Nos lecteurs nous excuseront de ne pas proposer ici une nécrologie détaillée du grand acteur décédé ce 6 septembre 2021, mais cet exercice de style obligé aura déjà été fait – et parfois bien fait – dans la presse française, en particulier celle de ce 7 septembre au matin. Une nécrologie probablement déjà prête depuis longtemps, Jean-Paul Belmondo étant très fatigué depuis plusieurs semaines. Nous reviendrons plutôt sur la merveilleuse époque que Bebel traversa et dont il fut l’un des compagnons de route, ces années d’après-guerre pleine de vitalité, d’espoirs et encore traversées d’une certaine fraîcheur, d’une certaine innocence.
Belmondo, c’est le cinéma des années 50 qui s’achèvent, la Nouvelle Vague qui arrive, avec ses qualités et ses défauts, mais aussi ses nouveaux protagonistes, qu’ils soient réalisateurs ou acteurs. Belmondo en sera, à la fois acteur et comédien, oscillant entre drames, polars et films plus légers avant que de se cantonner plus tard à cette dernière catégorie, probablement en raison du succès qu’il y rencontre. Dans ce début des années 60, Jean-Paul Belmondo n’a pas encore la carrure physique qu’il acquerra par la suite : il y joue la jeunesse, souvent une gueule – voire une belle gueule – et offre au public déjà la signature du Bebel à venir, que ce soit son accent parisien ou ses mimiques si particulières.
Ces années 60 sont celles d’une créativité artistique intense et d’une esthétique remarquable. La mode, la musique ou le cinéma voient fleurir de belles choses. Il y a encore tant à faire, à découvrir ou à inventer dans ces domaines, alors que celui des idées s’étiole, les plus grands penseurs étant déjà passés par là. Ce qui fut possible dans le divertissement par la légèreté propre à cette industrie n’était plus guère possible dans le sérieux du concept – ou à la marge : les Debord, les Baudrillard, puis les Clouscard avaient encore des choses à dire.
C’est donc ce monde de l’art et de la distraction, l’un et l’autre s’entrelaçant avec plus ou moins de bonheur, qui disposait d’un potentiel important, secondé par les progrès de la technique, et c’est ce monde qui brilla de mille feux en ces années 60, semant encore puis se dissipant progressivement sur une ou deux décennies.
Les hommes qui traversèrent cette époque étaient nés avant-guerre, héritiers d’une certaine classe française, et d’une éducation certaine. Même lorsqu’ils voulurent bouger les lignes, cela ressemblait à quelque chose. Aujourd’hui, dépoussiérer les idées, renouveler le monde, c’est brouiller les genres, ringardiser la famille, subvertir l’idée de patrie, proposer des salles de shoot, banaliser le porno ou être à la pointe de tous les progressismes LGBT. Le Laid a remplacé le Beau, et ce constat objectif n’est pas qu’une rengaine de vieux con, il est plutôt factuel.
Bien sûr, et nous l’avons dit, musique ou cinéma étaient déjà des industries. La nostalgie ne nous rend pas totalement naïfs, même si la mélancolie trouble l’esprit et son objectivité – et que nous en sommes parfaitement et consciemment complices. Jean-Paul Belmondo, qui tourna 3 ou 4 films par an pendant cette décennie, nous rappelle que l’art n’est pas que la production d’une œuvre par un artiste inspiré qui gamberge des nuits entières pour pondre quelques lignes d’écriture ou quelques coups de pinceau. C’est une industrie, c’est une technique et c’est aussi un commerce. Mais aujourd’hui il nous semble bien souvent que ce n’est plus qu’un seul commerce.
La génération de Jean-Paul Belmondo, c’est celle qui va suivre la génération d’un cinéma de l’ère classique (celle des Michel Simon, des Jean Gabin, des Charles Vanel, voire des Bourvil, des Lino Ventura ou des Bernard Blier) pour épouser justement une nouvelle vague de cinéma (Nouvelle Vague proprement dite ou non) où il côtoiera Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle, Bruno Cremer ou encore Pierre Vernier.
D’une stature équivalente, cette génération est aussi celle d’Alain Delon et de Brigitte Bardot, deux icônes de renommée internationale qui forgeront l’image de la France dans le monde entier – et encore aujourd’hui dans certaines contrées reculées qui ont la chance de ne pas voir ce que la France est devenue. Jean-Paul Belmondo, même s’il tourna un peu pour le prolifique cinéma italien au tout début des années 60 et tenta ensuite brièvement Hollywood sans entrain – et sans succès –, restera pour sa part un acteur très français.
