorsque transies d’amour, elles envoient des photos intimes à leur petit copain... Le risque se cache toujours un peu quelque part.
Désormais, donc, l’Internet a rendu quasiment impossible toute perspective de vie tranquille et de respect de son intimité. Hier un regard volait un bout de votre intimité sans aucune autre conséquence qu’une honte (ou qu’une excitation !) passagère. Aujourd’hui, certaines jeunes filles (et garçons) se suicident. Triste époque.
Allons plus loin
Tout cela, c’était l’analyse épiphénoménale. Intéressante, affligeante, mais pas suffisante. Un autre phénomène, beaucoup plus profond, a concouru à ce que les femmes progressivement ont couvert leurs seins, en même temps qu’elles découvraient leur sexe (disparition des poils) : il s’agit de l’instillation lente mais prodigieusement tenace de la pornographie dans notre société.
En effet, et l’idée même de notre propos était déjà dans la Genèse (que l’on y croit ou pas, peu importe, il faut penser concept) : lorsque Adam et Ève perdent leur innocence, ils s’aperçoivent qu’ils sont nus !
Ainsi, parce que la pornographie a avancé ses pions subrepticement, tout ce qui procédait du corps et de la nature s’est vu sexualisé. Les populations ont perdu leur innocence. Un sein, c’était la femme, la mère nourricière, la muse dépoitraillée de la Liberté guidant le peuple (Delacroix). Bien sûr, c’était aussi un objet de désir, en particulier chez l’adolescent qui les cherchait du regard aussi discrètement que concupiscemment. C’étaient ici les hormones qui parlaient, pas la culture pornographique qui aujourd’hui a perverti les regards et dénaturé les pensées.
D’ailleurs, ce même sondage IFOP nous précise que « 59 % des femmes de la tranche des 18 à 24 ans n’ont pas souhaité dénuder leur poitrine au cours des trois dernières années par peur du regard concupiscent des hommes sur leur poitrine ». Les femmes ne consomment pas de pornographie, certes, mais en ont adopté les codes sous la pression masculine (épilation pubienne) et en ont compris les enjeux – souvent inconsciemment d’ailleurs, ce qui les empêche de lutter contre cette oppression de façon conséquente pour plutôt se vautrer dans un féminisme stupide qu’on leur tend comme un piège et un dérivatif.
Le désenchantement du Monde
C’est donc dans une société libérale comme elle ne l’a jamais été, où l’on peut se targuer fièrement d’intersexualisme, de transgenrisme et autres barbarismes, où tous les excès deviennent autorisés et mêmes légaux (PMA, GPA) – et pour ne pas dire un peu obligatoires au risque de passer pour un ringard – c’est dans cette société que semble germer dans le même temps une sorte de pudibonderie contradictoire.
Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas ici d’une vague réactionnaire qui viendrait s’indigner et s’opposer à cette société ouverte jusqu’à s’en perdre – même si cette tendance existe, à la marge. Mais c’est plutôt que la marchandisation de tout et de tous, l’atomisation de la société des Hommes en autant de particules individuelles narcissiques, que le viol de consciences qui étaient encore pures par des idées toujours plus dégueulasses et dissimulatrices, sont autant de conséquences constitutives de la surenchère permanente pour toujours plus séduire, toujours plus tromper, toujours plus vendre.
Et dans ce monde du spectaculaire et du faux généralisé, on peut affirmer désormais, comme le disait prophétiquement Michel Clouscard, qu’aujourd’hui, pour les seins nus à la plage ou pour le reste, tout est permis mais plus rien n’est possible.