Mais s’il n’a pas la posture iconique et internationale de Delon et BB, Belmondo demeure avec Louis de Funès à la même époque (ou Fernandel, avant lui) l’acteur ayant attiré le plus de monde en salles, en particulier avec Le Cerveau (1969), Peur sur la ville (1975), L’Animal (1977) et L’As des as (1982). On pourra ajouter à cette liste des films que toute une génération a nécessairement vu en raison des fréquentes rediffusions télévisées dans les années 80 et 90 : Flic ou Voyou (1979), Le Guignolo (1980), Le Professionnel (1981), Le Marginal (1983) puis, plus tard, Itinéraire d’un enfant gâté (1988).
Jean-Paul Belmondo, c’était avant tout un sportif et en particulier un boxeur. Comprendre « avant tout » d’un point de vue chronologique. À 15 ans, piètre élève inscrit dans les plus grandes écoles en raison de son origine sociale (son père Paul Belmondo était un sculpteur réputé, qui fut par ailleurs jugé en 1945 par le tribunal d’épuration des artistes plasticiens et fut interdit de ventes et d’exposition pendant un an) il se jette à corps perdu dans ce sport de combat.
Il n’y excellera pas particulièrement, ce qu’il explique simplement par ces quelques mots : « Pour boxer, il faut avoir faim et avoir la haine. Ce n’est pas mon cas ». Il décide alors de devenir comédien. La chose ne fut pas simple : souvent recalé, peu reconnu, ou destiné à faire des seconds rôles selon ses professeur. L’avenir se chargera de faire mentir ces échecs et rappelle que l’obstination peut être une qualité quand elle n’est pas un entêtement vain, voire vaniteux.
Jean-Paul Belmondo c’est aussi une belle et longue histoire d’amitié avec Charles Gérard. Démarrée en 1948, leur longue histoire dura plus de 70 ans. Belmondo disait sobrement « c’est un pote » de celui dont il avait justement cassé le nez lors de leur première rencontre, sur un ring de boxe. Le sport, en particulier le foot, le tennis et bien sûr la boxe, les réunissait.
La disparition de son pote Charles, fin 2019, fut terrible : « Au-delà du chagrin et de la tristesse, ce moment-là est une véritable déchirure dans ma vie. C’est une absence immense que je mesure à chaque minute ». Cette amitié nous rappelle combien la camaraderie est supérieure à bien des choses – y compris probablement l’amour. « Jean-Paul a toujours été d’un grand secours. Il s’occupait de moi. Quand il tournait un film il disait "il faut un rôle pour Charlot". Et Jean-Paul insistait : "S’il n’est pas dans le film, je ne fais pas le film" ».
Ainsi, avec la disparition de Bebel, « Nous perdons un peu de cette élégance française à l’ancienne qui manque beaucoup au cinéma », comme l’a dit avec justesse Marine Le Pen dans un de ses derniers tweets.
Alain Delon pour sa part, un des derniers anciens amis de Bebel, a réagit avec beaucoup d’émotion ce lundi :
Alain Delon : « Je suis complètement anéanti » dans #Punchline pic.twitter.com/0nrHE18MkV
— CNEWS (@CNEWS) September 6, 2021
Ainsi, donc, les Français, en particulier peut-être ceux de plus de 30 ou 40 ans, perdent un acteur qu’ils ont beaucoup aimé. Un acteur élégant, presque dandy parfois avec son maniérisme si particulier et sa faconde caractéristique, un acteur sans la prétention de certains autres malgré un succès immense, mais aussi un comédien qui n’a jamais laissé tomber les planches – tout au moins jusqu’à son AVC en 2001.
Aujourd’hui, alors que Bebel nous quitte, nous ressentons de nouveau que le mince filin qui nous rattache à un monde qui n’existe plus s’amenuise encore un peu. Chaque disparition d’hommes et de femmes ayant traversé et forgé d’autres époques plus glorieuses et enthousiasmantes est un coup de butoir au passé qui s’éloigne et nous laisse comme orphelins de l’idée que l’on en a, ou que l’on s’en est fait. Et nous abandonne face à un monde dont la laideur et la tristesse nous fait horreur. Que cela, plutôt que nous anéantir, nous donne la force de transformer ce monde, car l’histoire est une aventure qui ne s’achève jamais.
Quelques souvenirs et commentaires sur la carrière et la vie de Jean-Paul Belmondo, en images animées :
Bonus : Jean-Paul Belmondo lit un extrait de Guignol’s band de Louis-Ferdinand Céline (extrait du film Pierrot le fou, réalisé par Jean-Luc Godard)